Cour d’appel de Montpellier, le 3 juillet 2025, n°24/00429

La question de l’efficacité de la clause de substitution dans les compromis de vente de fonds de commerce, et ses conséquences sur les obligations du cessionnaire initial, demeure un enjeu contentieux récurrent. La Cour d’appel de Montpellier, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte une illustration significative des conditions dans lesquelles le substituant demeure tenu malgré l’exercice de sa faculté de substitution.

En l’espèce, une société propriétaire d’un hôtel avait mandaté un cabinet de conseil pour trouver un acquéreur. Le 5 septembre 2019, un compromis de vente du fonds de commerce a été signé avec une personne physique, cessionnaire, assorti d’une clause de substitution. Cette clause permettait à l’acquéreur de « se substituer toute personne physique ou morale de son choix mais avec laquelle elle demeurera responsable du paiement du prix et de l’exécution des charges, clauses et conditions de la vente ». Par avenant du 16 mars 2020, le cessionnaire a déclaré se substituer une société dont elle était gérante et associée. Cet avenant mentionnait que les conditions suspensives avaient été levées et reportait la signature de l’acte réitératif au 30 avril 2020 en raison de la crise sanitaire. Convoquée le 24 juin 2020 pour la signature définitive, ni le cessionnaire initial ni la société substituée ne se sont présentés. Le cédant a alors constaté la résiliation du compromis et réclamé l’application de la clause pénale ainsi que la libération de la somme consignée.

Les sociétés cédante et intermédiaire ont assigné le cessionnaire initial devant le tribunal de commerce, qui s’est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire. Par jugement du 18 janvier 2024, cette juridiction a condamné le cessionnaire au paiement de la clause pénale de 10 000 euros et des honoraires de l’intermédiaire pour 24 000 euros. Elle a rejeté tant la demande de majoration de la clause pénale que la demande reconventionnelle pour procédure abusive. Le cessionnaire initial a interjeté appel, contestant être tenu des obligations du compromis du fait de la substitution opérée.

La question posée à la Cour d’appel de Montpellier était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’exercice de la faculté de substitution libère le substituant de ses obligations contractuelles. D’autre part, la cour devait apprécier si la clause pénale de 10 000 euros présentait un caractère manifestement dérisoire justifiant sa majoration.

La cour confirme intégralement le jugement. Elle juge que « la substitution ne la déchargeait pas de toute obligation puisqu’en application des termes du compromis, elle doit rester responsable du paiement du prix et de l’exécution des charges, clauses et conditions de la vente ». Elle retient également que le cessionnaire « est mal fondée à soutenir qu’elle n’a pas obtenu de prêt alors qu’elle a indiqué l’inverse dans le compromis du 16 mars 2020 ». Concernant la clause pénale, la cour considère que le cédant « ne rapporte pas la preuve du caractère manifestement dérisoire que représenterait aujourd’hui la somme de 10 000 euros ».

La décision présente un intérêt en ce qu’elle précise les effets de la clause de substitution sur le maintien des obligations du substituant (I) et qu’elle rappelle les conditions restrictives de la révision judiciaire de la clause pénale (II).

I. Le maintien des obligations du substituant malgré l’exercice de la faculté de substitution

La cour rappelle avec fermeté le mécanisme de la clause de substitution (A) avant d’en tirer les conséquences sur la responsabilité contractuelle du cessionnaire initial (B).

A. La portée de la clause de substitution stipulée au compromis

La clause de substitution constitue une stipulation contractuelle par laquelle une partie se réserve la faculté de désigner un tiers pour se substituer à elle dans l’exécution du contrat. Cette technique, fréquente en matière de vente immobilière et de cession de fonds de commerce, répond à des préoccupations pratiques variées. Elle permet notamment à l’acquéreur de finaliser la structuration juridique de son acquisition ou de faire porter l’opération par une entité distincte.

La rédaction de la clause en cause mérite attention. Elle autorisait le cessionnaire à « se substituer toute personne physique ou morale de son choix » tout en précisant qu’il « demeurera responsable du paiement du prix et de l’exécution des charges, clauses et conditions de la vente ». Cette formulation établit sans ambiguïté que la substitution n’opère pas novation par changement de débiteur. Le substituant ne disparaît pas du rapport contractuel mais demeure tenu aux côtés du substitué.

La cour reprend cette analyse avec clarté. Elle relève que « contrairement à ce qu’indique » le cessionnaire, « la substitution ne la déchargeait pas de toute obligation ». L’emploi de cette double négation souligne le caractère erroné de la thèse adverse. Le cessionnaire initial demeure garant de l’exécution des obligations contractuelles, la substitution n’ayant pour effet que d’ajouter un débiteur sans libérer le premier.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. La clause de substitution, sauf stipulation contraire expresse, ne libère pas le substituant de ses engagements. Le mécanisme se distingue ainsi de la cession de contrat, qui suppose l’accord du cédé et emporte transfert de la qualité de partie. La substitution crée une situation de pluralité de débiteurs où le substituant et le substitué sont tenus conjointement ou solidairement selon les termes de l’acte.

B. L’engagement de la responsabilité contractuelle du cessionnaire défaillant

La cour examine ensuite si les conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle du cessionnaire sont réunies. Deux éléments devaient être établis : la réalisation des conditions suspensives rendant l’obligation exécutoire et la défaillance du débiteur.

Sur le premier point, le cessionnaire soutenait ne pas avoir obtenu le prêt nécessaire au financement de l’acquisition. La cour écarte cet argument avec une motivation rigoureuse. Elle relève que le cessionnaire « a indiqué l’inverse dans le compromis du 16 mars 2020, soutenant alors que les conditions suspensives prévues dans les clauses du compromis du 5 septembre 2019 ont été levées ». L’avenant signé par les parties établissait donc la réalisation des conditions suspensives. Le cessionnaire ne pouvait se contredire en invoquant ultérieurement le défaut d’obtention du prêt.

Le cessionnaire opposait également une mention manuscrite relative à une condition suspensive « d’extinction de l’épidémie de Covid 19 ». La cour rejette cet argument au motif que cette mention « ne fait pas corps avec l’acte et a pu être ajoutée postérieurement à la signature » du cédant. Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond dans l’interprétation des conventions. Elle sanctionne une tentative d’opposer une stipulation dont l’authenticité n’était pas établie.

La défaillance du cessionnaire résulte de son absence au rendez-vous de signature du 24 juin 2020, constatée par huissier. La cour en déduit que le cessionnaire « a été défaillante en ne se présentant pas au rendez-vous de signature » et « a commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité ». Cette qualification de faute contractuelle fonde l’application tant de la clause pénale que de l’obligation de payer les honoraires de l’intermédiaire.

II. L’appréciation restrictive du pouvoir de révision de la clause pénale

La cour refuse de majorer la clause pénale malgré la demande du cédant (A) et confirme les condamnations accessoires à la charge du cessionnaire défaillant (B).

A. Le refus de majoration de la clause pénale pour défaut de preuve du caractère dérisoire

L’article 1231-5 du code civil confère au juge le pouvoir de « modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». Ce pouvoir modérateur constitue une exception au principe de la force obligatoire des conventions. Son exercice suppose que le caractère manifestement excessif ou dérisoire soit établi.

En l’espèce, le cédant sollicitait la majoration de la clause pénale de 10 000 euros à 40 000 euros, soit 10 % du prix de vente. La cour rejette cette demande en relevant que le cédant « ne rapporte pas la preuve du caractère manifestement dérisoire que représenterait aujourd’hui la somme de 10 000 euros à laquelle elle avait consentie à la signature de l’avant contrat ».

Cette motivation appelle plusieurs observations. La cour fait peser la charge de la preuve sur le demandeur à la majoration, conformément au droit commun. Elle souligne que le cédant avait consenti au montant stipulé lors de la signature. L’évolution ultérieure des circonstances ne suffit pas à établir le caractère manifestement dérisoire.

La cour ajoute que le cédant, « de sa propre volonté », a accepté de reporter la signature de l’acte réitératif dans l’avenant « sans prévoir un montant de consignation complémentaire ». Cette remarque est significative. Elle suggère que le cédant, s’il estimait la garantie insuffisante, aurait dû négocier son renforcement lors de la prorogation du compromis. Son abstention constitue un indice de ce que le montant lui paraissait alors adapté.

La jurisprudence fait preuve de rigueur dans l’appréciation du caractère manifestement dérisoire. L’adverbe « manifestement » implique une disproportion évidente entre le montant stipulé et le préjudice subi. La simple insuffisance de la réparation ne suffit pas. La cour applique cette exigence avec fermeté en confirmant le montant de 10 000 euros.

B. La confirmation des condamnations accessoires au paiement des honoraires d’intermédiaire

La cour confirme également la condamnation du cessionnaire au paiement des honoraires de l’intermédiaire immobilier pour un montant de 24 000 euros. Cette solution découle de la combinaison de deux stipulations contractuelles.

D’une part, l’article 16 du compromis prévoyait que « la partie défaillante sera en outre redevable du paiement des honoraires du cabinet ». D’autre part, l’article 33 stipulait que les parties reconnaissaient que « la mission de recherche et de découverte d’acquéreur a été parfaitement accomplie » et accordaient « irréductiblement » à l’intermédiaire le montant de sa rémunération.

La cour en déduit que « dès lors que les conditions suspensives ont été réalisées, c’est à bon droit que le premier juge a condamné » le cessionnaire au paiement de cette somme. Le raisonnement est logique. La rémunération de l’intermédiaire était due au jour de la signature de l’acte définitif. La défaillance du cessionnaire ne saurait priver l’intermédiaire d’une rémunération acquise du fait de l’accomplissement de sa mission.

Cette solution s’inscrit dans le régime protecteur de la rémunération des agents immobiliers. La loi Hoguet et ses textes d’application encadrent strictement les conditions d’acquisition du droit à commission. En l’espèce, les stipulations contractuelles satisfaisaient à ces exigences. L’intermédiaire avait accompli sa mission en trouvant un acquéreur et en formalisant l’accord par un compromis. La défaillance de l’acquéreur à la signature définitive ne pouvait remettre en cause ce droit acquis.

La cour rejette enfin la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par le cessionnaire. Elle relève brièvement que celui-ci « ne démontre pas en quoi l’action des intimées a dégénéré en abus ». L’action en justice constitue un droit fondamental. Son exercice ne devient fautif que s’il dégénère en abus, ce qui suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. En l’absence de cette preuve, la demande est rejetée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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