Cour d’appel de Metz, le 19 juin 2025, n°24/01520

La répartition des compétences entre les ordres juridictionnels constitue un pilier du droit processuel français. La cour d’appel de Metz, par un arrêt du 19 juin 2025, rappelle avec fermeté les contours de cette frontière dans le cadre d’un appel en garantie dirigé contre une agence régionale de santé.

Une fondation reconnue d’utilité publique exploitait une activité hospitalière. Une commune avait engagé des frais d’études pour des projets immobiliers destinés à accueillir cette activité. Ces projets n’ayant pas abouti, la commune a émis des titres exécutoires contre la fondation pour obtenir le remboursement des sommes avancées. La fondation a contesté ces titres devant le tribunal administratif de Strasbourg, lequel s’est déclaré incompétent par jugement du 18 juillet 2022. La fondation a alors saisi le tribunal judiciaire de Metz pour obtenir l’annulation des titres. Parallèlement, elle a assigné en intervention forcée l’agence régionale de santé afin de la voir garantir de toute condamnation. L’agence a soulevé l’incompétence matérielle du juge judiciaire. Par ordonnance du 20 juin 2024, le juge de la mise en état a fait droit à cette exception et renvoyé les parties à mieux se pourvoir. La fondation a interjeté appel. Elle soutenait que le tribunal administratif ayant déjà reconnu le caractère privé du litige principal, le juge judiciaire était compétent pour statuer sur l’ensemble du contentieux, y compris l’appel en garantie. L’agence invoquait le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. La question posée à la cour était de déterminer si le juge judiciaire est compétent pour connaître d’un appel en garantie formé par une personne privée contre un établissement public administratif dans le cadre d’un litige principal relevant de l’ordre judiciaire. La cour confirme l’ordonnance en retenant que « hors demande de référé avant procédure au fond, il n’existe aucune dérogation autorisant le juge judiciaire à condamner l’administration ».

La cour réaffirme le caractère intangible du principe de séparation des pouvoirs en matière de répartition des compétences (I), tout en précisant les limites de l’autorité des décisions antérieures d’incompétence (II).

I. La confirmation du principe de séparation des autorités

La cour rappelle les fondements textuels du principe (A) avant d’en déduire l’incompétence du juge judiciaire pour condamner l’administration (B).

A. Le rappel des fondements légaux historiques

La cour vise expressément les textes fondateurs de la dualité juridictionnelle. L’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 dispose que « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives ». Le décret du 16 fructidor an III interdit aux tribunaux de « connaitre des actes d’administration ». Ces dispositions bicentenaires demeurent le socle de la répartition des compétences. La cour les reproduit intégralement dans sa motivation, soulignant leur actualité.

L’agence régionale de santé constitue un établissement public de l’État à caractère administratif. Cette qualification emporte des conséquences procédurales déterminantes. Les actions dirigées contre un tel établissement relèvent par principe de la juridiction administrative. La cour ne s’écarte pas de cette règle cardinale. Elle refuse toute interprétation extensive qui permettrait au juge judiciaire de statuer sur la responsabilité d’une personne publique au seul motif de la connexité avec un litige privé.

B. L’absence de dérogation applicable en l’espèce

La cour reconnaît l’existence d’exceptions au principe de séparation. Elle évoque la jurisprudence du Tribunal des conflits du 23 octobre 2000 autorisant le juge des référés judiciaire à ordonner des mesures d’instruction contre l’administration. Cette exception demeure toutefois circonscrite aux mesures provisoires ordonnées « avant tout procès au fond ». Elle ne saurait être étendue à une action au fond en garantie.

La fondation invoquait la nécessité d’un traitement unifié du litige pour éviter des décisions contradictoires. La cour écarte cet argument en relevant que « un appel en intervention forcée exercé devant le tribunal judiciaire de METZ, n’emporte aucune exception à ce principe de séparation ». L’appel en garantie met en cause « la responsabilité de l’Etat à travers ses agences régionales ». Cette mise en cause relève exclusivement de la juridiction administrative, quelle que soit la nature du litige principal. La cour distingue ainsi nettement les actions selon leur direction : celles engagées par l’administration contre des personnes privées relèvent du juge judiciaire ; celles engagées par des personnes privées contre l’administration ressortissent au juge administratif.

II. Le rejet des arguments tirés de la décision antérieure d’incompétence

La cour examine l’autorité de la décision du tribunal administratif (A) puis écarte l’argument tiré de la litispendance (B).

A. L’effet relatif de la décision administrative d’incompétence

La fondation soutenait que le tribunal administratif de Strasbourg, en se déclarant incompétent, avait reconnu la compétence du juge judiciaire pour l’ensemble du litige. La cour réfute cette analyse. Elle relève qu’il « est vain de soutenir que la décision d’incompétence du tribunal administratif puisse s’imposer à une partie non appelée à ce litige telle l’Agence Régionale de Santé ». L’agence n’était pas partie à l’instance devant le tribunal administratif. La décision d’incompétence ne peut donc lui être opposée.

La cour précise la portée exacte du jugement administratif. Celui-ci reposait sur le principe qu’une « personne morale à caractère public voulant engager la responsabilité d’une personne privée doit saisir le juge judiciaire ». Cette règle concerne uniquement les actions de l’administration contre les particuliers. Elle ne statue aucunement sur la compétence pour les actions inverses. Le renvoi vers le juge judiciaire « ne créé aucune dérogation au principe de la séparation des pouvoirs ». La cour rappelle que le tribunal administratif n’était pas saisi de cette question.

B. L’inapplicabilité des règles de litispendance entre ordres juridictionnels

La fondation invoquait les articles 100 et 101 du code de procédure civile relatifs à la litispendance. Elle craignait que l’engagement de deux instances parallèles ne conduise à des difficultés procédurales. La cour rejette cette argumentation en précisant que la litispendance « ne concernent que des juridictions également compétentes ». Or les juridictions judiciaires et administratives ne sont pas également compétentes au sens de ces dispositions. Elles appartiennent à deux ordres distincts. Les règles de litispendance ne s’appliquent pas entre eux.

La cour ajoute que la situation procédurale d’une « procédure en responsabilité et d’un appel en garantie » ne relève pas davantage de ce mécanisme. La jonction demandée par la fondation perd son objet du fait de l’incompétence prononcée. La cour confirme donc le rejet de cette demande par le premier juge. Elle valide ainsi la solution consistant à renvoyer les parties devant leurs juges respectifs selon la qualité du défendeur. Cette répartition, si elle peut sembler source de complexité, garantit le respect du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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