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Par un arrêt du 10 septembre 2025, la Cour d’appel de Montpellier tranche un litige relatif à un licenciement pour inaptitude d’une salariée reconnue travailleuse handicapée. La décision confronte les règles de reclassement après inaptitude et l’obligation d’aménagement approprié due aux travailleurs handicapés, au prisme de la preuve de la discrimination.
Engagée en 2016 comme secrétaire, l’intéressée a été arrêtée pour maladie à compter de juillet 2017, puis reconnue travailleuse handicapée en mars 2018. Le médecin du travail a recommandé, lors d’une visite de pré‑reprise en mai 2018, un mi‑temps thérapeutique et un aménagement ergonomique du poste, ce qu’une seconde pré‑reprise d’octobre 2019 a confirmé à hauteur de 70 %. En novembre 2019, la visite de reprise a conclu à l’inaptitude au poste, avec aptitude à un poste de secrétaire à temps partiel, sous réserve d’adaptations ergonomiques.
L’employeur a indiqué l’impossibilité d’organiser un temps réduit ou alterné pour ce poste, en invoquant des contraintes d’organisation liées à la continuité des tâches. La salariée a été licenciée en décembre 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Les premiers juges ont validé le licenciement et rejeté les demandes indemnitaires, tandis que l’appelante sollicitait la nullité du licenciement pour discrimination, à titre subsidiaire son absence de cause, et diverses indemnités.
La cour d’appel retient que les éléments versés laissent supposer une discrimination en raison de l’état de santé et du handicap, et que l’employeur n’apporte pas d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Elle juge le licenciement nul, accorde l’indemnité plancher, l’indemnité de préavis malgré l’inaptitude, ainsi que le remboursement partiel des allocations de chômage.
I. L’obligation d’aménagement raisonnable et la charge probatoire
A. Le cadre légal mobilisé
La cour réaffirme d’abord le socle du reclassement après inaptitude. Elle rappelle que « Il appartient à l’employeur, qui peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte, de justifier qu’il n’a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié à ses capacités au terme d’une recherche sérieuse, effectuée au sein de l’entreprise et des entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d’y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. »
Elle insère, de manière décisive, l’exigence d’aménagement approprié due aux travailleurs handicapés. La cour cite que « L’article L. 5213-6 du code du travail dispose qu’afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, que ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur, et que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3. »
Le contrôle s’opère ensuite au regard du droit commun de la discrimination. La cour énonce que « Selon l’article L. 1132-1 du même code, aucun salarié ne peut être licencié ni faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son état de santé ou de son handicap. L’article L. 1132-4 prévoit qu’un licenciement prononcé en méconnaissance de ces dispositions est nul. » Le régime probatoire est précisé dans les termes suivants : « Il résulte de l’article L. 1134-1 qu’en cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. »
B. L’appréciation concrète opérée
La cour relève l’absence de mise en oeuvre d’un temps partiel thérapeutique recommandé en 2018, l’absence de démarches vers un service spécialisé, et la sollicitation adressée au médecin du travail pour infléchir l’avis de pré‑reprise. Elle note aussi l’existence d’un recrutement sur des fonctions comparables pendant l’absence, sans démonstration d’impossibilité d’organiser un partage des tâches ni d’argument chiffré quant à une charge disproportionnée.
Le raisonnement écarte une défense strictement organisationnelle, jugée insuffisante sans étude de poste ni exploration sérieuse de scénarios de temps partiel compatibles avec les recommandations médicales. La formule centrale consacre la défaillance probatoire de l’employeur : « Faute pour l’employeur de justifier avoir satisfait son obligation de rechercher une solution d’aménagement du poste et/ou de reclassement, le licenciement prononcé est non seulement sans cause réelle et sérieuse mais discriminatoire. » Le cadre légal et probatoire aboutit ainsi, logiquement, à la qualification retenue.
II. La qualification discriminatoire et ses effets
A. La nullité et l’indemnisation
La conséquence principale tient à la nullité du licenciement pour discrimination. La cour rappelle le régime de réparation intégrale assorti d’un plancher autonome : « Lorsque le salarié dont le licenciement est nul ne demande pas sa réintégration dans son poste, il a droit d’une part aux indemnités de rupture et d’autre part à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois travaillés, quelles que soient son ancienneté et la taille de l’entreprise. »
S’agissant du préavis, la solution combine l’inaptitude et la faute de reclassement. La cour énonce que « Si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d’une indemnité pour un préavis qu’il est dans l’impossibilité physique d’exécuter en raison d’une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement consécutive à l’inaptitude. » La décision ordonne enfin le remboursement partiel des allocations de chômage, dans les termes suivants : « Il suit de ce qui précède que le licenciement ayant été prononcé au mépris des dispositions de l’article L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, ou L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, il sera ordonné le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage. »
L’édifice indemnitaire illustre l’autonomie de la nullité discriminatoire, distincte du régime indiciaire de l’article L. 1235‑3, et combine des chefs distincts pour assurer une réparation complète.
B. La portée pratique de la solution
La décision renforce la justiciabilité de l’obligation d’aménagement raisonnable, en la dissociant des seules conditions administratives du temps partiel thérapeutique. La cour admet que l’absence de validation préalable n’exonère pas l’employeur de documenter une recherche d’organisation compatible avec les restrictions médicales, notamment par une étude de poste.
La motivation exige un examen probant de la proportionnalité de la charge, incluant des éléments concrets d’effectifs, de calendrier, d’outillage et de continuité opérationnelle. Une simple affirmation de contraintes de continuité ne suffit pas sans exploration d’alternatives réalistes, telles que la répartition des tâches ou l’ajustement des horaires en binôme.
L’arrêt invite, en pratique, à articuler systématiquement reclassement, aménagements raisonnables et traçabilité des démarches, sous peine d’un basculement du contentieux vers la discrimination. Le message adressé aux petites structures demeure clair : la taille ne dispense pas de prouver l’impossibilité d’un aménagement proportionné, au regard des aides mobilisables et des contraintes effectivement démontrées.