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Par un arrêt de la Cour d’appel de Metz, chambre sociale, section Sécurité sociale, du 23 juin 2025, la juridiction a statué sur l’imputabilité à faute inexcusable d’un exploitant minier à raison d’une maladie professionnelle liée à l’amiante et sur les conséquences indemnitaires afférentes. L’espèce concerne un salarié affecté dans les houillères de 1979 à 2005, chez lequel des plaques pleurales, tableau n°30 B, ont été reconnues et consolidées avec un taux d’incapacité de 5 %, ouvrant droit à une indemnité en capital. Le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, par jugement du 23 décembre 2022, avait retenu la faute inexcusable de l’employeur, ordonné la majoration maximale et alloué 8 000 euros au titre des souffrances morales et 2 000 euros au titre du préjudice d’agrément, tout en rejetant les souffrances physiques.
En appel, le salarié a sollicité une réévaluation substantielle de ses préjudices personnels. L’employeur a formé appel incident, contestant l’existence d’une faute inexcusable, et à titre subsidiaire la réalité ou l’étendue des chefs de préjudice. La caisse, intervenante, s’est en remise sur le principe et les montants, tout en revendiquant l’action récursoire. La question posée était double. D’une part, la juridiction devait apprécier la réunion des deux conditions de la faute inexcusable au regard d’un risque amiante objectivé et anciennement connu. D’autre part, elle devait trancher l’ouverture et l’évaluation des préjudices personnels après le revirement relatif à la portée de la rente ou de l’indemnité en capital.
La Cour confirme la faute inexcusable et en tire les conséquences indemnitaires. Elle rappelle le standard jurisprudentiel, reconnaît la valeur probante des témoignages versés, et précise, au regard de la jurisprudence récente, l’autonomie des souffrances physiques et morales à réparer, en fixant finalement 1 000 euros au titre des souffrances physiques, 14 000 euros au titre du préjudice moral, tout en confirmant 2 000 euros pour l’agrément, la majoration et l’action récursoire.
I. Les conditions de la faute inexcusable en contexte amiante
A. La conscience du danger au regard d’un risque ancien, encadré et documenté
La Cour rappelle d’abord le cadre normatif applicable à l’obligation générale de sécurité. Elle en énonce la traduction jurisprudentielle dans des termes constants et clairs: « Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » Cette formule invite à apprécier la conscience du risque en fonction des connaissances raisonnablement accessibles et des prescriptions applicables lors de l’exposition.
L’arrêt situe cette conscience au croisement d’un triple faisceau. La reconnaissance ancienne, dès 1945, des affections liées à l’amiante dans la nomenclature des maladies professionnelles, la réglementation sectorielle progressive, et l’organisation structurée de l’exploitation minière. La décision mobilise notamment le décret du 4 mai 1951, dont l’article 314 prescrit que « des mesures sont prises pour protéger les ouvriers contre les poussières dont l’inhalation est dangereuse ». Elle mentionne encore l’instruction de 1975, introduisant les pneumoconioses autres que la silicose et préconisant des mesures de prévention ciblées. Ainsi, la période d’emploi, courant de 1979 à 2005, recouvre un temps où la connaissance du risque et l’exigence de prévention ne pouvaient être ignorées.
L’argumentation adverse, soutenant l’impossibilité de conscience avant 1977 et la suffisance des dispositifs généraux, est discutée avec mesure. La Cour relève que les documents produits visaient principalement l’empoussiérage siliceux, et que les poussières d’amiante, bien plus fines, commandaient des protections spécifiques. Elle note en outre qu’une sensibilisation généralisée n’était encore qu’en préparation au milieu des années 1990. La conscience du danger est donc tenue pour établie, au moins à tout le moins au regard de la période utile.
B. L’insuffisance des mesures démontrée par la preuve testimoniale et les pièces générales
La seconde condition porte sur la défaillance des mesures nécessaires. La décision assoit sa conviction sur des attestations concordantes d’anciens collègues décrivant un port de masque facultatif, des équipements non adaptés au risque amiante, et une information lacunaire. La Cour assume ici un contrôle qualitatif de la preuve, qu’elle formalise en ces termes: « Les attestations sont suffisamment précises, même en l’absence des relevés de carrière des témoins, pour que la cour retienne leur force probante. » L’emploi de cette formule marque l’exigence d’une précision suffisante, plutôt que d’une exhaustivité documentaire inaccessible.
La critique dirigée contre ces témoignages est écartée, faute d’éléments inverses concrets et contemporains. Les pièces générales de l’employeur sont tenues pour inopérantes à démontrer des protections effectives contre l’amiante, compte tenu du ciblage silice et de l’absence de consignes spécifiques alléguée et corroborée. La Cour souligne, enfin, que des dispositifs de suivi médical ne préviennent pas l’apparition de la maladie et ne sauraient suppléer des mesures techniques ou organisationnelles. Les deux conditions réunies, la faute inexcusable est retenue, ce qui commande la majoration de l’indemnité en capital et ouvre la voie aux réparations complémentaires.
II. Les conséquences indemnitaires à la lumière du revirement sur le déficit fonctionnel permanent
A. L’autonomie des souffrances physiques et morales par rapport à la rente
L’arrêt replace l’indemnisation complémentaire dans l’économie de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, qui inclut les souffrances, l’agrément et la promotion professionnelle. La Cour rappelle, dans une formule synthétique, que « se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé ». Surtout, elle tire les conséquences du revirement opéré par l’Assemblée plénière quant à la portée de la rente: « la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ». En présence d’une indemnité en capital, déterminée forfaitairement par un barème lié au taux, la solution est transposée avec cohérence.
Dès lors, les souffrances physiques et morales ne sont pas absorbées par la prestation forfaitaire. Leur indemnisation autonome exige toutefois une justification circonstanciée. La Cour s’y conforme en s’appuyant sur des examens thoraciques et certificats médicaux, qui objectivent dyspnée d’effort, douleurs et limitation d’activités. Elle caractérise en outre l’angoisse spécifique liée à une pathologie irréversible de l’amiante, majorée par l’âge au diagnostic et par l’expérience sociale du risque. Le quantum est alors fixé à 1 000 euros pour les souffrances physiques, et 14 000 euros pour le préjudice moral, en cohérence avec la gravité modérée de l’atteinte fonctionnelle mais la forte charge anxiogène associée.
B. La méthode d’évaluation, le maintien du préjudice d’agrément et l’action récursoire
Le préjudice d’agrément demeure subordonné à la preuve d’une pratique antérieure régulière d’une activité spécifique devenue impossible. La Cour retient l’atteinte en présence d’une pratique sportive avérée, désormais interrompue par l’essoufflement et les douleurs, et confirme une indemnisation de 2 000 euros. La solution reflète une appréciation concrète des habitudes de vie, sans confondre gêne générale et impossibilité qualifiée. Elle maintient par ailleurs la majoration de l’indemnité en capital, laquelle suivra l’évolution du taux, et rappellera ses effets en cas de décès au bénéfice du conjoint survivant.
Sur le plan procédural et financier, l’action récursoire de la caisse est accueillie conformément aux textes applicables, qui organisent le remboursement intégral des sommes avancées au titre des majorations et des préjudices complémentaires. L’arrêt assortit ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la décision, et statue sur les frais irrépétibles au regard de l’issue du litige. L’ensemble compose une architecture indemnitaire lisible, où la prestation forfaitaire conserve sa fonction, tandis que les préjudices extrapatrimoniaux reçoivent une réparation distincte et proportionnée, sous le contrôle de la Cour.
Ainsi, la décision articule de manière rigoureuse les deux piliers de la faute inexcusable. Elle retient une conscience du danger historiquement ancrée et une carence des mesures adaptées, puis en déduit une réparation complémentaire affermie par la jurisprudence récente. L’arrêt de la Cour d’appel de Metz s’inscrit, par sa motivation et ses déterminations, dans une ligne cohérente de consolidation du droit des victimes de l’amiante en milieu minier.