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Par arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 5 septembre 2025, la chambre sociale C statue sur la validité d’une mise à pied conservatoire, ses effets sur la rupture, et une rémunération variable. Le salarié, engagé depuis 1996 et intégré au périmètre nucléaire en 2008, avait été suspendu le 24 avril 2019, convoqué le 30 avril, puis licencié pour motif disciplinaire le 20 mai. Saisi, le Conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse, le 22 mars 2022, a requalifié la mesure conservatoire en sanction disciplinaire, jugé la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse, et alloué des dommages et intérêts ainsi qu’un rappel de rémunération variable.
L’employeur appelait, sollicitant la reconnaissance d’une faute grave et la validité de la mise à pied conservatoire, ainsi que le rejet du rappel variable. Le salarié concluait à la confirmation de la requalification, au caractère injustifié du licenciement, et à l’octroi de la part variable. La question portait sur l’exigence de concomitance entre la mise à pied conservatoire et l’engagement de la procédure disciplinaire, ainsi que sur la charge probatoire attachée à une rémunération variable fixée unilatéralement. La cour retient l’absence de diligences utiles justifiant le décalage, requalifie la mesure conservatoire en sanction, prive la rupture de cause, confirme le rappel variable, et ajuste le quantum indemnitaire dans le cadre légal applicable.
I. L’exigence de concomitance et la sanction de la rupture
A. Un rappel ferme du cadre textuel et de la temporalité contrôlée
La cour reprend un principe constant, en des termes sans ambiguïté: « La mise à pied à titre conservatoire doit être concomitante avec l’engagement de la procédure de licenciement. » La finalité de la suspension tient à la protection immédiate des intérêts de l’entreprise, à la condition d’une réaction procédurale sans délai inutile. La chronologie révèle une notification le 24 avril et une convocation datée du 30 avril, soit un décalage de six jours incluant un week-end. La juridiction vérifie alors l’existence d’investigations substantielles et pertinentes pour justifier ce laps de temps, et constate leur absence. Les actions évoquées, de nature collective et d’accompagnement, ne caractérisent ni des auditions ciblées, ni une recherche factuelle sur les griefs imputés.
Ce contrôle serré du temps répond à la tentation, parfois observée, d’user de la mise à pied comme une mesure d’attente dilatoire. La juridiction rappelle que seule une diligence d’enquête avérée, concrète et directement liée aux faits peut expliquer l’écart. À défaut, le caractère conservatoire se dissout et laisse place à une sanction déguisée. La solution conforte un office rigoureux du juge du fond sur la proportionnalité temporelle, qui ne s’apprécie ni en jours calendaires abstraits ni au regard de considérations organisationnelles générales.
B. La requalification disciplinaire et l’effet d’éviction de la cause réelle et sérieuse
Constatant l’absence de concomitance, la cour retient que la suspension a valeur disciplinaire, de sorte que la rupture ultérieure pour les mêmes faits est entachée. L’attendu est sans détour: « Un même fait ne pouvant être sanctionné deux fois, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse de ce chef. » La portée protège le principe de singularité de la répression disciplinaire et évite la superposition de mesures pour une même conduite. L’articulation ainsi opérée neutralise, par ricochet, l’invocation d’une gravité subsistante des griefs, dès lors que la sanction préalable épuise le pouvoir disciplinaire pour ces faits.
Cette construction entraîne les conséquences communes au licenciement injustifié. La cour rappelle le régime légal de l’indemnisation en citant le texte applicable: « Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, “Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.” » L’ancrage dans le cadre légal assure une modulation encadrée du quantum, en considération de l’ancienneté et de la taille de l’entreprise.
II. Rémunération variable et indemnisation: charge probatoire et mesure du préjudice
A. L’affermissement de la charge probatoire de l’employeur en cas d’objectifs unilatéraux
La cour énonce les critères classiques de validité et d’exécution des clauses de variation. Elle rappelle d’abord que le contrat peut prévoir une rémunération variable fondée sur des éléments objectifs, sans transfert du risque d’entreprise, et dans le respect des minima. Elle en précise la méthode lorsque les objectifs sont fixés unilatéralement, par une affirmation claire: « Lorsqu’il est prévu que les objectifs seront fixés unilatéralement par l’employeur, celui-ci est tenu de produire les éléments de calcul de la rémunération variable afin de permettre au salarié de vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail ; à défaut, la défaillance de l’employeur ouvre au salarié le droit au montant maximal de la rémunération variable. »
La juridiction souligne également l’exigence de réalisme des objectifs et leur communication en début d’exercice, au titre de l’exécution de bonne foi. Elle rappelle enfin la règle de proratisation en cas de départ en cours d’année, dans les termes suivants: « Lorsque la partie variable de la rémunération est fixée en fonction du chiffre d’affaires annuel réalisé personnellement par le salarié, l’intéressé, qui quitte l’entreprise avant la fin de l’année civile, ne peut pas être privé d’un élément de rémunération versé en contrepartie de son activité auquel il peut prétendre au prorata de son temps de présence. » En ne produisant aucun élément de calcul, l’employeur échoue à renverser la présomption d’exigibilité et justifie la confirmation du rappel de 6 810,40 euros.
Cette solution, très structurée, renforce une discipline probatoire déjà bien établie. Elle incite à documenter les objectifs en amont, à tracer les indicateurs, et à communiquer au salarié l’ensemble des paramètres de liquidation de la variable. À défaut, le risque contentieux conduit à l’allocation du montant maximal contractuel ou du décompte non sérieusement discuté.
B. L’application mesurée du barème et l’appréciation du préjudice indemnisable
S’agissant du préjudice de rupture, la cour applique le cadre normatif précité et retient un montant moindre que celui de première instance. Elle motive ainsi l’évaluation opérée en ces termes: « l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice subi doit être évaluée à la somme de 62.598,90 euros. » Le raisonnement articule les paramètres légaux (ancienneté significative et effectif) et les justificatifs produits, sans excéder les bornes textuelles. Le déplacement du quantum illustre une appréciation concrète du dommage dans les marges du barème, et une vigilance à l’égard d’une éventuelle surévaluation initiale.
La demande de dommages-intérêts distincts pour circonstances vexatoires est écartée, faute d’éléments caractérisant un préjudice autonome. La cour rappelle la règle, dépourvue d’ambiguïté: « Il est de principe que le licenciement peut causer au salarié en raison des circonstances vexatoires qui l’ont accompagné un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi », tout en constatant l’insuffisance probatoire au cas d’espèce. La décision ordonne en outre la délivrance des documents de fin de contrat, refuse l’astreinte faute d’indices d’inexécution, et retient le remboursement limité d’allocations, conformément au dispositif.
En définitive, l’arrêt Cour d’appel de Lyon, 5 septembre 2025, réaffirme l’exigence de concomitance de la mise à pied conservatoire et la sanction procédurale attachée à son détournement, tout en consolidant le régime probatoire des rémunérations variables. Il en résulte une protection accrue contre le cumul de sanctions et une incitation opérationnelle à la célérité et à la traçabilité, dans un cadre indemnitaire mesuré et solidement adossé au droit positif.