- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 10 septembre 2025 illustre les limites que la jurisprudence impose au licenciement pour motif économique lorsque les difficultés de l’entreprise trouvent leur source dans le comportement fautif de l’employeur.
Une salariée, embauchée en qualité de technico-commerciale depuis le 3 avril 2012, perçoit un salaire mensuel brut de 1 864,88 euros au moment de la rupture de son contrat de travail. Par courrier du 25 mai 2020, son employeur lui notifie un projet de licenciement pour motif économique fondé sur la cessation définitive d’activité de la société. La salariée adhère au contrat de sécurisation professionnelle et son contrat prend fin le 20 juin 2020. Elle saisit le conseil de prud’hommes de Montpellier pour contester ce licenciement. Par jugement du 5 avril 2022, cette juridiction condamne l’employeur à lui verser une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, mais écarte les autres demandes. La salariée interjette appel le 3 mai 2022, sollicitant notamment des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité légale de licenciement. L’employeur, représenté par son liquidateur amiable, conclut à la confirmation du jugement.
La question soumise à la Cour d’appel de Montpellier est celle de savoir si la faute de l’employeur, à l’origine des difficultés économiques de l’entreprise, prive le licenciement économique de cause réelle et sérieuse.
La cour répond par l’affirmative. Elle relève que « la faute de l’employeur à l’origine des difficultés économiques de l’entreprise est de nature à priver de cause réelle et sérieuse le licenciement consécutif à ces difficultés ». En l’espèce, elle constate que le gérant n’était venu « que 2 ou 3 fois » dans les locaux depuis 2017, qu’il ne mettait pas à disposition le matériel nécessaire et qu’il avait interrompu toute activité dès août 2019 sans la cesser définitivement. Elle en conclut que « la faute de l’employeur est à l’origine de la situation économique de l’entreprise puis de sa cessation définitive d’activité » et que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
Cette décision mérite un examen approfondi tant du point de vue de la caractérisation de la faute de l’employeur neutralisant le motif économique (I) que des conséquences indemnitaires attachées à cette qualification (II).
I. La neutralisation du motif économique par la faute de l’employeur
La cour d’appel rappelle le principe selon lequel la faute de l’employeur est susceptible de priver le licenciement économique de sa cause réelle et sérieuse (A), avant d’en caractériser les éléments constitutifs en l’espèce (B).
A. Le rappel du principe de neutralisation du motif économique
L’article L. 1233-3 du code du travail définit le licenciement pour motif économique comme celui effectué pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant notamment de difficultés économiques ou d’une cessation d’activité. La cour d’appel vise expressément ce texte au seuil de ses motifs. Elle constate d’abord la réalité des difficultés économiques de la société, dont le résultat d’exploitation est passé de -136 449,79 euros à -250 767,32 euros entre les exercices 2017/2018 et 2019/2020.
La cour ajoute aussitôt que « la faute de l’employeur à l’origine des difficultés économiques de l’entreprise est de nature à priver de cause réelle et sérieuse le licenciement consécutif à ces difficultés ». Cette formule reprend fidèlement la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le motif économique ne peut être invoqué lorsque l’employeur a lui-même provoqué les difficultés justifiant le licenciement. Le principe repose sur l’idée qu’un employeur ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour rompre les contrats de travail. La faute neutralise ainsi l’élément matériel du licenciement économique, quand bien même celui-ci serait objectivement établi. La cour d’appel s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle bien établie. Elle ne conteste pas l’existence des difficultés économiques ni la cessation d’activité, mais examine leur origine pour apprécier la légitimité du licenciement.
B. La caractérisation de la faute de l’employeur par un faisceau d’indices
La cour procède à un examen méthodique des éléments de preuve produits par la salariée. Elle relève d’abord, sur la base d’attestations jugées « précises et concordantes », que le gérant n’était venu « que 2 ou 3 fois » dans les locaux depuis 2017. Elle constate ensuite qu’il ne mettait pas à disposition des salariés « le matériel nécessaire pour l’exercice de leurs fonctions, notamment des pneus », alors qu’aucun salarié n’était habilité à réaliser des commandes.
Un procès-verbal de constat d’huissier établit que le 31 décembre 2019, les locaux étaient fermés à la clientèle, l’électricité coupée et le matériel « sommaire », empêchant la salariée « de réaliser toute prestation de travail ». Les fiches de paie démontrent enfin que depuis août 2019, soit plusieurs mois avant la mise en liquidation amiable du 1er février 2020, « le gérant avait interrompu toute activité sans la cesser de manière définitive ».
La cour retient également l’attestation d’un monteur pneumatiques selon laquelle l’entreprise était « géographiquement bien placée » et disposait d’une « clientèle d’habitués ». Cet élément souligne que les difficultés ne résultaient pas de facteurs exogènes mais de l’abandon délibéré de l’activité par le dirigeant. La convergence de ces preuves permet à la cour d’établir que l’employeur a progressivement délaissé l’entreprise, privant les salariés des moyens d’exercer leurs fonctions et organisant de fait la cessation d’activité. La faute apparaît caractérisée par cette négligence grave et prolongée dans la gestion de l’entreprise.
II. Les conséquences indemnitaires du licenciement sans cause réelle et sérieuse
La qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse emporte des conséquences sur les indemnités de rupture (A) et conduit la cour à préciser le régime du cumul des indemnisations (B).
A. L’octroi des indemnités de rupture au profit de la salariée
La cour infirme le jugement et fait droit aux demandes de la salariée au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l’indemnité légale de licenciement. Elle précise que ces sommes sont dues, leur montant étant « limité à la demande ». L’indemnité compensatrice de préavis de 3 518,64 euros correspond à deux mois de salaire, conformément aux dispositions légales applicables à une salariée disposant de plus de deux ans d’ancienneté.
L’indemnité légale de licenciement de 3 800,13 euros tient compte d’une ancienneté de plus de huit années. Ces indemnités, distinctes des dommages-intérêts pour licenciement abusif, visent à compenser le préjudice résultant de la privation du préavis et de la perte d’emploi. Leur octroi découle logiquement de la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour alloue en outre des dommages-intérêts de 12 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit environ six mois et demi de salaire. Elle prend en compte l’ancienneté de la salariée, son salaire au moment du licenciement et la circonstance qu’elle a perçu des indemnités de Pôle emploi jusqu’au 2 mars 2021. Ce montant se situe dans la fourchette prévue par le barème de l’article L. 1235-3 du code du travail pour une ancienneté de huit années.
B. L’exclusion du cumul entre indemnités pour licenciement abusif et pour irrégularité de procédure
La cour constate que la salariée n’a pas été convoquée à un entretien préalable au licenciement, en sorte que « la procédure de licenciement n’a pas été respectée ». Cette irrégularité est constituée indépendamment de l’absence de cause réelle et sérieuse. Elle refuse de faire droit à la demande distincte de dommages-intérêts pour irrégularité de procédure, observant que « les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour irrégularité de la procédure de licenciement ne se cumulent pas ».
Cette règle, posée par l’article L. 1235-2 du code du travail, trouve application lorsque le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. Le préjudice résultant de l’irrégularité procédurale est alors réputé absorbé par l’indemnisation du licenciement abusif. La salariée ne peut donc obtenir une double réparation au titre de la même rupture.
La cour applique ainsi la règle du non-cumul avec rigueur, tout en intégrant dans son appréciation du préjudice l’ensemble des circonstances de la rupture. Le conseil de prud’hommes avait pour sa part retenu uniquement l’indemnité pour non-respect de la procédure, rejetant la demande au titre du licenciement abusif. La cour d’appel adopte la solution inverse, plus favorable à la salariée dès lors que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est substantiellement supérieure. Cette décision illustre l’importance pour le salarié de contester le motif même du licenciement plutôt que de se limiter aux seules irrégularités formelles.