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La Cour d’appel de Metz, dans un arrêt du 19 juin 2025, a eu à se prononcer sur la mise en œuvre d’engagements de cautionnement souscrits par une personne physique au profit d’une banque, dans le cadre de contrats de crédit-bail mobilier consentis à une société de transport.
Une société de droit luxembourgeois a conclu entre décembre 2016 et juillet 2018 sept contrats de crédit-bail portant sur des véhicules de transport. Le gérant de cette société s’est porté caution personnelle et solidaire de ces engagements, avec le consentement de son épouse, pour des montants cumulés excédant cinq cent mille euros. La société débitrice a cessé de régler les loyers à compter de septembre 2018. L’établissement bancaire a mis en demeure la caution de régler une somme de 358 297,60 euros par lettre du 2 août 2019.
Le tribunal judiciaire de Metz, statuant par jugement réputé contradictoire du 13 avril 2021, a condamné la caution au paiement de la somme de 338 652,33 euros majorée des intérêts au taux légal. La caution a interjeté appel puis est décédée le 19 novembre 2021. Ses héritiers ont été assignés en intervention forcée. Quatre enfants ayant renoncé à la succession, seule la veuve, acceptante, demeure tenue des dettes successorales. La banque forme appel incident sur le quantum de la créance.
Les héritiers soutiennent que la banque ne peut se prévaloir des cautionnements en raison de leur caractère manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution lors de leur souscription. Ils contestent subsidiairement le caractère certain, liquide et exigible de la créance réclamée.
La question posée à la Cour d’appel de Metz était de déterminer si un établissement bancaire peut se prévaloir d’engagements de cautionnement dont le caractère disproportionné est allégué par les ayants droit de la caution décédée.
La cour infirme partiellement le jugement entrepris. Elle prononce la mise hors de cause des héritiers renonçants et condamne la veuve, en qualité d’unique héritière, au paiement de la somme de 225 510,93 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 2019 et capitalisation des intérêts échus.
Cette décision invite à examiner les conditions de mise en œuvre du cautionnement disproportionné (I), avant d’analyser l’étendue des obligations pesant sur les héritiers de la caution (II).
I. L’appréciation du caractère disproportionné du cautionnement
L’examen de la disproportion manifeste suppose d’en préciser le cadre juridique applicable (A), puis d’en étudier la mise en œuvre au cas d’espèce (B).
A. Le régime juridique de la disproportion manifeste
L’article L. 341-4 du code de la consommation, devenu L. 332-1 du même code, interdit au créancier professionnel de se prévaloir d’un cautionnement « manifestement disproportionné » aux biens et revenus de la caution lors de sa conclusion. Cette disposition protectrice vise à prévenir les engagements excessifs susceptibles de ruiner la caution personne physique.
La cour rappelle que « la disproportion s’apprécie au regard des éléments dont dispose le créancier au moment de la souscription de l’engagement ». Le créancier n’est pas tenu de vérifier l’exactitude des déclarations patrimoniales de la caution, sauf anomalie apparente. La charge de la preuve de la disproportion incombe à la caution qui l’invoque.
La jurisprudence de la Cour de cassation impose une appréciation in concreto tenant compte de l’ensemble du patrimoine déclaré, des revenus professionnels et des autres engagements de caution en cours. L’adverbe « manifestement » traduit l’exigence d’un déséquilibre flagrant, et non d’une simple inadéquation.
Le caractère proportionné doit être vérifié pour chaque engagement pris séparément, mais également au regard du cumul des cautionnements souscrits auprès du même créancier. Cette double appréciation permet d’appréhender la situation réelle de la caution.
B. L’application au cas d’espèce
En l’espèce, les héritiers invoquaient la disproportion des sept engagements cumulés, représentant plus de cinq cent soixante-cinq mille euros de garanties. Ils soutenaient que les revenus et le patrimoine de la caution ne permettaient pas de faire face à de telles obligations.
La cour relève que la caution avait déclaré dans les fiches patrimoniales communiquées à la banque des revenus annuels de 60 000 euros et un patrimoine immobilier évalué à 300 000 euros. Elle était également associée de la société débitrice principale. Ces éléments figuraient dans les documents contractuels produits par l’établissement bancaire.
La cour considère que « le créancier pouvait légitimement se fonder sur les déclarations de la caution, en l’absence d’anomalie apparente ». Elle ajoute que les revenus déclarés et la valeur du patrimoine immobilier permettaient, au moment de la souscription, de considérer les engagements comme proportionnés aux capacités financières déclarées.
La cour rejette le moyen tiré de la disproportion en retenant que les héritiers ne rapportent pas la preuve du caractère manifestement excessif des engagements au regard des éléments déclarés. Elle valide ainsi la possibilité pour la banque de se prévaloir des cautionnements litigieux.
II. La transmission passive des obligations de caution aux héritiers
La question de la mise hors de cause des renonçants (A) précède celle de l’étendue de l’obligation de l’héritier acceptant (B).
A. L’effet libératoire de la renonciation à succession
L’article 806 du code civil dispose que « le renonçant est censé n’avoir jamais été héritier » et qu’il « n’est pas tenu au paiement des dettes et charges de la succession ». Cette règle protège l’héritier qui refuse de recueillir un patrimoine déficitaire.
La cour fait application de ce texte en prononçant la mise hors de cause des quatre enfants ayant valablement renoncé à la succession paternelle. Elle précise que ces derniers ont « un intérêt légitime à ce que la cour les déclare hors de cause, comme étant non tenus au paiement des dettes de leur père ».
La décision distingue entre les enfants majeurs ayant personnellement renoncé et les enfants mineurs pour lesquels la mère, administratrice légale, a exercé la renonciation en leur nom. Dans les deux hypothèses, l’effet libératoire est identique.
La cour refuse de statuer sur la mise hors de cause d’une fille non assignée en intervention forcée par la banque. N’étant pas partie à l’instance, elle ne peut faire l’objet d’une décision de mise hors de cause. Cette solution procédurale témoigne du respect du principe dispositif.
B. L’étendue de l’obligation de l’héritier acceptant
La veuve ayant accepté la succession, elle recueille l’actif mais supporte également le passif dans la limite de ses droits héréditaires. L’article 785 du code civil pose le principe de la continuation de la personne du défunt par ses héritiers acceptants.
La cour retient que « Mme [K] [B] indique qu’elle n’a pas renoncé à la succession de son mari ». Elle est donc tenue au paiement des dettes de la succession, incluant les engagements de cautionnement souscrits par le défunt.
La banque actualise sa créance à la somme de 225 510,93 euros, tenant compte des restitutions de matériels et de leur valorisation. La cour fait droit à cette demande en infirmant le jugement sur le quantum initialement retenu de 338 652,33 euros.
La cour ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil. Elle précise que les intérêts échus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts, alourdissant la charge finale de la dette. Cette mesure, sollicitée par la banque, renforce l’effectivité de sa créance contre l’héritière acceptante.