Cour d’appel de Montpellier, le 10 septembre 2025, n°22/03969

Par un arrêt du 10 septembre 2025, la Cour d’appel de Montpellier, 2e chambre sociale, statue sur un litige mêlant durée du travail et rupture conventionnelle. Un salarié, embauché en 2012 et promu en 2018 sous forfait annuel en jours, a conclu une rupture conventionnelle en 2019. Il conteste la validité des forfaits successifs, réclame des heures supplémentaires, invoque une exécution déloyale et sollicite l’annulation de la rupture conventionnelle pour vice du consentement.

La procédure montre un jugement prud’homal de 2022 ayant rejeté les demandes, suivi d’un appel formé en 2022. L’appelant sollicite l’invalidité du forfait jours et de la rupture conventionnelle, ainsi que le paiement d’heures supplémentaires, d’un repos compensateur et de dommages‑intérêts. L’intimée conclut à la confirmation, défend la validité des forfaits et conteste toute déloyauté.

La question centrale porte sur la validité des conventions de forfait au regard des garanties protectrices, sur la méthode probatoire des heures supplémentaires et sur l’existence d’une contrainte viciant la rupture conventionnelle. La cour reconnaît la validité du forfait en heures, annule le forfait jours, retient des heures supplémentaires et un repos compensateur, exclut le travail dissimulé, juge l’exécution déloyale et annule la rupture conventionnelle pour violence morale et défaut de remise d’exemplaire. Elle requalifie en licenciement sans cause réelle et sérieuse, applique le barème légal et accorde diverses sommes.

I. Les conventions de forfait et la preuve des heures supplémentaires

A. Forfait en heures opposable, forfait en jours nul faute de garanties suffisantes
La cour valide la convention de forfait de 1 607 heures, régulièrement fondée sur l’accord de branche et l’écrit contractuel. Elle souligne que ce forfait ne neutralise ni le décompte annuel ni le droit à rémunération des dépassements au-delà de 1 607 heures. Le raisonnement demeure classique et conforme au texte applicable à la conclusion de la convention.

S’agissant du forfait en jours, la décision reprend une exigence de garanties effectives. Elle énonce que « Est nulle la convention de forfait en jours mise en place dans le cadre d’un accord ou d’une convention collective ne comportant pas de dispositions de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. Ne constitue pas une garantie suffisante de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés, la seule tenue d’un entretien annuel ou trimestriel avec le supérieur hiérarchique. » Le dispositif conventionnel, limité à une planification prévisionnelle et à un bilan annuel, ne suffit pas à prévenir les surcharges. La cour juge donc la convention en jours nulle, ce qui rétablit le droit commun de la durée du travail pour la période concernée.

Cette analyse confirme la ligne jurisprudentielle constante. Un accord de branche ne peut suppléer l’absence de mécanismes concrets d’alerte, de suivi et de régulation de la charge. L’employeur devait assurer un contrôle réel et continu de l’amplitude et des repos, indispensable à la santé des salariés soumis au forfait jours. À défaut, le décompte s’opère selon le régime commun et ouvre la voie aux rappels d’heures.

B. Méthode probatoire partagée et évaluation souveraine des rappels
La cour rappelle le schéma probatoire légal. Elle souligne d’abord que « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis […] afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre utilement. » Le salarié produit tableaux, agendas et courriels révélant une amplitude matinale et vespérale régulière. L’employeur ne verse aucun relevé ni système fiable d’enregistrement, et se borne à discuter l’ampleur ou l’urgence de certains messages.

Dans cette configuration, « Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. » La cour retient des dépassements mais en module l’étendue. Elle constate surtout que « L’ampleur des horaires réalisés, leur régularité, la durée de cette situation, établissent que l’employeur ne pouvait ignorer cette situation. » Elle fixe un rappel de salaire de 45 000 euros, accorde les congés payés afférents et indemnise le repos compensateur sur le fondement du contingent et de la contrepartie obligatoire.

La solution illustre la fonction d’équilibre de l’article L. 3171‑4 : le salarié n’a pas à prouver chaque minute, mais à fournir des éléments cohérents permettant la contradiction. À défaut de décompte par l’employeur, le juge apprécie souverainement. Le rejet du travail dissimulé s’explique alors par l’absence d’intention caractérisée, le différend trouvant sa source dans la nullité ou l’inopposabilité des conventions de forfait et dans le manquement au suivi.

II. Rupture conventionnelle viciée et régime indemnitaire du licenciement injustifié

A. Exécution déloyale et gestion défaillante d’un projet finalement abandonné
La cour distingue clairement la liberté de gestion et l’obligation de loyauté. L’employeur pouvait renoncer à l’implantation régionale envisagée. Toutefois, après avoir organisé le remplacement du salarié et préparé sa mobilité, il devait traiter les conséquences de ce revirement avec diligence et équité. L’information tardive, donnée à quelques jours de la prise de poste, et l’absence de solution alternative sérieuse, caractérisent une exécution déloyale du contrat et causent un préjudice distinct.

La décision relève des démarches accomplies par le salarié pour préparer la mutation, puis l’absence de proposition de maintien ou de repositionnement conforme à ses responsabilités. Le comportement retenu traduit un défaut d’anticipation et de régulation sociale que la cour sanctionne par une indemnité de 15 000 euros. La solution rappelle que la loyauté contractuelle engage l’employeur dans la conduite et l’atterrissage des réorganisations, spécialement lorsque les mesures prises ont déjà produit leurs effets concrets.

B. Violence morale, défaut de remise d’exemplaire et application du barème d’indemnisation
Au-delà de la loyauté, la cour retient un vice du consentement lors de la rupture conventionnelle. Elle qualifie la contrainte objective née de la succession des décisions, de leur temporalité et de l’absence d’alternative. Elle écrit que « Une telle situation qui plaçait le salarié dans une situation de contrainte objective quant à son avenir professionnel et financier et de dépendance vis‑à‑vis de l’employeur […] caractérise non seulement une exécution déloyale du contrat de travail, mais une violence morale privant la conclusion de la rupture conventionnelle du contrat de travail du consentement libre et éclairé du salarié. » La nullité est en outre corroborée par l’absence de preuve de remise d’un exemplaire signé au salarié, élément essentiel pour l’exercice du droit de rétractation.

La nullité de la rupture conventionnelle emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour alloue l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, ajuste l’indemnité légale de licenciement, et fixe les dommages‑intérêts pour perte injustifiée d’emploi à 50 000 euros. Elle confirme l’applicabilité du barème légal en indiquant : « En conséquence, il n’y a pas lieu d’écarter l’application de l’article L. 1235-3 du code du travail. » Elle ordonne enfin le remboursement des allocations de chômage dans la limite légale et la remise des documents de fin de contrat régularisés.

L’ensemble articule utilement protection de la santé au travail, loyauté contractuelle et sécurité des ruptures. La décision souligne, dans une continuité jurisprudentielle, que la validité des forfaits jours exige des garanties substantielles, que l’office du juge en matière d’heures supplémentaires demeure pragmatique, et que la rupture conventionnelle ne peut prospérer sous l’empire d’une pression contextuelle dont l’employeur est à l’origine.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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