Cour d’appel de Montpellier, le 10 septembre 2025, n°24/06262

Par un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier, 2e chambre sociale, du 10 septembre 2025, la requalification d’un agent commercial et la compétence sont discutées. Un contrat d’agent commercial a été signé en 2020; la relation s’interrompt en 2024 après un projet avorté, suivi d’une prise d’acte et d’une saisine prud’homale.

Le conseil de prud’hommes de Perpignan s’est déclaré incompétent, retenant la nature commerciale de la relation; l’appelante sollicite requalification, rappels, et indemnités, l’intimée conclut à confirmation. La question posée tient à l’existence d’un lien de subordination malgré l’immatriculation au registre des agents commerciaux, et aux effets procéduraux de la qualification retenue.

La Cour confirme la présomption de non-salariat, écarte la requalification, et désigne le tribunal de commerce comme juge compétent. L’analyse appelle d’abord le rappel des critères et leur mise en œuvre, puis l’examen des incidences procédurales et de la portée pratique de la solution.

I. Le maintien de la présomption de non-salariat

A. Le cadre légal du lien de subordination
Le raisonnement s’ouvre par un rappel normatif précis, centré sur la définition opérationnelle du lien de subordination. La Cour énonce que « La relation de travail salariée se caractérise par un lien de subordination juridique qui consiste pour l’employeur à donner des ordres, à en surveiller l’exécution et, le cas échéant, à en sanctionner les manquements. » Elle articule ce rappel avec la présomption légale de non-salariat prévue par l’article L8221-6 du code du travail, en visant son exception probatoire. « II. L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. »

Ainsi, la preuve attendue excède la simple dépendance économique et requiert la démonstration cumulative d’ordres, de surveillance effective, et d’un pouvoir disciplinaire. Cette grille est classique mais exigeante; elle sépare l’intégration commerciale utile de la subordination juridique, seule pertinente pour la requalification.

B. L’appréciation concrète des indices allégués
La Cour examine alors les éléments concrets soumis et contrôle leur portée probante au regard des critères rappelés. Elle constate que « L’analyse des nombreuses pièces produites par l’appelante au soutien de sa demande ne permet pas de renverser la présomption de non-salariat. » Les messages échangés relatent surtout des transmissions d’informations, sans horaires imposés, ni autorisations de congés, ni injonctions caractérisant un commandement hiérarchique.

L’agenda montre une liberté d’organisation, incluant des rendez-vous personnels, ce qui écarte une surveillance assimilable à celle d’un employeur. La mise à disposition d’outils, de locaux et d’une adresse professionnelle, moyennant redevance, s’analyse comme l’exécution du mandat contractuel, non comme un faisceau d’indices de salariat. Le rôle de manager, l’animation d’équipe et la formation relèvent du mandat express, sans preuve corrélative d’un pouvoir disciplinaire exercé par la société.

La Cour retient encore l’autonomie tarifaire et opérationnelle, en relevant que « De même, elle pouvait s’affranchir des barèmes de l’agence ainsi qu’en témoignent la liste informatisée et le barème versés aux débats par cette dernière, sans qu’aucun rappel à l’ordre ou sanction ne lui soit notifiés. » S’agissant du contrôle allégué, l’appréciation demeure nette: « Le contrôle de son travail par le biais des rapports sur la gestion des dossiers, allégué par l’appelante, n’excède pas le contrôle normal d’un mandant à l’égard de son mandataire, celui-ci devant appliquer certaines règles de l’entreprise dans le cadre de son action, ainsi que le stipulait son contrat en ses articles 5 et 6. » Ces constatations convergentes justifient le maintien de la présomption légale, qui ne cède pas à de simples indices d’intégration commerciale.

La conséquence procédurale s’impose alors.

II. Les effets procéduraux et la portée de la solution

A. La compétence du juge commercial et la désignation obligatoire
La solution de droit conduit logiquement à écarter la compétence prud’homale au profit du juge commercial, la relation étant purement commerciale. La Cour le formule sans équivoque: « Il s’ensuit qu’en l’absence de tout contrat de travail, le conseil de prud’hommes n’était pas compétent pour connaître du litige, lequel relève du tribunal de commerce de Perpignan. » Elle corrige en outre le dispositif de première instance en appliquant l’alinéa 2 de l’article 81 du code de procédure civile: « En effet, en application de l’alinéa 2 de l’article 81 du code de procédure civile, le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu’il estime compétente, laquelle s’impose aux parties et au juge de renvoi. »

La juridiction d’appel refuse enfin d’évoquer le fond, considérant qu’une solution définitive n’est pas de bonne justice au sens de l’article 88. La motivation est explicite: « Dans la mesure où il n’apparaît pas de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive par application des dispositions de l’article 88 du code de procédure civile, la cour n’évoquera pas le litige. »

B. Portée pratique pour les réseaux d’agences et le contentieux social
La portée de l’arrêt est nette pour les réseaux d’intermédiation immobilière recourant à des agents commerciaux indépendants. La mise à disposition d’outils de marque, de formations et de chartes commerciales n’emporte pas, à elle seule, subordination lorsqu’elle reste cantonnée à la cohérence du mandat.

L’arrêt incite à documenter l’autonomie d’organisation, la liberté tarifaire et l’absence d’horaires imposés, facteurs décisifs pour préserver la qualification commerciale. A contrario, l’imposition régulière d’objectifs contraignants, de plannings, et de sanctions caractérisées exposerait à la requalification et aux demandes afférentes, notamment en matière de travail dissimulé.

En matière de contentieux, l’aiguillage vers le tribunal de commerce rationalise le traitement des prétentions liées au mandat et à l’indemnité de cessation. Le rappel des dépens et de l’article 700, très classique, parachève un contentieux de qualification où la preuve fait pivot.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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