Cour d’appel de Montpellier, le 24 juin 2025, n°24/01781

La location d’une licence de débit de boissons constitue une opération fréquente dans le secteur de la restauration. Elle suppose néanmoins que le locataire puisse effectivement exploiter cette licence au lieu convenu. La Cour d’appel de Montpellier, par un arrêt du 24 juin 2025, a eu à connaître d’un litige relatif à la nullité d’un tel contrat pour réticence dolosive.

Une société exploitant un débit de boissons a conclu le 28 janvier 2020 avec un particulier propriétaire de plusieurs licences un contrat de location d’une licence de quatrième catégorie, moyennant un loyer mensuel de 750 euros. Le contrat stipulait que l’exploitation devait être réalisée à une adresse précise. La société locataire a parallèlement signé un bail commercial le 12 février 2020 pour exploiter un local à destination de bar. Cependant, dès le 14 février 2020, l’administration a annulé la déclaration de translation de licence au motif que l’établissement se situait à moins de cinquante mètres d’un conservatoire à rayonnement régional, établissement d’enseignement constituant une zone protégée au sens de l’article L. 3335-1 du code de la santé publique. La société locataire a mis fin au contrat le 30 octobre 2020 puis assigné le bailleur en nullité pour dol et restitution des loyers.

Le tribunal de commerce de Montpellier, par jugement du 7 février 2024, a prononcé la nullité du contrat et condamné le bailleur à restituer 8 250 euros de loyers ainsi qu’à verser 2 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral. Le bailleur a relevé appel. Il soutenait que la translation avait été effectuée, qu’il n’avait pas eu connaissance du refus administratif et que la licence litigieuse n’était pas celle visée par le courrier préfectoral de refus. Le liquidateur de la société locataire, entre-temps placée en liquidation judiciaire, demandait la confirmation du jugement et sollicitait des dommages et intérêts complémentaires.

La question posée à la cour était de déterminer si le bailleur avait commis un dol par réticence en dissimulant au locataire l’impossibilité d’exploiter la licence à l’adresse contractuellement prévue. La cour devait également statuer sur l’étendue des préjudices réparables.

La Cour d’appel de Montpellier confirme le jugement. Elle retient que le bailleur savait que la location ne permettait pas d’exploiter un établissement à l’adresse convenue en raison de la proximité d’un établissement d’enseignement. La dissimulation de cette information déterminante caractérise le dol. La cour confirme la restitution des loyers mais rejette la demande de dommages et intérêts complémentaires, faute de lien de causalité suffisant entre le dol et les frais d’exploitation du bail commercial.

La cour caractérise avec précision la réticence dolosive du bailleur de licence (I) avant de délimiter strictement les conséquences indemnitaires de cette nullité (II).

I. La caractérisation de la réticence dolosive du bailleur de licence

La cour établit l’existence du dol en démontrant la connaissance par le bailleur de l’obstacle réglementaire (A), puis en qualifiant son silence de dissimulation intentionnelle d’une information déterminante (B).

A. La connaissance établie de l’obstacle réglementaire

La cour relève que le bailleur avait été informé, dès le 28 février 2019, d’un refus préfectoral de transférer une licence lui appartenant vers une adresse proche du conservatoire. Le bailleur distinguait lui-même cette licence refusée, qu’il qualifiait de « fausse », de celle objet du contrat litigieux. La cour constate néanmoins que « la licence d’exploitation prévue au contrat (« la vraie » selon l’appelant) a bien fait l’objet d’un refus pour les mêmes motifs ». Cette connaissance résulte d’un courrier du 6 juillet 2020 rappelant que la déclaration du 29 janvier 2020 avait été « annulée par courrier du 14 février 2020 en vertu de l’article L. 3335-1 du code de la santé publique ».

L’article L. 3335-1 du code de la santé publique interdit l’établissement de débits de boissons à consommer sur place à proximité des établissements d’enseignement. Le conservatoire à rayonnement régional constitue un tel établissement. La cour souligne que « le refus opposé à l’une ou l’autre de ces démarches reste le même lorsqu’il est fondé sur l’existence de zones protégées ». Peu importe ainsi la distinction entre translation et transfert de licence dès lors que l’obstacle réglementaire demeure identique.

B. La qualification de dissimulation intentionnelle d’une information déterminante

Le contrat stipulait que le locataire devait « faire son affaire personnelle de la translation de la licence ». Cette clause ne saurait exonérer le bailleur de son obligation de loyauté précontractuelle. La cour retient que le bailleur « savait pertinemment que cette location ne permettait pas d’exploiter un établissement de débit de boisson » à l’adresse convenue, laquelle constituait « son lieu d’exploitation exclusif et, partant, déterminant au consentement du locataire ».

L’article 1137 du code civil dispose que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manoeuvres ou des mensonges » et que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». La cour qualifie exactement la réticence dolosive en relevant la dissimulation « d’une information dont il savait le caractère déterminant ». Le caractère intentionnel résulte de la connaissance préalable du refus administratif. L’argument tiré d’une éventuelle délocalisation ultérieure du conservatoire est écarté comme inopérant.

La nullité du contrat étant acquise, la cour devait déterminer l’étendue des restitutions et réparations dues à la victime du dol.

II. La délimitation des conséquences indemnitaires de la nullité pour dol

La cour confirme les restitutions consécutives à l’annulation rétroactive du contrat (A) mais refuse d’indemniser les préjudices dont le lien de causalité avec le dol n’est pas établi (B).

A. La restitution intégrale des loyers versés au titre du contrat annulé

L’article 1178 du code civil prévoit que « les prestations exécutées donnent lieu à restitution ». La cour confirme la condamnation du bailleur à restituer 8 250 euros correspondant aux loyers perçus pendant la durée d’exécution du contrat. Cette restitution constitue la conséquence mécanique de l’annulation rétroactive. Le contrat est censé n’avoir jamais existé et chaque partie doit restituer ce qu’elle a reçu.

La cour confirme également l’allocation de 2 000 euros au titre du préjudice moral « justement apprécié dans sa nature et son quantum par les premiers juges ». Ce préjudice distinct de la simple restitution sanctionne le comportement déloyal du cocontractant. L’article 1178 alinéa 4 du code civil permet en effet à « la partie lésée » de « demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle ».

B. Le rejet des demandes indemnitaires faute de lien de causalité suffisant

Le liquidateur sollicitait 26 723,18 euros correspondant aux loyers des murs commerciaux et frais d’exploitation. La cour rejette cette demande au motif que « les sommes réclamées ont été versées en vertu contrat de bail, lui-même indépendant du contrat de licence IV ». Elle ajoute qu’« il n’est pas démontré que l’absence de licence aurait empêché toute exploitation commerciale des locaux ».

Cette motivation révèle l’exigence d’un lien de causalité direct entre le dol et le préjudice invoqué. Le bail commercial avait son économie propre. La société locataire pouvait théoriquement exploiter les locaux pour une activité ne nécessitant pas de licence de quatrième catégorie. La charge de la preuve pesait sur le liquidateur conformément aux articles 1240 du code civil et 9 du code de procédure civile. La cour opère ainsi une distinction nette entre les conséquences directes du dol, ouvrant droit à restitution et réparation, et les préjudices indirects ou incertains qui demeurent à la charge de la victime.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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