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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Metz le 3 juillet 2025 s’inscrit dans le contentieux récurrent de la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’amiante chez les anciens mineurs. Un salarié ayant travaillé exclusivement au fond des mines de charbon du bassin lorrain entre 1956 et 1987 a déclaré une asbestose, pathologie inscrite au tableau n°30A des maladies professionnelles. La caisse d’assurance maladie des mines a reconnu le caractère professionnel de cette affection. L’État, venant aux droits de l’établissement public dissous, a contesté cette décision en invoquant l’absence de preuve d’une exposition effective aux poussières d’amiante.
Les faits sont les suivants. Le salarié a exercé durant trente et une années des fonctions de manœuvre, aide-piqueur, piqueur, piqueur instructeur puis installateur de taille dans les chantiers souterrains des Houillères du Bassin de Lorraine. Le 4 septembre 2018, il a déclaré une fibrose asbestosique sur la base d’un certificat médical initial. La caisse a admis le caractère professionnel de cette pathologie par décision du 17 avril 2019.
La procédure s’est déroulée ainsi. L’État a saisi la commission de recours amiable puis, après rejet de sa requête par le conseil d’administration de la caisse le 30 juin 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz. Par jugement du 29 novembre 2023, cette juridiction a confirmé la décision de prise en charge. L’État a interjeté appel le 16 décembre 2023.
Les prétentions des parties divergeaient sur un point essentiel. L’État soutenait que la caisse n’avait pas rapporté la preuve d’une exposition du salarié au risque d’inhalation de poussières d’amiante et critiquait le caractère incomplet de l’enquête administrative. La caisse répondait que l’exposition résultait des éléments du dossier, notamment du relevé de carrière, des questionnaires et des études techniques démontrant la présence d’amiante dans les équipements utilisés au fond.
La question posée à la cour était de déterminer si les conditions d’exposition professionnelle prévues par le tableau n°30A des maladies professionnelles étaient réunies à l’égard de l’employeur auquel se substitue l’État.
La Cour d’appel de Metz confirme le jugement entrepris. Elle retient que « les conditions médico-administratives du tableau n°30A étant remplies, c’est en vain que l’ANGDM prétend que la caisse a été défaillante dans son instruction ». Elle constate que le salarié a exercé au fond pendant près de trente et une années avant l’interdiction de l’amiante et que « la présence d’amiante dans les outils employés au fond, ainsi que la libération de poussières et fibres d’amiante lors de leur utilisation, ressortent de l’étude produite par la caisse ». La cour conclut que « l’exposition habituelle au risque amiante, dans le délai et les conditions prévues par le tableau n°30A, est démontrée ».
Cet arrêt soulève deux problématiques majeures. La première concerne l’établissement de la preuve de l’exposition professionnelle dans le cadre des tableaux de maladies professionnelles (I). La seconde porte sur l’étendue des obligations d’instruction incombant à la caisse et les moyens de défense de l’employeur (II).
I. La caractérisation de l’exposition professionnelle par un faisceau d’indices convergents
La cour procède à une analyse méthodique des éléments probatoires pour établir l’exposition au risque. Elle articule son raisonnement autour de la combinaison des déclarations du salarié et des données techniques objectives (A), puis détermine la portée de la présomption d’imputabilité qui en découle (B).
A. L’appréciation souveraine des éléments déclaratifs et documentaires
La cour rappelle le mécanisme probatoire applicable : « en cas de recours de l’employeur, il incombe à l’organisme de sécurité sociale qui a décidé d’une prise en charge de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau ». Cette règle découle de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale qui instaure une présomption d’origine professionnelle pour toute maladie désignée dans un tableau et contractée dans les conditions qu’il prévoit.
L’État contestait la valeur probante du questionnaire rempli par l’assuré au motif qu’il était dactylographié et présentait des similitudes avec d’autres questionnaires. La cour écarte cet argument en relevant que « le seul fait que ce questionnaire soit dactylographié et qu’il existe une similitude de rédaction avec d’autres questionnaires ne saurait remettre en cause la sincérité et l’authenticité des faits rapportés ». Elle observe que ces similitudes peuvent s’expliquer par le fait que « les assurés occupaient des postes similaires auprès du même employeur ».
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de disqualifier les éléments déclaratifs au seul motif de leur présentation formelle. La signature apposée au bas du document suffit à en garantir l’authenticité. La cour exerce ainsi pleinement son pouvoir souverain d’appréciation des preuves sans s’arrêter à des considérations purement formelles.
B. La convergence des preuves techniques et la présomption d’imputabilité
Au-delà des déclarations, la cour s’appuie sur des éléments techniques objectifs. Elle relève que « les résultats de recherche de produits contenant de l’amiante versés aux débats démontrent que la manœuvre de freinage des convoyeurs blindés, les opérations de raccourcissement de la chaîne du convoyeur, ainsi que l’utilisation des treuils, libèrent de l’amiante ». L’étude technique produite confirme que « des poussières d’amiante se déposaient sur les carters de frein de différents matériels employés au fond et équipés de systèmes de freinage en amiante ».
La cour procède ensuite à un raisonnement déductif rigoureux. Elle observe que le salarié, « en raison des différentes activités exécutées dans le cadre des chantiers du fond, a nécessairement travaillé aux côtés des véhicules blindés employés au fond de la mine ». Le tableau n°30A prévoyant une liste indicative des travaux susceptibles de provoquer l’affection, la cour souligne qu’il « n’impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu’il ait effectué des travaux l’ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d’amiante ».
Cette interprétation extensive du tableau répond à la finalité protectrice du dispositif. La présence quotidienne dans un environnement où fonctionnaient des équipements libérant de l’amiante suffit à caractériser l’exposition, indépendamment de toute manipulation directe. La cour ajoute qu’« à supposer même que le salarié n’ait pas utilisé lui-même les outils ou matériels contenant de l’amiante, il est établi qu’il a travaillé quotidiennement dans ces sites, au sein desquels il est constant qu’étaient utilisées des installations et machines contenant des matériaux amiantés ».
II. Les obligations procédurales de la caisse et la charge de la preuve contraire
L’arrêt précise les contours de l’enquête que doit mener la caisse avant de reconnaître une maladie professionnelle (A) et définit les conditions dans lesquelles l’employeur peut renverser la présomption d’imputabilité (B).
A. Le caractère suffisant de l’instruction administrative
L’État reprochait à la caisse de ne pas avoir sollicité l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et de s’être contentée de la déclaration initiale du salarié. La cour rejette ces critiques en constatant qu’« en interrogeant les intéressés et recueillant l’avis de la commission régionale, la caisse a, préalablement à sa prise de décision, diligenté une enquête au sens de l’article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ».
Cette solution rappelle que la saisine du comité régional n’est obligatoire que lorsque les conditions du tableau ne sont pas remplies ou lorsqu’une maladie hors tableau est invoquée. En l’espèce, les conditions médico-administratives étant réunies, la présomption d’imputabilité s’appliquait de plein droit sans qu’il soit nécessaire de recourir à une expertise complémentaire.
La cour écarte également l’argument tiré d’une circulaire administrative enjoignant aux directeurs régionaux de prendre systématiquement des décisions favorables aux anciens mineurs. Elle précise que « ce texte ne saurait avoir de portée dans la présente procédure, qui a précisément pour objet de vérifier que les conditions relatives au caractère professionnel de la maladie sont remplies ». Cette position réaffirme l’indépendance du contrôle juridictionnel à l’égard des orientations administratives internes.
B. L’échec de l’employeur à renverser la présomption d’origine professionnelle
Pour écarter la présomption d’imputabilité, l’employeur doit démontrer que « la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail ». La cour constate qu’« en l’absence de toute preuve contraire que le travail n’a joué aucun rôle dans le développement de la maladie », le caractère professionnel demeure établi.
L’État n’a produit aucun élément susceptible d’établir une origine extra-professionnelle de la pathologie. Il s’est borné à contester la qualité de l’instruction sans proposer d’explication alternative. Cette stratégie purement négative ne peut suffire à renverser une présomption légale. La jurisprudence exige en effet une démonstration positive d’une cause totalement étrangère au travail, et non la simple critique des éléments réunis par la caisse.
L’avis de la commission régionale conforte l’analyse de la cour en relevant que le salarié « a pu être exposé à l’inhalation de fibres d’amiante contenues dans les pièces de friction des organes de frein des installations et machines utilisées au fond ». Cet avis technique, bien que non contraignant, constitue un élément supplémentaire de conviction.
La décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle favorable aux victimes de l’amiante dans le secteur minier. Elle confirme que l’exercice prolongé de fonctions au fond des mines avant l’interdiction de l’amiante, combiné aux données techniques attestant la présence de matériaux amiantés dans les équipements, suffit à établir l’exposition professionnelle au sens du tableau n°30A.