Cour d’appel de Lyon, le 9 septembre 2025, n°22/06510

Par un arrêt rendu le 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Lyon, chambre sociale, a statué sur la reconnaissance d’un accident du travail. Le litige oppose un salarié, conducteur routier, et la caisse, à la suite d’un événement déclaré survenu lors d’une opération de livraison.

Un conducteur a signalé une douleur aiguë à l’épaule en retenant une palette qui glissait d’un transpalette manuel. L’employeur a déclaré l’accident et un certificat médical initial a été établi deux jours plus tard, décrivant une scapulalgie gauche, sans témoin direct.

La caisse a refusé la prise en charge après enquête, décision confirmée par la commission de recours amiable. Saisi, le pôle social a reconnu le caractère professionnel, renvoyé pour liquidation, et alloué une indemnité procédurale. La caisse a relevé appel de ce jugement.

En appel, la caisse invoquait l’absence de témoin, la déclaration tardive et la consultation différée. L’assuré sollicitait la confirmation, soutenant la cohérence des indices et la proximité du certificat médical. La question tenait au régime probatoire de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale et à l’articulation entre présomption d’imputabilité et charge de la preuve en l’absence de témoin.

La cour rappelle que « Il résulte de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle » et que « En application de ce texte, l’accident qui s’est produit au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail ». Elle ajoute que « Celui qui déclare avoir été victime d’un accident du travail doit établir autrement que par ses simples affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel ». Au terme d’une analyse d’indices graves, précis et concordants, la Cour d’appel de Lyon confirme la reconnaissance du caractère professionnel et les condamnations accessoires.

I. La consécration d’une présomption d’imputabilité rigoureusement encadrée

A. La définition de l’accident et l’assise de la présomption

La cour s’ancre dans la définition légale en rappelant in extenso la lettre de l’article L. 411-1. L’exigence d’un fait daté et d’une lésion corporelle n’est pas discutée ici, puisqu’un événement précis est décrit et un certificat médical initial est intervenu à très bref délai.

Le cœur du raisonnement tient à la présomption d’imputabilité. En affirmant que « En application de ce texte, l’accident qui s’est produit au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail », la cour réactive une grille binaire. D’une part, l’existence d’un événement professionnel daté. D’autre part, la lésion médicalement constatée dans un temps voisin.

La temporalité joue un rôle décisif sans rigidité formaliste. La cour souligne que « Un certificat médical initial a par ailleurs été établi le 24 juin 2019, soit deux jours après les faits déclarés, ce qui ne saurait établir son caractère tardif ». Le week-end explique l’intervalle observé, ce qui maintient l’unité chronologique entre l’événement allégué et la constatation médicale.

B. L’exigence probatoire hors témoins et le rôle des indices

La cour fixe le régime de preuve en l’absence d’assistance oculaire. Elle précise que « Celui qui déclare avoir été victime d’un accident du travail doit établir autrement que par ses simples affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel ». La charge n’emporte pas la preuve impossible du témoin introuvable, mais commande des éléments objectifs convergents.

Le raisonnement intègre les conditions concrètes de travail. À partir des questionnaires, l’activité était solitaire et la livraison s’effectuait sans tiers. La cour en déduit qu’ »Il ne saurait donc, au vu des conditions de travail de l’assuré, être tiré argument, comme le fait la caisse, de l’absence de témoin ». La cohérence entre le mécanisme décrit et la lésion constatée est déterminante.

La solution se cristallise autour du faisceau d’indices. La cour retient que « De ces éléments, qui constituent des indices suffisamment graves, précis et concordants, la cour retient que, le samedi 22 juin 2019, il s’est passé un événement précis au temps et au lieu du travail ». Elle ajoute la clef d’imputabilité en notant que « De plus, le certificat médical du 24 juin 2019, établi dans un temps proche de l’accident et faisant état de lésions compatibles avec les faits déclarés, permet de faire bénéficier l’accident litigieux de la présomption d’imputabilité au travail, la caisse n’apportant aucun élément pour la renverser ». Cette articulation clôt l’analyse factuelle et ouvre l’examen de la portée de la solution.

II. La portée et les limites de la solution adoptée

A. Une solution conforme aux lignes constantes et sécurisante

La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante valorisant la cohérence intrinsèque du récit, la proximité de la constatation médicale et l’objectivation minimale exigée. Le critère de « temps et lieu du travail » fonctionne comme clef d’entrée d’une présomption réfragable, dont la caisse doit combattre les effets par des éléments positifs contraires.

La cour équilibre justement les exigences probatoires. D’un côté, elle refuse l’automaticité des seules déclarations et rappelle la charge initiale de l’assuré. De l’autre, elle tient compte des réalités professionnelles où l’isolement opérationnel est la norme et où la preuve testimoniale fait souvent défaut. Cet équilibre réduit le aléa probatoire pour les salariés isolés, sans relâcher la vigilance sur la crédibilité des circonstances.

La proximité du certificat médical consolide la solution. L’intervalle de deux jours, expliqué par le calendrier, ne dément pas la vraisemblance lésionnelle et ne rompt pas le lien temporel. La cour ne fige pas un délai maximal abstrait, elle apprécie au plus près les circonstances concrètes.

B. Conséquences pratiques et vigilances nécessaires pour les contentieux futurs

La décision clarifie l’office des acteurs dans l’instruction des dossiers d’accidents. Pour l’assuré, l’intérêt d’une description précise du mécanisme lésionnel, appuyée par un certificat initial circonstancié, reste majeur. Pour l’employeur, une déclaration diligente et factuelle constitue un élément objectif utile, même en l’absence de témoins.

Pour la caisse, la charge de renverser la présomption commande de rechercher des éléments matériels contrariants. À défaut, la contestation fondée sur la seule absence de témoins s’épuise lorsqu’une activité solitaire est établie et que les données médicales sont compatibles.

La solution n’instaure pas une présomption irréfragable. Elle laisse subsister une exigence stricte d’indices « grav(es), précis et concordants » et admet que la présomption cède devant une preuve contraire pertinente. Elle invite aussi à une vigilance sur la chronologie des démarches médicales et administratives, afin de prévenir les suspicions de discontinuité.

En confirmant le jugement, la cour scelle une méthode probatoire pragmatique et lisible. Elle conclut à bon droit que « Il convient, en conséquence, de confirmer la décision déférée en ce qu’elle a retenu le caractère professionnel de l’accident litigieux », et maintient les accessoires. Cette approche, respectueuse du texte et des réalités du travail isolé, devrait stabiliser l’office des juges du fond en matière d’accidents non témoins.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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