Cour d’appel de Metz, le 2 juillet 2025, n°22/02398

L’arrêt rendu le 2 juillet 2025 par la cour d’appel de Metz, chambre sociale, section 1, constitue une décision avant dire droit ordonnant la réouverture des débats pour des motifs tenant à la composition de la juridiction. Cette décision, apparemment technique, soulève une question procédurale fondamentale relative à l’impartialité du juge et au principe du double degré de juridiction.

Un salarié avait été embauché par une société en qualité d’ouvrier métallier. À compter de juin 2020, ses fonctions avaient été modifiées pour l’affecter au contrôle des arrivées et à la préparation des affaires. Le 30 juin 2020, il était victime d’un accident du travail donnant lieu à un arrêt jusqu’à la rupture des relations contractuelles. Le 11 septembre 2020, l’employeur lui notifiait son licenciement pour faute grave, lui reprochant d’avoir validé des bons de livraison attestant de la conformité de pièces dont certaines ne présentaient pas les dimensions commandées.

Le salarié saisissait le conseil de prud’hommes de Thionville, contestant la régularité et le bien-fondé de son licenciement. Par jugement de départage du 13 septembre 2022, la juridiction prud’homale condamnait l’employeur au versement de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement mais déboutait le salarié de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité ou l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Le salarié relevait appel le 13 octobre 2022.

Le salarié demandait à titre principal que son licenciement soit déclaré nul, la faute grave n’étant selon lui pas caractérisée et le licenciement étant intervenu pendant une période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail. Subsidiairement, il sollicitait que le licenciement soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur concluait à la confirmation du jugement en ce qu’il avait rejeté ces demandes et à son infirmation concernant les condamnations prononcées à son encontre.

La question posée à la cour était de savoir si elle pouvait valablement statuer sur le fond du litige alors que sa composition comprenait le juge départiteur ayant rendu la décision de première instance.

La cour d’appel de Metz ordonne la réouverture des débats et renvoie l’affaire à une audience autrement composée, au motif que « la composition de la présente cour à l’audience de double rapporteur du 21 janvier 2025 comprenant le juge départiteur ayant statué en première instance », cette configuration ne permet pas de statuer.

Cette décision met en lumière l’application des principes d’impartialité objective à la composition des formations de jugement en appel (I) et révèle les implications pratiques de cette exigence pour l’organisation juridictionnelle (II).

I. L’incompatibilité de principe entre les fonctions de juge départiteur et de conseiller d’appel

A. Le fondement textuel de l’interdiction de siéger

La cour d’appel de Metz fonde implicitement sa décision sur l’article L. 1423-6 du code du travail qui dispose que « ne peut siéger en appel le juge qui, en qualité de juge départiteur, a connu de l’affaire en premier ressort ». Cette interdiction trouve également son assise dans l’article 341 du code de procédure civile relatif aux causes de récusation, lequel prévoit qu’un juge peut être récusé s’il a « précédemment connu de l’affaire comme juge ».

La cour relève que « la composition de la présente cour à l’audience de double rapporteur du 21 janvier 2025 comprenant le juge départiteur ayant statué en première instance ». Cette constatation suffit à justifier le renvoi de l’affaire. Le législateur a en effet considéré qu’un magistrat qui s’est déjà prononcé sur le fond d’un litige ne peut ensuite connaître du même litige en appel sans que son impartialité soit légitimement mise en doute.

Cette règle s’inscrit dans la logique du double degré de juridiction qui suppose un examen renouvelé par des juges n’ayant pas participé à la première décision. Permettre au juge départiteur de siéger en appel reviendrait à le faire statuer deux fois sur la même affaire, vidant ainsi de sa substance le recours en appel.

B. La protection de l’impartialité objective

L’exigence d’impartialité objective, consacrée par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, impose que les juridictions offrent des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à leur impartialité. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé à plusieurs reprises que la participation successive d’un même magistrat aux différents degrés de juridiction peut constituer une violation de cette exigence.

La décision de la cour d’appel de Metz traduit une application rigoureuse de cette jurisprudence européenne. Il ne s’agit pas de suspecter le magistrat concerné d’une quelconque partialité personnelle. L’interdiction est objective et s’applique indépendamment de toute appréciation sur le comportement individuel du juge. C’est l’apparence d’impartialité qui est en cause, non l’impartialité subjective du magistrat.

Cette conception objective de l’impartialité répond à l’adage selon lequel la justice doit non seulement être rendue mais aussi paraître être rendue équitablement. Le justiciable doit pouvoir être assuré que les juges d’appel examineront son affaire avec un regard neuf, sans être influencés par une opinion déjà formée lors d’une précédente instance.

II. Les conséquences procédurales de l’irrégularité de composition

A. Le mécanisme de la réouverture des débats

Face à l’irrégularité constatée, la cour d’appel de Metz choisit d’ordonner « la réouverture des débats » et de renvoyer « l’affaire à une audience autrement composée ». Cette solution procédurale préserve les droits des parties tout en permettant la régularisation de la procédure. Elle évite la nullité des actes accomplis et maintient l’effet dévolutif de l’appel.

La cour « réserve à statuer au fond », ce qui signifie que l’ensemble des questions litigieuses demeure pendant. Les conclusions des parties restent valables et n’auront pas à être reprises. Seule l’audience de plaidoirie devra être renouvelée devant une formation régulièrement composée. Cette économie procédurale témoigne d’un souci de bonne administration de la justice.

Le renvoi à l’audience du 3 septembre 2025 laisse un délai suffisant pour permettre la désignation d’une nouvelle composition et la préparation de l’affaire. La mention que « le présent arrêt valant convocation pour cette audience » simplifie le formalisme et évite aux parties de devoir être à nouveau convoquées.

B. La portée de la décision avant dire droit

L’arrêt du 2 juillet 2025 constitue une décision avant dire droit au sens de l’article 482 du code de procédure civile. Il ne tranche aucune partie du principal et ne met pas fin à l’instance. Il se borne à ordonner une mesure d’instruction ou, en l’espèce, une mesure d’administration judiciaire tendant à la régularisation de la composition de la juridiction.

Cette qualification emporte des conséquences importantes. L’arrêt avant dire droit ne dessaisit pas la cour qui demeure compétente pour statuer au fond. Il n’est en principe pas susceptible d’un pourvoi en cassation immédiat, sauf dans les cas prévus par l’article 607 du code de procédure civile. Les parties devront attendre la décision au fond pour contester, le cas échéant, l’arrêt du 2 juillet 2025.

La décision met en évidence la vigilance des juridictions quant au respect des règles de composition. Cette vigilance peut intervenir à tout moment de la procédure, y compris tardivement après l’audience de plaidoirie. Elle illustre le caractère d’ordre public des règles relatives à l’impartialité, qui s’imposent au juge indépendamment de toute demande des parties. La cour a relevé d’office l’irrégularité, sans qu’il apparaisse des conclusions des parties qu’elles l’aient invoquée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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