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La Cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 3 juillet 2025, a infirmé le jugement du Conseil de prud’hommes de Béziers rendu le 7 juin 2023 et rejeté l’ensemble des demandes d’une salariée contestant le bien-fondé de son licenciement économique.
Une salariée avait été engagée le 17 novembre 2008 par une société d’imprimerie pour exercer les fonctions d’employée au façonnage, groupe V, échelon A. Par lettre du 2 avril 2021, elle fut convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique. Elle adhéra le 21 avril 2021 au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé, entraînant la rupture du contrat de travail d’un commun accord. La lettre d’accompagnement du 16 avril 2021 invoquait l’épidémie de Covid-19 ayant conduit à une baisse drastique de l’activité, l’entreprise étant directement impactée par les difficultés de ses clients évoluant dans les secteurs de la culture, du tourisme et du transport.
Le 8 mars 2022, la salariée saisit le Conseil de prud’hommes de Béziers pour contester le bien-fondé de la rupture. Cette juridiction condamna l’employeur au paiement de diverses sommes incluant une indemnité compensatrice de préavis et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur interjeta appel le 5 juillet 2023, sollicitant l’infirmation du jugement et le rejet des prétentions adverses. La salariée, formant appel incident, demanda la confirmation partielle du jugement et une majoration des dommages et intérêts.
Il convenait de déterminer si le licenciement économique reposait sur une cause réelle et sérieuse, ce qui impliquait d’examiner la réalité des difficultés économiques, le respect de l’obligation de reclassement et l’application des critères d’ordre des licenciements.
La Cour d’appel de Montpellier infirme le jugement et rejette l’ensemble des demandes de la salariée. Elle constate que les difficultés économiques sont établies au regard de la baisse significative du chiffre d’affaires sur au moins deux trimestres consécutifs conformément à l’article L. 1233-3 du code du travail. Elle relève que l’obligation de reclassement a été respectée et que l’ordre des licenciements a été correctement appliqué selon les critères conventionnels.
Cette décision illustre le contrôle rigoureux opéré par les juridictions sur les trois conditions cumulatives du licenciement économique. L’examen de la caractérisation des difficultés économiques par référence aux critères légaux (I) précède l’analyse du respect des obligations procédurales pesant sur l’employeur (II).
I. La caractérisation des difficultés économiques au prisme des critères légaux
La Cour procède à une application méthodique des dispositions de l’article L. 1233-3 du code du travail (A) tout en écartant la portée contraignante des recommandations conventionnelles (B).
A. L’application rigoureuse des indicateurs économiques légaux
L’article L. 1233-3 du code du travail définit le licenciement pour motif économique comme celui effectué pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié. Ces motifs doivent résulter notamment de difficultés économiques « caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ».
La Cour relève que « la durée de la baisse du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, égalait au moins deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ». Cette constatation répond exactement aux exigences légales qui prévoient, pour les entreprises de cette taille, une durée minimale de deux trimestres consécutifs de baisse.
Les documents comptables certifiés par l’expert-comptable révèlent une chute du chiffre d’affaires net de 2 319 917 euros en 2019 à 1 426 798 euros en 2020. Le détail trimestriel confirme l’ampleur des difficultés avec des baisses de 29,34 %, 43,89 %, 11,73 % et 61,85 % selon les trimestres comparés. La Cour note également que « la baisse de chiffre d’affaires s’est encore aggravée au cours du 1er trimestre 2021 ». Cette dégradation continue renforce la démonstration de la réalité des difficultés économiques invoquées.
Le législateur a ainsi objectivé la notion de difficultés économiques en 2016, substituant des critères quantifiables à l’appréciation souveraine des juges du fond. La décision commentée illustre cette évolution en procédant à une vérification arithmétique des conditions légales plutôt qu’à une appréciation globale de la situation de l’entreprise.
B. La qualification des dispositions conventionnelles comme simples recommandations
La salariée invoquait l’article 328 de la convention collective nationale des imprimeries de labeur et des industries graphiques. Ce texte prévoit qu’en cas de baisse de travail, il est « expressément recommandé de diminuer l’horaire de travail avant de procéder à des licenciements de personnel ».
La Cour écarte cet argument en qualifiant cette disposition de « simple recommandation ». Cette analyse repose sur une interprétation littérale du texte conventionnel qui emploie le terme « recommandé » et non une formulation impérative. La distinction entre obligation et recommandation conduit à refuser tout effet contraignant à cette clause.
Cette qualification emporte des conséquences juridiques significatives. Une obligation conventionnelle aurait imposé à l’employeur d’établir qu’il avait préalablement réduit le temps de travail ou démontré l’impossibilité de recourir à cette mesure. Une recommandation ne crée aucune exigence supplémentaire par rapport au droit commun du licenciement économique.
La jurisprudence distingue traditionnellement les clauses impératives des clauses programmatiques dans les conventions collectives. Seules les premières créent des obligations dont la violation peut affecter la validité du licenciement. La Cour s’inscrit dans cette ligne en refusant d’imposer des contraintes supplémentaires fondées sur une simple incitation conventionnelle.
II. Le respect des obligations procédurales du licenciement économique
La Cour examine successivement l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur (A) avant de contrôler l’application des critères d’ordre des licenciements (B).
A. La démonstration de l’impossibilité de reclassement
La Cour rappelle le principe selon lequel « le licenciement pour motif économique n’a une cause réelle et sérieuse que si l’employeur a été dans l’impossibilité de reclasser le salarié ». L’obligation de reclassement constitue ainsi une condition autonome de la validité du licenciement, distincte de la réalité du motif économique.
Le périmètre de cette recherche s’étend à « l’entreprise et, le cas échéant, dans le groupe auquel elle appartient ». L’employeur doit proposer des « emplois disponibles de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification des contrats de travail, en assurant au besoin l’adaptation de ces salariés à une évolution de leur emploi ».
La Cour constate que l’employeur communique le registre actualisé du personnel, « ce qui permet à la cour de vérifier que des embauches n’ont effectivement pas eu lieu ». Cette production constitue un élément de preuve pertinent pour établir l’absence de postes disponibles. La juridiction relève également « la dimension réduite de l’entreprise (quinze salariés) » et l’absence de tout poste susceptible d’être proposé compte tenu de « la formation et des compétences » de la salariée.
L’obligation d’adaptation est expressément mentionnée mais limitée à « une formation seulement complémentaire ». Cette précision rappelle que l’employeur n’est pas tenu de dispenser une formation initiale complète pour permettre au salarié d’occuper un poste radicalement différent de ses compétences. La charge de l’adaptation trouve sa limite dans la distinction entre formation complémentaire et reconversion professionnelle.
B. L’application des critères conventionnels d’ordre des licenciements
La Cour examine ensuite le respect des critères d’ordre des licenciements prévus par l’article 328 de la convention collective. Ce texte dispose que les licenciements « seront déterminés, par catégorie et échelons professionnels, en tenant compte de l’ancienneté et de la valeur professionnelle, la valeur professionnelle n’intervenant que si la différence d’ancienneté est au plus égale à deux années ».
La juridiction rappelle un principe cardinal selon lequel « l’employeur ne peut privilégier l’un des critères arrêtés pour fixer l’ordre des licenciements qu’après avoir pris en considération l’ensemble de ceux-ci ». Elle précise également que « la catégorie professionnelle concerne l’ensemble des salariés qui exercent dans l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation commune ».
L’analyse des données factuelles conduit la Cour à valider l’ordre retenu par l’employeur. La salariée, embauchée en 2008 au groupe V échelon A, était comparée aux deux autres salariés relevant des mêmes classification et échelon, engagés en 1994 et 1999. Ces derniers bénéficiaient donc « d’anciennetés supérieures de plus de deux ans à la sienne ».
L’écart d’ancienneté excédant deux années, le critère de la valeur professionnelle ne pouvait intervenir conformément aux stipulations conventionnelles. La Cour ajoute que les fonctions de chauffeur-livreur manutentionnaire et de massicotier exercées par les deux autres salariés « nécessitaient également une formation de base spécifique ou une formation complémentaire excédant l’obligation d’adaptation ». Cette précision suggère que ces salariés n’appartenaient pas à la même catégorie professionnelle, la notion supposant une formation commune.
La portée de cet arrêt réside dans l’application combinée des critères légaux et conventionnels du licenciement économique. La Cour d’appel de Montpellier confirme que la démonstration des difficultés économiques par des indicateurs objectifs, l’établissement de l’impossibilité de reclassement et le respect des critères d’ordre suffisent à caractériser la cause réelle et sérieuse du licenciement. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence désormais stabilisée depuis la réforme de 2016 ayant introduit des critères quantifiables pour apprécier les difficultés économiques.