- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par un arrêt du 19 juin 2025, la Cour d’appel de Metz s’est prononcée sur l’articulation entre le secret médical et les droits de la défense dans le cadre d’une expertise judiciaire en matière de responsabilité médicale.
Un enfant avait été victime d’une chute de son toit le 14 septembre 2023, nécessitant son transfert dans un centre hospitalier où une fracture luxation de la hanche gauche fut diagnostiquée et opérée. Le lendemain, un scanner cérébral révélait une aggravation majeure de lésions cérébrales. Le patient fut héliporté vers un autre établissement hospitalier mais décéda le 16 septembre 2023. Les ayants droit, estimant qu’une faute ou négligence avait pu intervenir dans la prise en charge, assignèrent les établissements hospitaliers en référé aux fins d’obtenir une expertise médicale.
Par ordonnance du 25 juin 2024, le juge des référés fit droit à cette demande et désigna deux experts. La mission précisait que ceux-ci devaient se faire communiquer tout document médical utile « avec l’accord de ses ayants-droits ». L’un des établissements hospitaliers interjeta appel de cette ordonnance, contestant uniquement le fait que la communication des documents médicaux soit conditionnée à l’accord des demandeurs. L’autre établissement forma appel incident aux mêmes fins.
Les appelants soutenaient que cette condition portait une atteinte disproportionnée à leurs droits de la défense, les privant de la possibilité de produire spontanément tout élément du dossier médical nécessaire à leur défense dans une procédure où leur responsabilité était recherchée.
La question posée à la Cour d’appel de Metz était donc de déterminer si, dans le cadre d’une expertise judiciaire relative à une responsabilité médicale, le professionnel de santé mis en cause peut communiquer le dossier médical du patient à l’expert sans l’accord préalable des ayants droit, ou si une telle communication doit demeurer soumise au consentement de ces derniers en application du secret médical.
La cour a infirmé partiellement l’ordonnance du premier juge en jugeant que les établissements hospitaliers pourraient produire les éléments et pièces médicales nécessaires à leur défense sans que les règles du secret médical puissent leur être opposées.
I. La confrontation du secret médical aux exigences du procès équitable
A. Le secret médical, principe protecteur du patient
La cour rappelle d’emblée le fondement textuel du secret médical en citant l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, lequel dispose que « toute personne prise en charge par un professionnel de santé […] a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ». Ce secret, institué dans l’intérêt du patient, couvre l’ensemble des informations venues à la connaissance des professionnels de santé.
L’arrêt souligne que ce principe s’impose à tous les intervenants du système de santé et que le partage d’informations entre professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins requiert le consentement préalable du patient. La cour mentionne également la sanction pénale attachée à la violation de ce secret, soit un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Cette insistance sur le cadre légal démontre que la juridiction n’entend nullement minimiser l’importance de cette protection.
Ce rappel liminaire permet de mesurer la gravité de l’atteinte qu’implique toute dérogation au secret médical. La cour pose ainsi les termes du conflit normatif qu’elle doit trancher.
B. Les droits de la défense, exigence de valeur constitutionnelle et conventionnelle
Face au secret médical, la cour identifie un autre principe ayant valeur constitutionnelle : la préservation des droits de la défense. Elle invoque également l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui consacre le droit à un procès équitable et le principe de l’égalité des armes.
La cour relève que l’article L. 1110-4 du code de la santé publique autorise lui-même des exceptions au secret médical « dans les seuls cas de dérogation expressément prévus par la loi et donc également par le droit conventionnel ». Cette formulation intègre la norme conventionnelle comme source autonome de dérogation, ce qui constitue une interprétation extensive du texte.
L’arrêt cite expressément la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 octobre 2006 selon laquelle « la production d’une pièce médicale en justice peut être produite […] à condition que cela soit une preuve indispensable pour l’issue du litige et à la condition que les informations contenues dans la pièce ne dépassent pas l’objet du litige ». Cette référence fonde la légitimité de l’atteinte au secret médical sur le terrain conventionnel.
II. L’admission d’une dérogation au secret médical au profit du professionnel de santé mis en cause
A. Le caractère disproportionné de la condition imposée par le premier juge
La cour considère que « s’agissant d’un litige portant sur une responsabilité médicale, il est certain que l’examen de l’ensemble des pièces relatives au parcours médical suivi et à l’état du patient sont indispensables pour la solution du litige ». Elle ajoute que « le risque de voir opposer le secret médical à la communication des pièces utiles ruinerait l’objet même de l’expertise ordonnée, entraverait l’exercice de la mission ».
Le premier juge avait conditionné la production du dossier médical à l’accord des demandeurs. La cour juge que cette condition met « les structures médicales appelantes dans l’impossibilité d’organiser pleinement leur défense alors qu’elles sont recherchées dans leur responsabilité pour d’éventuels manquements à leurs obligations ». Elle qualifie cette restriction de disproportionnée au regard des intérêts en présence.
Cette appréciation repose sur un contrôle de proportionnalité entre deux droits fondamentaux. La cour fait prévaloir les droits de la défense au motif que l’atteinte au secret médical demeure limitée par l’objet du litige et encadrée par la mission expertale.
B. Le rôle de l’expert médecin comme garantie de la préservation du secret
La cour relève que l’atteinte au secret médical est tempérée par la qualité même de l’expert désigné. Elle indique que « l’expert, lui-même médecin, appréciera les seules pièces pertinentes strictement nécessaire à l’objet du litige et à l’accomplissement de sa mission pour l’établissement de son rapport ». L’expert constitue ainsi un filtre qui garantit que les informations communiquées ne dépasseront pas ce qui est nécessaire.
Cette solution présente l’intérêt de ne pas abolir le secret médical mais de le relativiser dans un cadre procédural déterminé. L’expert n’a pas vocation à divulguer l’intégralité du dossier médical aux parties mais à en extraire les éléments pertinents pour répondre à sa mission. Le rapport d’expertise constituera le document accessible aux parties, et non le dossier médical brut.
La décision de la Cour d’appel de Metz s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle favorable à l’assouplissement du secret médical lorsque la responsabilité du professionnel de santé est recherchée. Elle consacre un équilibre où le praticien peut se défendre sans que le patient ou ses ayants droit puissent lui opposer le secret qu’il a lui-même contribué à constituer. La portée de cet arrêt paraît significative en ce qu’il affirme clairement que le secret médical ne saurait devenir un instrument de déséquilibre procédural au détriment du soignant mis en cause.