- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La qualité d’associé confère à son titulaire un ensemble de prérogatives dont l’exercice demeure conditionné par le maintien de cette qualité. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 19 juin 2025 illustre cette articulation entre le statut d’associé et le droit de solliciter une expertise de gestion.
Un actionnaire minoritaire d’une société anonyme, également ancien salarié et administrateur, avait été licencié pour inaptitude puis exclu de la société en application d’une clause statutaire prévoyant l’exclusion de plein droit en cas de perte de la qualité de salarié, d’administrateur ou de mandataire social. Préalablement à son licenciement, il avait adressé au président du conseil d’administration des questions relatives à plusieurs opérations de gestion, notamment des cessions immobilières consenties à une société civile immobilière dont il était associé fondateur, ainsi que des relations de sous-traitance avec une autre entité. La réponse obtenue ne l’ayant pas satisfait, il a assigné la société en référé aux fins de désignation d’un expert de gestion.
Le tribunal de commerce de Béziers, par ordonnance du 27 janvier 2025, a déclaré ses demandes irrecevables pour défaut de qualité et d’intérêt à agir, considérant que la clause d’exclusion de plein droit lui avait fait perdre sa qualité d’actionnaire dès son licenciement.
L’appelant soutenait que les statuts ne prévoyant aucune suspension de ses droits non pécuniaires, il conservait sa qualité d’associé jusqu’à la cession effective de ses parts et demeurait donc recevable à solliciter une expertise de gestion. La société intimée opposait tant l’irrecevabilité tirée de la perte de la qualité d’actionnaire que l’absence d’intérêt à agir, l’intéressé ayant lui-même participé aux décisions contestées en sa qualité d’administrateur et de directeur général délégué.
La question posée à la Cour était double. D’une part, un associé statutairement exclu de plein droit conserve-t-il sa qualité pour agir en expertise de gestion tant que ses parts n’ont pas été effectivement cédées. D’autre part, quelles sont les conditions de fond permettant d’obtenir la désignation d’un expert de gestion.
La Cour d’appel de Montpellier infirme l’ordonnance sur la recevabilité. Elle juge que l’absence de clause statutaire suspendant les droits non pécuniaires de l’associé exclu lui permet de conserver sa qualité d’associé jusqu’à la cession effective de ses parts, et partant sa qualité pour solliciter une expertise de gestion. Elle reçoit donc l’appelant en ses demandes. Statuant au fond, elle rejette néanmoins la demande d’expertise, estimant que les réponses apportées par la société étaient satisfaisantes et qu’aucun élément sérieux ne permettait de penser qu’un litige pourrait naître des opérations visées.
Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle précise les effets de la clause d’exclusion de plein droit sur les droits de l’associé exclu (I), tout en rappelant les conditions rigoureuses auxquelles est subordonnée l’expertise de gestion (II).
I. La préservation des droits de l’associé exclu en l’absence de clause suspensive statutaire
La Cour reconnaît à l’associé exclu le maintien de sa qualité jusqu’à la cession effective de ses parts (A), tirant les conséquences de l’absence de clause suspensive dans les statuts (B).
A. Le maintien de la qualité d’associé nonobstant l’exclusion statutaire
L’article L. 227-16 du code de commerce, applicable par analogie aux sociétés anonymes dotées de clauses d’exclusion, permet aux statuts de prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions. Ce même texte autorise la suspension des droits non pécuniaires de l’associé « tant que celui-ci n’a pas procédé à cette cession ». La Cour relève que « les statuts de la société intimée ne prévoient aucune mesure de suspension des droits non pécuniaires des associés en cas d’exclusion ».
Cette absence de clause suspensive emporte une conséquence déterminante. La formule « de plein droit » employée dans les statuts ne suffit pas à priver immédiatement l’associé de sa qualité. Comme le précise l’arrêt, « nonobstant la formule ‘de plein droit’ employée dans la clause susvisée, Monsieur [P] conserve sa qualité d’associé minoritaire jusqu’à la cession de ses parts ». La distinction opérée par la Cour entre l’obligation de céder et la perte de la qualité d’associé traduit une lecture protectrice des droits de l’actionnaire exclu.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de présumer la privation des droits de l’associé en l’absence de stipulation expresse. L’exclusion crée une obligation de céder, non une déchéance immédiate de la qualité d’associé.
B. La recevabilité de l’action en expertise de gestion
La reconnaissance de la qualité d’associé ouvre l’accès à l’expertise de gestion prévue par l’article L. 225-231 du code de commerce. La Cour rappelle que cette action « est réservée aux associés de la société ». Elle en déduit que l’appelant « a qualité pour solliciter une expertise de gestion ».
Sur l’intérêt à agir, la Cour adopte une position de principe. Elle énonce que « l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action ». L’associé dispose d’un intérêt légitime à veiller au respect de l’intérêt social « sans avoir à établir au préalable les éléments qui lui permettent de craindre que cet intérêt ne soit pas sauvegardé ».
Cette approche libérale de la recevabilité contraste avec l’appréciation rigoureuse des conditions de fond. La Cour distingue nettement les conditions de l’action de celles du bien-fondé de la demande, conformément aux principes directeurs du procès civil.
II. L’exigence d’un intérêt suffisant à l’expertise de gestion
Si la recevabilité de l’action est admise, le bien-fondé de la demande d’expertise est apprécié avec rigueur. La Cour examine le caractère satisfaisant de la réponse préalable (A) et l’existence de raisons sérieuses de penser qu’un litige pourrait naître (B).
A. L’appréciation du caractère satisfaisant de la réponse préalable
L’article L. 225-231 du code de commerce subordonne la saisine du juge des référés à l’absence de réponse dans le délai d’un mois ou au « défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants ». La Cour examine méthodiquement chacune des opérations contestées au regard des réponses apportées.
Concernant l’acquisition de parcelles par une société civile immobilière puis leur prise à bail par la société anonyme, la Cour relève que les documents transmis « sont de nature à démentir la possibilité qu’un litige puisse sérieusement naître concernant cette opération de gestion, laquelle se résume pour la société à la conclusion d’un bail, sans appauvrissement en capital, et avec l’approbation des organes de la société dont l’appelant faisait partie ».
S’agissant des cessions immobilières intervenues dans le cadre du redressement judiciaire, la Cour constate que ces opérations ont été autorisées par jugements du tribunal de commerce des 2 février 2022 et 15 novembre 2023. Elle en déduit que « ce jugement n’ayant fait l’objet d’aucun recours, l’opération autorisée ne peut être remise en question par l’appelant ». L’autorité de chose jugée attachée aux décisions du juge-commissaire fait ainsi obstacle à la contestation par voie d’expertise de gestion.
B. L’absence de raisons suffisantes de penser qu’un litige pourrait naître
La Cour précise qu’il appartient au demandeur de démontrer « qu’il existe d’ores et déjà des raisons suffisantes de penser qu’un litige pourrait naître sur une prétention ayant au moins les apparences du sérieux ». Cette exigence traduit la fonction de l’expertise de gestion, instrument d’information précontentieux et non procédure exploratoire.
Sur les relations de sous-traitance, la Cour retient qu’« aucun des éléments produits n’établit de manière sérieuse que la société sous-traitante soit privilégiée ». Elle se fonde sur une attestation de l’expert-comptable établissant la proportion limitée de cette sous-traitance dans l’ensemble des charges de la société.
S’agissant des projets de promotion immobilière, la Cour adopte une définition restrictive de l’acte de gestion. Elle énonce qu’« un acte de gestion est celui décidé par les organes de gestion de la société en question » et constate que « les opérations de promotion immobilière, à les supposer vraisemblables, n’ont fait l’objet d’aucune décision de la part d’une des sociétés en cause ».
L’arrêt conclut que l’appelant « n’établit ni le caractère insatisfaisant de la réponse qui lui a été adressée, ni le caractère suffisant et sérieux des raisons de penser qu’un litige pourrait naître de l’expertise de gestion qu’il sollicite ». La demande est rejetée, l’appelant supportant les dépens et une condamnation de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles.