Cour d’appel de Lyon, le 9 septembre 2025, n°23/05872

Par un arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Lyon (1re chambre civile B) tranche un contentieux d’indivision portant sur le remboursement de charges et l’indemnité d’occupation d’un immeuble acquis en indivision. Le litige naît d’une acquisition conjointe antérieure au décès de l’un des indivisaires, suivie d’une occupation privative par la compagne survivante et l’enfant commun. Par jugement du 20 juin 2023, le Tribunal judiciaire de Lyon a ouvert les opérations de partage, rejeté l’attribution préférentielle, ordonné une expertise, admis certaines charges d’entretien et fixé une indemnité d’occupation à compter du 12 février 2017 avec abattement. L’appel vise la fixation des créances relatives aux taxes foncières et charges de copropriété, ainsi que la dette d’occupation. La question porte, d’une part, sur l’exigence probatoire pour imputer à l’indivision des dépenses conservatoires, et, d’autre part, sur les conditions et l’assiette de l’indemnité d’occupation au regard de la jouissance privative. La cour infirme la créance afférente aux taxes foncières, confirme la seule part d’entretien retenue au titre des charges, et maintient l’indemnité d’occupation avec un abattement de 20 %, sa valeur locative devant être expertisée.

I. Le sens de la décision: exigence de preuve et consécration de l’occupation privative

A. La preuve du paiement des dépenses conservatoires au regard de l’article 815‑13

La cour rappelle le cadre textuel en citant l’article 815‑13 du code civil: « Lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité (…) Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens (…) ». Elle réaffirme ensuite la qualification des taxes foncières en dépenses incombant à l’indivision, en relevant qu’« il est de jurisprudence constante que l’impôt foncier, qui tend à la conservation de l’immeuble indivis, incombe à l’indivision ».

Encore faut‑il établir un paiement effectif par l’indivisaire qui sollicite l’imputation. Les avis d’imposition et la simple mention manuscrite de numéros de chèques s’avèrent insuffisants. Les relevés bancaires produits, massivement caviardés, ne permettent aucune identification certaine de l’affectation des débits. La cour constate ainsi que « ceci ne révèle pas un paiement effectif », et infirme la fixation d’une créance au titre des taxes foncières, faute de preuve probante. En revanche, la part de charges d’entretien déjà individualisées et étrangères à la jouissance privative demeure supportée par l’indivision, à hauteur précisément reconnue par les premiers juges.

B. L’indemnité d’occupation sur le fondement de l’article 815‑9

Pour la jouissance privative, la cour se fonde sur l’article 815‑9, alinéa 2, du code civil: « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination (…) L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité. » Elle précise le régime probatoire par une formule de principe claire: « La charge de la preuve de l’occupation privative par un indivisaire et de la privation de jouissance incombe à celui qui s’en prévaut. »

Les éléments de la cause établissent une occupation exclusive durable, l’absence de libre accès des coïndivisaires et une configuration des lieux peu compatible avec une jouissance partagée. La cour confirme en conséquence la dette d’indemnité d’occupation à compter du 12 février 2017 et jusqu’au partage ou à la libération des lieux. Elle rappelle en outre que « cette indemnité est en principe équivalente à la valeur locative du bien » et qu’elle doit être corrigée par un abattement tenant à la précarité de l’occupation, fixé ici à 20 %, niveau jugé usuel. La valeur locative sera déterminée par expertise, afin de garantir une évaluation objective et actuelle.

II. Valeur et portée: rigueur probatoire accrue et balises pratiques de la jouissance indivise

A. Une exigence probatoire salutaire au service de la sécurité des partages

La solution présente une cohérence méthodologique, en distinguant nettement la nature des charges et la qualité de la preuve. Le rappel selon lequel l’impôt foncier pèse, en principe, sur l’indivision s’accompagne d’une rigueur probatoire forte, commandée par l’article 815‑13. La cour n’admet pas les démonstrations lacunaires, ni les pièces illisibles ou caviardées. Cette sévérité, proportionnée, sécurise les comptes de l’indivision et, en pratique, incite à produire des pièces bancaires complètes, des quittances et des décomptes détaillant charges communes et charges de jouissance.

Cette ligne évite les immixtions spéculatives dans le passif à partager et favorise le travail du notaire liquidateur. Elle souligne que l’invocation abstraite de risques de recouvrement forcé par le Trésor ne vaut pas preuve, laquelle doit rester positive, traçable et contradictoire. La décision, à cet égard, stabilise utilement la pratique contentieuse des partages judiciaires.

B. Des repères consolidés pour l’indemnité d’occupation dans l’indivision

Sur l’indemnité, l’arrêt renforce des critères déjà bien établis: caractérisation d’une occupation exclusive, privation corrélative de jouissance des autres, base égalée à la valeur locative, puis abattement de précarité. La référence explicite à la règle selon laquelle « l’indivisaire qui use ou jouit privativement (…) est (…) redevable d’une indemnité » conforte la prévisibilité de la réponse. L’abattement de 20 % demeure le standard lorsque aucun élément particulier ne commande un ajustement supérieur.

La détermination par expertise de la valeur locative assure une mesure fidèle, actualisée et partageable. Cette articulation, combinée à la borne temporelle fixée, favorise une liquidation équitable et évite les estimations unilatérales. La portée pratique est immédiate: les coïndivisaires doivent veiller à documenter l’accès effectif au bien et, le cas échéant, l’impossibilité concrète d’en jouir, la preuve de ces circonstances orientant décisivement l’assiette et le quantum de l’indemnité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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