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Rendue par la Cour d’appel de Lyon, chambre sociale C, le 5 septembre 2025, la décision tranche un contentieux de licenciement d’un cadre dirigeant dans un contexte de tensions managériales, de télétravail imposé et d’alerte médicale. Le salarié, engagé comme directeur administratif et financier, est convoqué puis licencié pour faute grave à l’automne 2018 après un arrêt maladie et une mise à pied conservatoire.
Saisi par les ayants droit, le conseil de prud’hommes avait retenu un harcèlement moral et jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, allouant divers rappels et dommages-intérêts. L’employeur a interjeté appel. Les ayants droit ont demandé la nullité de la rupture à titre principal, et la confirmation des chefs favorables à titre subsidiaire, avec revalorisation des indemnités.
Le débat porte sur la preuve d’agissements de harcèlement moral et sur leur incidence sur la validité de la rupture. Il porte aussi sur la caractérisation d’une faute grave, sur l’étendue des réparations, la part variable, et l’application du barème légal d’indemnisation.
La Cour confirme l’existence d’un harcèlement moral et condamne l’employeur à des dommages-intérêts spécifiques. Elle écarte toutefois la nullité de la rupture, retient l’absence de cause réelle et sérieuse, confirme le préavis, l’indemnité de licenciement et l’indemnité légale de rupture. Elle rejette la réparation distincte au titre du manquement à l’obligation de prévention, faute de preuve d’un préjudice spécifique, et rappelle la conformité du barème d’indemnisation.
L’arrêt invite d’abord à mesurer la méthode probatoire mobilisée et la qualification de la rupture. Il conduit ensuite à apprécier la valeur et la portée de la solution, notamment au regard du barème et des obligations de prévention.
I) Harcèlement moral établi et requalification de la rupture
A) Une appréhension globale et exigeante des éléments de preuve
La Cour rappelle la règle probatoire aménagée: « Il appartient au juge de se prononcer sur l’ensemble des éléments retenus afin de dire s’ils laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral ». Elle ajoute que « Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble ».
Les éléments versés présentent une cohérence d’ensemble. Le rapport d’organisation évoque une communication rude créant de l’insécurité. Les courriels établissent des propos dévalorisants, un recadrage public et des injonctions paradoxales. Le télétravail imposé, l’occupation du bureau et la dépossession de dossiers ont isolé le salarié. L’alerte du médecin du travail corrobore une dégradation de la santé.
L’explication managériale fournie est jugée insuffisante car « Les explications données par la société ne justifient cependant pas la mise à l’écart du salarié de l’entreprise en lui imposant de poursuivre l’exécution de son contrat de travail à son domicile ». La Cour souligne en outre que le salarié peut cumuler des demandes distinctes: « Le fait pour un salarié de solliciter l’octroi de dommages-intérêts pour licenciement nul […] ne saurait faire obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour harcèlement moral ».
La solution retient l’atteinte à la dignité et le stress avec altération de la santé, et alloue une réparation autonome. Ce socle probatoire conditionne l’analyse de la rupture et ses effets.
B) Nullité écartée, absence de cause réelle et sérieuse retenue
La Cour nie le lien causal direct entre la dénonciation et la sanction: « En l’espèce, il n’est pas démontré par les intimés l’existence d’un lien entre les faits de harcèlement invoqué et le licenciement pour faute grave ». La nullité n’est pas acquise par le seul contexte de harcèlement, exigence conforme aux textes.
S’agissant des griefs disciplinaires, la Cour rappelle la définition et la charge probatoire: « La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié » et « L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute et le doute profite au salarié ». Elle scrute la lettre de licenciement et les pièces produites.
Les justificatifs comptables retravaillés ne suffisent pas: « Les quelques pièces comptables comportant les chiffres retravaillés sont insuffisants pour caractériser les manquements allégués ». Les explications postérieures sont inopérantes car « les faits postérieurs au licenciement évoqués par l’employeur dans ses conclusions ne peuvent en aucun cas le justifier a postériori ». D’autres griefs demeurent non étayés, notamment en matière de rétention d’informations et de gestion RH.
La Cour retient donc l’absence de cause réelle et sérieuse et confirme les conséquences classiques: préavis, indemnité légale, et dommages-intérêts dans les bornes légales. Cette articulation distingue nettement l’inopposabilité de la faute grave et la sanction du licenciement injustifié.
II) Valeur et portée: prévention, barème et pratiques managériales
A) Obligation de prévention: manquement établi, préjudice distinct non prouvé
La Cour examine l’obligation de sécurité au regard des mesures de prévention. Des démarches de médiation et de coaching ont été engagées, mais l’employeur n’a pas mené d’enquête adéquate après l’alerte explicite. Elle relève que l’employeur s’est limité à contester, « en omettant d’effectuer les enquêtes et/ou investigations qui lui auraient permis d’avoir la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits ».
Le constat est net: « Par conséquent, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité ». Toutefois, l’absence d’éléments sur un préjudice distinct emporte rejet de la réparation autonome: « Toutefois, les intimés ne produisent pas d’éléments justifiant du préjudice allégué consécutif à ce manquement ». La solution souligne une ligne désormais constante: la démonstration d’un dommage spécifique reste nécessaire, à côté de l’atteinte déjà indemnisée au titre du harcèlement.
Cette distinction affine la hiérarchie des fondements et évite les doubles réparations. Elle incite les employeurs à diligenter des investigations internes immédiates et documentées dès l’alerte.
B) Barème d’indemnisation et sécurisation des paramètres contractuels
La Cour confirme l’application du barème légal. Elle énonce que « il est constant que ce barème, qui permet une réparation adéquate du préjudice enduré, n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail; que le juge français ne peut l’écarter même au cas par cas ». L’office du juge est donc borné par les fourchettes, appréciées in concreto dans leurs limites.
L’allocation au plafond pour cinq ans d’ancienneté marque la prise en compte de la rémunération, des circonstances de la rupture et du profil professionnel. La motivation donne des repères méthodologiques utiles aux acteurs du procès prud’homal.
La solution sur la part variable rappelle enfin une exigence de gouvernance contractuelle. La Cour rappelle que « Les objectifs doivent être portés à la connaissance du salarié dès le début de l’exercice ». Faute de fixation régulière, le bonus devient exigible sur la cible prévue. La logique est conforme au principe de loyauté et à la lisibilité des critères d’évaluation.
L’arrêt combine ainsi une rigueur probatoire sur les agissements, une prudence sur la nullité, une cohérence avec le cadre indemnitaire positif, et des enseignements opérationnels sur la prévention des risques et la formalisation des objectifs.