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Par un arrêt du 2 juillet 2025, la Cour d’appel de Montpellier, 2e chambre sociale, tranche un contentieux mêlant coemploi, forfait-jours, heures supplémentaires et licenciement économique. Le litige oppose un cadre français, responsable réseau, à son employeur et au groupe auquel celui-ci appartient, dans un contexte de rétraction d’activité et de missions internationales.
Le salarié avait été engagé en 2013, puis soumis en 2015 à un forfait de 213 jours. L’activité commerciale de la filiale s’est dégradée, les magasins ont fermé, et l’intéressé a accepté un contrat de sécurisation professionnelle avant la notification d’un licenciement pour motif économique en 2018. Il accomplissait parallèlement des missions hors de France, rendait compte à la société mère, et bénéficiait d’une délégation de pouvoirs pour une structure étrangère, sans convention de mise à disposition.
Le conseil de prud’hommes de Perpignan, le 16 décembre 2021, avait retenu la cause économique, écarté le coemploi, admis des jours travaillés au-delà du forfait et accordé une indemnité pour travail dissimulé. En appel, le salarié sollicitait la reconnaissance du coemploi, la nullité du forfait-jours, des rappels d’heures et une indemnisation pour atteinte aux repos, contestant la validité de la lettre de rupture.
La juridiction d’appel devait préciser, d’abord, les conditions du coemploi au sein d’un groupe lorsque la filiale conserve une autonomie, ensuite la validité d’un forfait-jours fondé sur un accord de branche et ses effets sur les demandes d’heures et de repos, enfin le contrôle de la cause économique et de l’indemnisation barémisée.
I. La reconnaissance du coemploi et ses effets sur la rupture
A. Les critères d’immixtion et la caractérisation d’un lien direct de subordination
La Cour rappelle d’abord l’exigence classique d’une immixtion anormale et permanente dans la gestion de la filiale. Elle énonce ainsi le standard probatoire applicable: « Hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière. »
La preuve d’une perte totale d’autonomie de la filiale n’était pas rapportée. Cependant, la Cour retient des éléments précis établissant un travail exécuté « sous le lien de subordination directe » de la société mère, sans convention de mise à disposition, au moyen de missions d’audit de magasins à l’étranger, d’une délégation de pouvoirs et de comptes rendus adressés directement au groupe. Ce faisceau caractérise la qualité de coemployeur, non par confusion de directions, mais par l’exercice direct des prérogatives d’employeur sur l’activité du salarié. La solution est pragmatique: elle ne dilue pas le test d’immixtion, mais admet le coemploi lorsqu’un lien de subordination parallèle est établi par des actes concrets, répétés et non organisés juridiquement.
Cette approche renforce la vigilance imposée aux groupes dans l’usage transversal des cadres. Elle sanctionne la mobilité fonctionnelle informelle qui, sans cadre contractuel, place un salarié sous des directives opérationnelles émanant d’une autre entité, et donc sous sa subordination.
B. Incidence sur la cause et l’indemnisation du licenciement économique
La régularité de la procédure de reclassement n’était pas au cœur de la censure, le texte n’imposant plus une recherche à l’étranger. La Cour contrôle plutôt la motivation de la rupture et son articulation avec la situation de coemploi. Elle relève que « le seul fait de préciser qu’il s’agit d’un licenciement économique et que le poste est supprimé ne constituant pas un motif précis de licenciement. » La précision des raisons économiques dans la lettre, spécialement avant l’adhésion au dispositif de sécurisation, demeurait défaillante.
Tenant le coemployeur pour responsable aux côtés de l’employeur de droit, la Cour juge que la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse: « Aussi, c’est à bon droit que le salarié soutient le caractère injustifié du licenciement. » L’indemnisation s’inscrit dans le barème légal, la juridiction rappelant que « Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. » Elle refuse par ailleurs tout écart au regard de l’article 6 de la Convention EDH ou de la Charte sociale.
La solution, à la fois ferme et mesurée, assoit la sécurité normative du barème, tout en étendant le cercle des débiteurs potentiels au coemployeur. Elle invite les groupes à sécuriser les prêts de main-d’œuvre internes et la motivation des ruptures, à défaut de quoi la responsabilité sera solidaire.
II. Le temps de travail: nullité du forfait-jours et conséquences indemnitaires
A. L’insuffisance des garanties conventionnelles et l’inopposabilité du forfait
La Cour réaffirme la hiérarchie des normes de protection de la santé. Elle rappelle avec force que « Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles. » Cette exigence irrigue l’ensemble du régime des forfaits-jours et commande un suivi effectif de la charge.
Le principe est posé en des termes constants: « Est nulle la convention de forfait en jours mise en place dans le cadre d’un accord ou d’une convention collective ne comportant pas de dispositions de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. Ne constitue pas une garantie suffisante […] la seule tenue d’un entretien annuel ou trimestriel avec le supérieur hiérarchique. » L’accord de branche applicable est ensuite examiné. La cour constate que « L’article 3.2.1. de l’accord du 5 septembre 2003, attaché à la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012, […] n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. » L’absence de mécanismes de régulation en temps utile et de contrôle substantiel emporte nullité.
La conséquence est claire: la durée du travail se mesure à la durée légale hebdomadaire. Le jugement de première instance, qui avait indemnisé des « jours au-delà du forfait », est infirmé au profit du régime des heures supplémentaires, plus protecteur et mieux adapté à la réalité des tâches et déplacements.
B. Prescription, preuve des heures, travail dissimulé et repos
La Cour délimite d’abord la période recouvrable. Elle décide que « Les demandes d’heures supplémentaires portant sur la période antérieure au 1er février 2015 sont irrecevables. » Le rappel des salaires exigibles s’apprécie selon l’article L. 3245-1, la saisine interruptive figeant le délai. Cette borne temporelle structure l’office du juge dans l’évaluation.
S’agissant de la preuve, la Cour cite la règle bilatérale: « Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Il appartient, cependant, au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis […] » Les tableaux et justificatifs produits, bien que lacunaires, permettaient un débat contradictoire. L’employeur n’apportant aucun élément alternatif, la juridiction arbitre un quantum raisonnable, allouant un rappel de salaire assorti des congés payés.
La qualification de travail dissimulé est écartée, faute d’intention frauduleuse. La Cour l’affirme nettement: « il n’est pas démontré une intention de employeurs de dissimuler une partie de l’activité du salarié rémunérée sur la base de ce forfait-jours nul. » La sévérité s’exerce plutôt sur l’obligation de sécurité et le respect des repos. La motivation est explicite: « Tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, l’employeur doit en assurer l’effectivité et il lui appartient de rapporter la preuve du respect des temps de repos journaliers et hebdomadaires du salarié, de surcroît lorsque celui-ci est exposé à des déplacements excédant le temps de travail habituel […] » À défaut de preuve, une indemnisation spécifique est accordée.
L’ensemble consacre une ligne jurisprudentielle exigeante à deux égards. D’une part, elle confirme la nullité des forfaits-jours dépourvus de régulation effective et de contrôle substantiel, et réhabilite la mesure en heures avec partage de la charge de la preuve. D’autre part, elle autonomise la réparation des atteintes aux repos, distincte de la sanction des durées, afin de protéger concrètement la santé du travailleur, spécialement en cas de déplacements imposants.