Cour d’appel de Metz, le 11 septembre 2025, n°24/00407

Rendue par la Cour d’appel de Metz le 11 septembre 2025, cette décision tranche un litige né d’un bail rural verbal portant sur plusieurs parcelles. À la suite du décès du bailleur en 2013, ses héritiers, propriétaires indivis, ont réclamé des fermages impayés sur six exercices. Le preneur a contesté la surface louée et l’indexation retenue. Le tribunal paritaire des baux ruraux de Sarreguemines, le 5 février 2024, a partiellement fait droit à la demande en condamnant le preneur au paiement d’un arriéré réduit. Les indivisaires ont formé appel par lettre recommandée du 29 février 2024.

Au stade de l’appel, la juridiction a relevé l’absence de signature au bas de l’acte d’appel ainsi que l’absence de pouvoirs spéciaux conférés au représentant pour agir au nom de chacun des indivisaires. Les appelants ont soutenu que la page de garde identifiait les coindivisaires et que des procurations avaient ensuite été transmises. L’intimé a sollicité la confirmation du jugement. La cour a centré le débat sur la validité de la saisine en procédure sans représentation obligatoire et la détermination exacte des appelants.

La question posée était celle de savoir si, en matière relevant du régime oral sans représentation obligatoire, la déclaration d’appel dépourvue de signature, et ne désignant pas expressément ses auteurs, peut valablement saisir la juridiction. La cour répond par la négative, rappelant que « Ne peut être considéré comme valant déclaration d’appel, l’acte qui ne comporte pas la signature de son auteur », et en déduit l’irrecevabilité du recours.

I. Le sens de la décision: un formalisme protecteur de la saisine d’appel

A. Le cadre légal de la procédure orale sans représentation obligatoire
La cour rappelle d’abord le périmètre procédural applicable aux appels des décisions des juridictions spécialisées en matière rurale. Elle énonce que « Il résulte des dispositions combinées des articles 892 et 946 du code de procédure civile que la procédure d’appel des jugements rendus par le tribunal paritaire des baux ruraux, est orale et sans représentation obligatoire ». Cette précision commande le régime de l’acte de saisine, lequel n’emprunte pas le canal d’un ministère d’avocat obligatoire, mais demeure strictement encadré par le code.

Sur cette base, l’exigence de la forme n’est pas atténuée par l’oralité de la procédure. La cour rattache la régularité de la déclaration d’appel aux prescriptions de droit commun des procédures sans représentation, afin d’assurer une identification certaine de la volonté d’exercer le recours et des personnes qui l’assument.

B. Les exigences substantielles de la déclaration d’appel
La juridiction précise ensuite le contenu impératif de l’acte d’appel dans ce régime. Elle vise le texte selon lequel « En application des articles 932, 933 et 57 du même code dans leur version applicable au litige, dans les procédures sans représentation obligatoire, la cour d’appel est saisie par une déclaration d’appel que la partie ou tout mandataire fait ou adresse sous pli recommandé au greffe de la cour. Elle est datée et signée ». La signature, qui atteste l’imputation de l’acte à son auteur, constitue une condition de validité, non une formalité accessoire.

La cour en déduit une règle opératoire, formulée en termes généraux et dépourvus d’ambiguïté: « Ne peut être considéré comme valant déclaration d’appel, l’acte qui ne comporte pas la signature de son auteur ». Appliquant ce principe, elle constate l’absence de signature, l’absence de pouvoirs spéciaux pour agir au nom de chaque indivisaire, et l’indétermination des appelants, de sorte que « Il s’en déduit que l’appel est irrecevable ». L’irrégularité affecte la saisine même de la cour et commande le rejet procédural du recours.

II. Valeur et portée: une rigueur cohérente, aux conséquences pratiques marquées

A. Une solution conforme à la sécurité juridique et à la logique de l’indivision
La solution consacre une approche stricte, mais prévisible, du régime de l’acte d’appel en procédure orale. L’exigence de signature garantit l’authenticité de la volonté de contester le jugement et la traçabilité de la saisine. Elle répond à un objectif de sécurité juridique, qui ne souffre pas l’approximation. Lorsque des indivisaires entendent exercer un recours, l’identification expresse de chacun, et le pouvoir spécial du mandataire, assurent que l’acte produit les effets attendus pour tous et seulement pour eux.

Cette rigueur est particulièrement justifiée en indivision, où la communauté d’intérêts n’efface ni l’autonomie procédurale de chaque indivisaire ni la nécessité d’une représentation non équivoque. En imposant la signature et le pouvoir spécial, la cour prévient les situations de représentation tacite incertaine, sources potentielles de nullités ou de contestations ultérieures.

B. Des enseignements pratiques pour la conduite des recours en matière rurale
La portée pratique de l’arrêt est nette. En matière de baux ruraux, l’oralité de la procédure n’allège pas le formalisme de l’acte d’appel. L’auteur doit signer; le mandataire doit justifier d’un pouvoir spécial; les appelants doivent être identifiés sans équivoque dès la déclaration. À défaut, la sanction n’est pas une simple régularisation facultative, mais l’irrecevabilité, dès lors que la cour constate une saisine inexistante ou indéterminée.

L’arrêt invite, plus largement, à une discipline rédactionnelle des actes d’appel dans les contentieux sans représentation obligatoire. Il rappelle que la forme fait corps avec le droit au recours, en ce qu’elle permet l’exercice effectif et loyal des droits de la défense. Par cette affirmation, la Cour d’appel de Metz éclaire la pratique: la signature n’est pas un ornement, mais l’élément constitutif de l’acte de saisine.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture