Cour d’appel de Montpellier, le 23 juillet 2025, n°23/03296

Par un arrêt du 23 juillet 2025, la premiere chambre sociale de la cour d’appel de Montpellier s’est prononcée sur les conditions de mise en oeuvre du droit à une évolution de rémunération garanti aux salariés titulaires de mandats représentatifs, ainsi que sur le régime de la prescription applicable à l’action en rappel de salaires fondée sur ce droit.

Une salariée, engagée le 5 novembre 1987 par un établissement bancaire en qualité de technicienne de banque, a occupé divers mandats électifs et syndicaux de 2013 à 2016. Estimant que sa rémunération n’avait pas progressé conformément aux dispositions légales durant cette période, elle a saisi le 23 août 2018 la formation de référé du conseil de prud’hommes aux fins de communication de pièces. Par arrêt infirmatif du 4 septembre 2019, la cour d’appel a ordonné la délivrance de bulletins de paie et d’extraits du registre du personnel. La salariée a ensuite saisi le juge du fond le 8 avril 2021.

Le conseil de prud’hommes de Montpellier, par jugement du 17 mai 2023, a déclaré l’action non prescrite mais a débouté la salariée de ses demandes. Celle-ci a interjeté appel le 27 juin 2023, sollicitant la condamnation de l’employeur au paiement de rappels de salaires et de dommages et intérêts pour exécution déloyale. L’employeur a, pour sa part, demandé l’infirmation du jugement sur la prescription et le rejet des prétentions adverses.

La question de droit posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action en rappel de salaires fondée sur l’article L. 2141-5-1 du code du travail et les conditions de son interruption. La cour devait également préciser les modalités d’application de ce texte, notamment la période de référence pour le calcul de l’évolution de rémunération et les éléments devant être pris en compte.

La cour d’appel de Montpellier confirme le jugement et rejette les demandes de la salariée. Elle retient que le point de départ de la prescription triennale se situe au terme du mandat, que l’action en référé a interrompu ce délai et que la salariée a été remplie de ses droits sur la base des calculs effectués.

L’arrêt apporte des précisions significatives sur le régime juridique applicable à l’action en rappel de salaires des représentants du personnel. Il convient d’examiner les règles gouvernant la prescription de cette action (I) avant d’analyser les modalités de calcul de l’évolution de rémunération garantie (II).

I. Le régime de la prescription de l’action en rappel de salaires des représentants du personnel

La cour précise le point de départ du délai de prescription (A) avant d’en définir les causes d’interruption (B).

A. Le point de départ du délai fixé au terme du mandat

La cour affirme que « lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande ». Elle applique donc la prescription triennale prévue à l’article L. 3245-1 du code du travail.

La question du point de départ de ce délai appelait une analyse particulière. La cour relève que la demande « nécessitait une comparaison entre l’évolution de sa rémunération, ‘sur l’ensemble de la durée de son mandat’, et les augmentations générales et la moyenne des augmentations individuelles perçues ‘pendant cette période’ ». Elle en déduit que la salariée « n’a donc été à même de connaître les faits lui permettant de l’exercer qu’au terme de son mandat, au mois de juin 2016 ».

Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 2224 du code civil qui fait courir la prescription du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer. Le mécanisme de garantie institué par l’article L. 2141-5-1 suppose une comparaison globale sur l’ensemble du mandat. Le salarié ne peut donc chiffrer sa créance qu’à l’issue de celui-ci.

La cour ajoute que « la prescription ne s’applique pas lorsque la créance dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier, notamment lorsque le salarié n’a pas été mis en possession par l’employeur des éléments lui permettant de chiffrer ou de connaître le montant du rappel de salaires auquel il avait droit ». Cette précision renforce la protection du salarié qui ne dispose pas des informations nécessaires pour évaluer ses droits.

B. L’effet interruptif de l’action en référé

La cour examine ensuite l’incidence de la procédure de référé sur le cours de la prescription. Elle rappelle que « la demande en référé interrompt le délai de prescription » et que « l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance ».

Elle applique ces principes à l’espèce en constatant que « la salariée a saisi le bureau des référés du conseil de prud’hommes de Montpellier le 23 août 2018, dans le délai de trois ans du terme de son mandat, et que l’interruption de la prescription résultant de sa demande a perduré jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel du 4 septembre 2019 ». L’action au fond, introduite le 8 avril 2021, a donc été exercée dans le nouveau délai de trois ans.

La cour ajoute un fondement supplémentaire en énonçant que « si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but ». Elle considère que « les instances en référé et au fond » répondaient à cette condition, « de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ».

Cette analyse mérite approbation. La demande de communication de pièces en référé constituait le préalable indispensable à l’exercice de l’action en rappel de salaires, les deux procédures poursuivant le même objectif. La cour assure ainsi l’effectivité du droit du salarié qui ne saurait être privé de son action pour avoir préalablement sollicité les éléments de preuve nécessaires.

II. Les modalités de calcul de l’évolution de rémunération garantie

La cour précise l’étendue de la garantie légale (A) avant de définir les paramètres du calcul (B).

A. L’étendue de la garantie légale

La cour rappelle les conditions d’application de l’article L. 2141-5-1 du code du travail. Ce texte, créé par la loi du 17 août 2015, garantit aux représentants du personnel dont les heures de délégation dépassent 30 % de leur durée de travail « une évolution de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, au moins égale, sur l’ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles ».

La cour constate que ce texte « est entré en vigueur le 19 août 2015 ». La salariée sollicitait un rappel de salaires sur l’ensemble de la période 2013-2016. La cour retient que « la salariée est recevable à exercer sa demande à l’expiration de son mandat, alors que l’article L. 2141-5-1 était entré en vigueur, sur l’ensemble de la durée du mandat ».

Elle définit ensuite la notion de rémunération en énonçant que « par rémunération, il faut entendre le salaire de base, les avantages en nature et en espèces et tout accessoire de salaire payé directement ou indirectement par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier ». La cour précise que cette notion inclut les cas où « certaines augmentations individuelles résultent d’une promotion entraînant un changement de catégorie professionnelle ».

Cette conception extensive de la rémunération s’inscrit dans la logique protectrice du texte. Elle permet d’éviter que l’employeur n’élude la garantie en privilégiant certaines formes de rétribution au détriment du salaire de base.

B. Les paramètres du calcul

La cour précise que « la comparaison, sur l’ensemble de la durée du mandat, de l’évolution de la rémunération des représentants du personnel mentionnés à l’article L. 2141-5-1 du code du travail avec celle des autres salariés doit être effectuée annuellement ». Cette méthode permet de déceler d’éventuelles distorsions à chaque étape de la vie du mandat.

Elle énonce ensuite la formule de calcul applicable : « le montant de l’évolution de la rémunération du salarié doit être calculé en soustrayant les salaires perçus par le salarié du salaire de base majoré du pourcentage moyen des augmentations moyennes, telles que déterminées par référence aux documents des négociations annuelles obligatoires ».

La cour apporte une précision importante concernant l’assiette de comparaison. Elle indique que « les salariés de la même catégorie n’ayant pas eu d’augmentation doivent être inclus dans le calcul de la moyenne des augmentations à appliquer ». Cette inclusion évite de fausser le calcul en ne retenant que les salariés augmentés, ce qui aurait pour effet de majorer artificiellement le taux de référence.

Appliquant ces règles à l’espèce, la cour constate qu’« il n’est pas discuté qu'[la salariée] a été remplie de ses droits ». Cette absence de contestation sur le résultat du calcul, une fois la méthode correctement appliquée, démontre que l’employeur avait respecté ses obligations légales. La cour confirme donc le jugement et rejette les demandes de rappel de salaires.

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Hassan KOHEN
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