Cour d’appel de Montpellier, le 11 septembre 2025, n°24/01062

La cession de créance constitue un mécanisme essentiel du droit des obligations permettant la circulation des droits personnels. Elle suppose toutefois que le cessionnaire établisse sa qualité pour exercer les prérogatives attachées à la créance cédée. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 11 septembre 2025 illustre les conséquences d’une carence probatoire en la matière.

En l’espèce, un établissement bancaire avait consenti à deux époux, le 2 septembre 2009, trois prêts destinés à financer l’acquisition d’un terrain et la construction d’une maison. Le premier prêt portait sur un montant de 145 724,67 euros remboursable en 420 mensualités, le deuxième constituait un prêt à taux zéro de 40 350 euros, et le troisième s’élevait à 10 000 euros. Le 2 août 2016, l’établissement prêteur a prononcé la déchéance du terme en raison d’échéances impayées. Par actes du 13 mars 2017, il a assigné les emprunteurs devant le tribunal de grande instance de Carcassonne aux fins de condamnation au paiement des sommes dues.

Par jugement du 12 décembre 2019, cette juridiction a annulé les clauses de stipulation d’intérêts afférentes à deux des prêts et ordonné la substitution du taux légal au taux conventionnel, tout en renvoyant l’affaire pour la production de nouveaux décomptes. Une société de recouvrement, prétendant venir aux droits de l’établissement bancaire initial, a poursuivi la procédure. Par jugement du 11 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Carcassonne l’a déclarée irrecevable en ses demandes pour défaut de qualité à agir, faute de justifier de sa position dans la chaîne des cessions. La société cessionnaire a interjeté appel de cette décision ainsi que du jugement avant dire droit du 12 décembre 2019.

La question posée à la Cour d’appel de Montpellier était de déterminer si une société prétendant avoir acquis une créance peut agir en justice contre les débiteurs cédés lorsque les pièces produites pour établir la cession concernent des personnes tierces au litige.

La cour confirme l’irrecevabilité prononcée par le premier juge. Elle constate que « l’annexe au procès-verbal de constat d’huissier du 16/12/2019 supposé justifier de la cession de la créance » intéresse d’autres emprunteurs « mais en aucun cas les débiteurs de la présente procédure ». Elle en déduit que « la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir contamine alors la qualité à agir » de la société cessionnaire à l’encontre du jugement du 12 décembre 2019.

Cette décision invite à examiner successivement les exigences probatoires de la qualité à agir du cessionnaire (I), puis les conséquences procédurales de la carence dans l’établissement de cette qualité (II).

I. L’exigence d’une preuve rigoureuse de la qualité de cessionnaire

L’arrêt rappelle que la qualité à agir du cessionnaire repose sur la démonstration d’un lien juridique effectif avec la créance litigieuse (A), ce qui implique une identification précise des débiteurs concernés par la cession (B).

A. Le fondement de la qualité à agir dans la cession de créance

Le cessionnaire qui entend exercer les droits attachés à la créance acquise doit établir qu’il en est devenu titulaire. Cette exigence découle des articles 1321 et suivants du code civil qui subordonnent l’opposabilité de la cession au débiteur à l’accomplissement de certaines formalités. En l’absence de preuve de la cession, le prétendu cessionnaire ne dispose d’aucun titre lui permettant d’agir contre le débiteur cédé.

La cour relève que « la qualité à agir n’est toujours pas justifiée à hauteur d’appel ». Cette formulation souligne le caractère continu de l’obligation probatoire pesant sur celui qui se prévaut d’une cession. Le cessionnaire ne saurait se contenter d’allégations ; il lui appartient de produire les actes établissant la transmission de la créance à son profit. Cette rigueur se justifie par la protection des intérêts du débiteur cédé qui ne doit pas être exposé à payer une personne dépourvue de tout droit sur la créance.

La jurisprudence se montre constante sur ce point. Le défaut de qualité à agir constitue une fin de non-recevoir que le juge peut relever d’office en application de l’article 125 du code de procédure civile. Le cessionnaire supporte ainsi la charge de la preuve de sa qualité tout au long de l’instance.

B. L’insuffisance d’une preuve portant sur des tiers

L’arrêt commenté illustre une hypothèse de carence probatoire manifeste. Les pièces produites par la société cessionnaire pour justifier de la cession « intéresse des emprunteurs [E], débiteurs d’une société » tierce « mais en aucun cas les débiteurs de la présente procédure ». La confusion entre différents dossiers de cession prive totalement de valeur probante les documents versés aux débats.

Cette situation révèle les difficultés pratiques liées aux cessions de portefeuilles de créances, fréquentes dans le secteur bancaire. Les établissements spécialisés dans le recouvrement acquièrent souvent de nombreuses créances regroupées dans des bordereaux volumineux. L’identification précise de chaque créance cédée et des débiteurs concernés constitue alors un enjeu majeur. Une erreur dans la production des pièces justificatives, comme en l’espèce, anéantit la possibilité pour le cessionnaire d’exercer ses droits.

La cour ne procède à aucune mesure d’instruction complémentaire pour permettre à la société cessionnaire de régulariser sa situation. Cette sévérité s’explique par le fait que l’appel offrait précisément l’occasion de pallier les insuffisances relevées en première instance. La persistance de la carence probatoire à hauteur d’appel justifie pleinement la confirmation de l’irrecevabilité.

II. Les conséquences procédurales du défaut de qualité à agir

L’absence de qualité à agir entraîne l’irrecevabilité des demandes formées par le cessionnaire (A), avec un effet qui s’étend à l’ensemble des recours exercés dans la même instance (B).

A. L’irrecevabilité des demandes du cessionnaire dépourvu de qualité

Le défaut de qualité à agir constitue une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile. Contrairement aux exceptions de procédure, les fins de non-recevoir peuvent être invoquées en tout état de cause et le juge peut les relever d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public. L’irrecevabilité qui en résulte fait obstacle à l’examen au fond des prétentions.

En confirmant le jugement du 11 janvier 2024, la cour valide l’analyse du premier juge qui avait déclaré la société cessionnaire irrecevable en ses demandes. Les sommes réclamées au titre des trois prêts, représentant un capital de près de 170 000 euros outre intérêts, ne peuvent faire l’objet d’aucune condamnation faute pour la demanderesse de justifier de son droit d’agir.

Cette solution présente un caractère radical puisqu’elle interdit tout examen des questions de fond. Le jugement du 12 décembre 2019 avait pourtant annulé les clauses de stipulation d’intérêts et ordonné la substitution du taux légal au taux conventionnel. Ces dispositions demeurent acquises aux emprunteurs dès lors que la société cessionnaire ne peut les remettre en cause.

B. L’extension de l’irrecevabilité à l’appel du jugement avant dire droit

L’arrêt présente un intérêt particulier en ce qu’il étend l’irrecevabilité à l’appel formé contre le jugement du 12 décembre 2019. La cour juge que « la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir contamine alors la qualité à agir » de la société cessionnaire à l’encontre de cette décision. L’emploi du terme « contamine » traduit la propagation de l’irrecevabilité à l’ensemble du contentieux.

Cette extension se justifie par l’unité du litige. Le jugement du 12 décembre 2019 avait été rendu au profit de l’établissement bancaire initial. Seul le véritable ayant droit de cet établissement pouvait en relever appel. La société cessionnaire, faute de démontrer qu’elle vient aux droits de la banque, ne dispose pas davantage de la qualité pour critiquer cette décision que pour agir au fond contre les emprunteurs.

La portée de cette solution mérite attention. Elle signifie que le défaut de preuve de la cession affecte non seulement la recevabilité de l’action initiale mais également celle des voies de recours. Le cessionnaire qui ne peut établir sa qualité se trouve privé de tout moyen d’obtenir une décision favorable. Cette rigueur procédurale incite les sociétés de recouvrement à une vigilance accrue dans la constitution de leurs dossiers contentieux.

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Hassan KOHEN
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