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Par un arrêt du 19 juin 2025, la Cour d’appel de Montpellier a confirmé un jugement rejetant la demande de remboursement formée par un ancien concubin à l’encontre de sa compagne, au motif que celui-ci échouait à démontrer l’existence d’un enrichissement sans cause.
Un homme et une femme ont entretenu une relation sentimentale entre 2009 et 2015. À leur séparation, le premier a réclamé à la seconde le remboursement de diverses sommes qu’il prétendait lui avoir prêtées, pour un montant total de 17 569,49 euros. Face au refus de cette dernière, il l’a assignée devant le tribunal judiciaire de Montpellier par acte du 7 novembre 2019. Par jugement du 21 septembre 2023, cette juridiction a déclaré l’action partiellement prescrite pour la période antérieure au 21 mai 2014 et débouté le demandeur de l’ensemble de ses prétentions pour la période recevable, faute de preuve suffisante. Le demandeur a interjeté appel le 8 décembre 2023.
Devant la Cour d’appel de Montpellier, l’appelant soutenait que la prescription ne devait courir qu’à compter du 17 mai 2014, date selon lui de sa demande d’aide juridictionnelle. Sur le fond, il réclamait la condamnation de son ancienne compagne au paiement de 1 700 euros ainsi que de 5 000 euros en réparation d’un préjudice moral. L’intimée demandait la confirmation du jugement et sollicitait reconventionnellement des dommages et intérêts pour procédure abusive.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer la date du point de départ de la prescription quinquennale applicable à l’action en remboursement. Il convenait ensuite d’apprécier si les versements effectués par un concubin au cours de la vie commune pouvaient fonder une action en enrichissement sans cause.
La Cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle a retenu que l’appelant ne rapportait pas la preuve de la date de sa demande d’aide juridictionnelle, le document produit étant ni signé ni daté par le tribunal. Sur le fond, elle a considéré que l’absence de précisions sur les relevés de compte ne permettait pas d’identifier des dépenses excédant la contribution normale aux charges de la vie commune, d’autant que l’intéressé bénéficiait d’un hébergement gratuit.
Cet arrêt invite à examiner successivement le régime de la prescription de l’action personnelle en matière de concubinage (I) puis les conditions de l’enrichissement sans cause entre anciens concubins (II).
I. Le régime de la prescription applicable à l’action en remboursement entre concubins
L’arrêt rappelle les règles gouvernant le point de départ de la prescription quinquennale (A) avant d’illustrer l’exigence probatoire qui pèse sur celui qui invoque l’interruption de ce délai (B).
A. Le point de départ de la prescription quinquennale
La cour fonde son raisonnement sur l’article 2224 du code civil qui dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer ». Elle combine cette disposition avec l’article 43 du décret du 19 décembre 1991 relatif à l’aide juridique. Ce texte prévoit qu’une action est réputée avoir été intentée dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle est adressée au bureau compétent avant l’expiration de celui-ci.
L’articulation de ces deux textes présente un intérêt pratique considérable pour les justiciables bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Le mécanisme permet en effet de préserver leurs droits pendant l’instruction de leur demande d’aide. La date de dépôt de cette demande devient ainsi déterminante puisqu’elle conditionne la recevabilité temporelle de l’action.
En l’espèce, la cour retient la date du 21 mai 2014 comme point de départ de la période recevable. Elle refuse de remonter au 17 mai 2014, date alléguée par l’appelant comme étant celle de sa demande d’aide juridictionnelle. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui fait peser sur le demandeur la charge de prouver les éléments susceptibles d’affecter le cours de la prescription.
B. La charge de la preuve de la date de la demande d’aide juridictionnelle
La cour relève que l’appelant « produit un document non signé et non daté par le tribunal » et qu’il « échoue donc à démontrer qu’il a réellement déposé sa demande d’aide juridictionnelle à la date du 17 mai 2019 ». Cette motivation illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient les preuves en matière de prescription.
La solution est conforme aux principes régissant la charge de la preuve. Celui qui se prévaut d’un fait doit en rapporter la démonstration. L’appelant ne pouvait se contenter de produire un document dépourvu des mentions authentifiant sa date certaine. Le tampon ou la signature du greffe du bureau d’aide juridictionnelle aurait permis d’établir avec certitude la date du dépôt.
Cette exigence probatoire se justifie pleinement. La prescription constitue un mécanisme d’ordre public destiné à assurer la sécurité juridique. Admettre qu’un simple document non authentifié puisse modifier le point de départ d’un délai de prescription reviendrait à fragiliser l’ensemble du système. La cour fait donc une application orthodoxe des règles de preuve en refusant d’accorder foi à une pièce dont la fiabilité n’est pas établie.
II. Les conditions restrictives de l’enrichissement sans cause entre concubins
L’arrêt rappelle le cadre juridique de l’action de in rem verso dans le contexte du concubinage (A) avant d’en souligner les limites tenant à l’exigence d’un appauvrissement excédant la contribution normale aux charges (B).
A. Le cadre juridique de l’action en enrichissement sans cause
La cour vise les articles 1303 et suivants du code civil dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016. Elle rappelle que « celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs ». L’article 1303-1 précise que l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation ni de l’intention libérale de l’appauvri.
L’arrêt énonce un principe essentiel en matière de concubinage. La cour affirme qu’« aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées ». Cette formule, constante en jurisprudence, traduit la précarité juridique qui caractérise le concubinage par rapport au mariage ou au pacte civil de solidarité.
La cour se réfère également à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 24 septembre 2008. Cette décision avait admis l’action de in rem verso pour des travaux et frais exceptionnels excédant par leur ampleur la participation normale aux dépenses communes. Dans un tel cas, l’intention libérale est exclue et l’enrichissement corrélatif ouvre droit à indemnisation. Cette jurisprudence demeure la référence en la matière.
B. L’exigence d’un appauvrissement excédant la contribution normale aux charges
La cour constate qu’une « telle preuve n’est pas rapportée en l’espèce, compte tenu de l’absence de précisions sur les relevés de comptes versés au débat ». Elle relève que l’appelant ne démontre pas quelles sommes correspondent à des dépenses excédant sa contribution normale. Elle souligne en outre qu’il bénéficiait d’un hébergement à titre gratuit chez sa concubine.
Cette motivation révèle les difficultés probatoires auxquelles se heurte le concubin qui prétend récupérer les sommes versées pendant la vie commune. Il ne suffit pas de produire des relevés bancaires faisant apparaître des transferts de fonds. Il faut encore démontrer que ces versements dépassaient ce qui pouvait normalement être attendu au titre de la participation aux charges.
La prise en compte de l’hébergement gratuit est particulièrement significative. La cour procède implicitement à une forme de compensation. Les sommes versées par l’appelant trouvaient leur contrepartie dans l’avantage qu’il retirait de son logement gratuit. Cette approche équilibrée évite que l’action en enrichissement sans cause ne devienne un instrument de déstabilisation systématique des relations patrimoniales entre concubins après leur séparation.
L’arrêt confirme ainsi que l’enrichissement sans cause ne saurait constituer un fondement commode pour remettre en question les choix économiques opérés pendant la vie commune. Le concubin qui entend obtenir une indemnisation doit établir avec précision l’existence d’un appauvrissement anormal et corrélatif. À défaut, il doit supporter les conséquences de l’absence de cadre juridique organisant les rapports patrimoniaux entre concubins.