Cour d’appel de Montpellier, le 10 septembre 2025, n°23/03686

Par un arrêt du 10 septembre 2025, la Cour d’appel de Montpellier, 1re chambre sociale, tranche une série de demandes consécutives à une prise d’acte motivée par des manquements salariaux. Le litige oppose un salarié, barman serveur, à l’entreprise qu’il estime être son nouvel employeur depuis l’automne 2020. La cour doit déterminer l’existence d’un lien contractuel, l’applicabilité de l’article L. 1224-1 du code du travail, puis la qualification et les effets de la rupture.

Les faits utiles tiennent à une relation initiée en 2019 au sein d’un bar, puis à l’émission d’un bulletin de paie, en octobre 2020, par une seconde entité exploitante, accompagnée d’échanges électroniques reconnaissant une absence de versement des salaires. Le salarié a pris acte de la rupture en mai 2021, invoquant la gravité des manquements. Il a saisi la juridiction prud’homale à l’automne 2021 pour voir juger la rupture productrice des effets d’un licenciement sans cause et obtenir divers rappels et indemnités.

La décision de première instance l’a débouté. Devant la cour, l’intimée n’a pas constitué avocat. L’appelant réclame un rappel de salaires significatif, des indemnités afférentes, la reconnaissance d’un transfert de contrat au titre de l’article L. 1224-1, ainsi que la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences légales.

La question de droit porte, d’abord, sur la preuve d’un contrat apparent et les conditions du transfert légal des contrats lors d’un changement d’exploitant. Elle vise, ensuite, le régime de la prise d’acte lorsque l’employeur ne paie pas le salaire, et les réparations accordées, compte tenu de l’ancienneté retenue. La cour reconnaît l’existence d’une relation contractuelle à compter d’octobre 2020, exclut tout transfert au sens de l’article L. 1224-1, puis qualifie la prise d’acte de licenciement sans cause, tout en limitant les indemnités au regard d’une ancienneté inférieure à huit mois.

I. L’identification de l’employeur et l’exclusion du transfert L. 1224-1

A. Contrat de travail apparent et réalité de la relation salariée

La cour rappelle, dans des termes constants, que “L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.” Elle souligne encore que “En présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à la partie qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.” Ces attendus recentrent l’office du juge sur les éléments objectifs de l’exécution, en écartant les étiquettes contractuelles.

Appliquant ces principes, la formation retient le bulletin de paie d’octobre 2020 émis par l’entité intimée et les messages électroniques reconnaissant l’absence de paiement des salaires. Ces pièces établissent un contrat apparent, dont le caractère fictif n’est pas démontré en l’absence de contradiction utile. La charge de la preuve pesait sur l’employeur alléguant l’apparence, ce qu’il n’a pas fait. La relation de travail avec le nouvel employeur est donc caractérisée à compter d’octobre 2020.

B. Absence de transfert de contrat faute de modification juridique et d’entité économique

Le cœur du débat portait sur l’article L. 1224-1. La cour cite d’abord la lettre du texte: “Aux termes de l’article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.” Elle en précise aussitôt le champ: “Ce texte, qui s’impose aux salariés comme aux employeurs, s’applique à tout transfert d’une entité économique autonome, entendue comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.”

Les extraits d’immatriculation produits révélaient non une succession juridique, mais la création d’un fonds par le nouvel exploitant, distinct du fonds antérieurement exploité. L’identité partielle d’activité ou d’enseigne, à elle seule, ne suffit pas. La cour insiste sur l’absence d’indices de reprise d’une entité autonome et organisée. Elle conclut en des termes clairs: “Dès lors qu’il n’est pas démontré que les conditions de l’article L. 1224-1 du code du travail étaient réunies au mois d’octobre 2020, il y a lieu de dire qu’il n’y pas eu de transfert du contrat de travail à cette date.” La conséquence, déterminante, réside dans une ancienneté limitée au seul temps accompli auprès du nouvel employeur.

II. Les effets de la prise d’acte et la réparation retenue

A. Rappel des salaires et charge probatoire de la mise à disposition

S’agissant de la rémunération, la cour rappelle deux principes gouvernant le rappel de salaires. D’abord, “L’employeur est tenu de payer sa rémunération et de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition.” Ensuite, “Il lui appartient de démontrer que le salarié a refusé d’exécuter son travail ou qu’il ne s’est pas tenu à sa disposition.” En l’absence de preuve contraire, et au vu d’échanges électroniques admettant des difficultés et des impayés, le rappel de salaires est entier, avec congés afférents.

Cette solution cadre la charge probatoire de façon orthodoxe. L’employeur devait établir l’indisponibilité ou le refus du salarié, ce qu’il n’a pas fait. Le juge alloue donc les sommes réclamées à ce titre, assorties des intérêts légaux selon la distinction classique entre créances salariales et indemnités.

B. Qualification de la rupture et calibrage des indemnités

La cour rappelle le régime de la prise d’acte: “Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire, d’une démission.” Elle juge ensuite que les manquements constatés sont décisifs: “En l’espèce, la rupture du contrat de travail résultant d’un manquement de l’employeur à son obligation contractuelle de payer au salarié la rémunération qui lui est due s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.”

La portée indemnitaire est immédiatement tempérée par l’ancienneté retenue, limitée à moins de huit mois du fait de l’absence de transfert. Il en résulte l’exclusion de l’indemnité légale de licenciement en application de l’article L. 1234-9. La cour fixe, par ailleurs, l’indemnité compensatrice de préavis à un mois, conformément à l’article L. 1234-1, ainsi que les congés y afférents, en cohérence avec le salaire de référence établi par la seule fiche de paie pertinente. Les dommages-intérêts pour licenciement sans cause sont mesurés au regard de la courte ancienneté, du niveau de rémunération et des éléments produits sur la situation personnelle.

Au-delà du cas d’espèce, la décision confirme deux orientations nettes. D’une part, la reprise d’activité dans le même secteur, même sous une enseigne proche, ne dispense jamais de caractériser une entité économique autonome transférée. D’autre part, le non-paiement du salaire, persistant et non contesté, justifie la prise d’acte aux torts de l’employeur, tout en appelant une indemnisation strictement arrimée à l’ancienneté réellement acquise auprès du cocontractant identifié.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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