Cour d’appel de Montpellier, le 3 juillet 2025, n°24/01415

Par arrêt du 3 juillet 2025, la cour d’appel de Montpellier se prononce sur la recevabilité d’une action en paiement engagée par un cessionnaire de créance à l’encontre de deux emprunteurs défaillants. La décision invite à s’interroger sur l’articulation entre le délai biennal de forclusion applicable aux crédits à la consommation et les mécanismes de régularisation des incidents de paiement.

Une société bancaire a consenti, le 8 décembre 2018, un prêt de 15 000 euros à deux époux, remboursable en 84 mensualités au taux de 2,56 % l’an. Des impayés sont survenus et la déchéance du terme a été prononcée le 4 mars 2022. La créance a été cédée le 24 septembre 2022 à une société de recouvrement. Le 27 avril 2023, cette dernière a assigné les emprunteurs en paiement.

Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Montpellier, par jugement du 29 septembre 2023, a déclaré l’action irrecevable comme forclose, estimant que le premier incident de paiement non régularisé datait du 3 avril 2021. Le cessionnaire a interjeté appel le 15 mars 2024. Les intimés n’ont pas constitué avocat.

Devant la cour, le cessionnaire soutenait que le premier incident de paiement non régularisé ne se situait pas au 3 avril 2021 mais au 3 mai 2021, les impayés antérieurs ayant été soldés par des paiements ultérieurs. Il en déduisait que son action, introduite le 27 avril 2023, l’avait été dans le délai de deux ans.

La question posée à la cour était de déterminer si l’action en paiement avait été engagée dans le délai biennal de forclusion prévu par l’article R. 312-35 du code de la consommation, ce qui supposait d’identifier précisément la date du premier incident de paiement non régularisé.

La cour d’appel de Montpellier infirme le jugement. Elle constate que les impayés de mars et avril 2021 ont été régularisés par des paiements postérieurs et retient que le premier incident non régularisé remonte au 3 mai 2021. L’assignation du 27 avril 2023 a donc été délivrée dans le délai de deux ans. La cour condamne solidairement les emprunteurs au paiement des sommes dues, tout en prononçant la déchéance du droit aux intérêts du prêteur.

La solution retenue par la cour d’appel de Montpellier appelle une analyse en deux temps. Il convient d’examiner d’abord l’identification du point de départ du délai de forclusion par la prise en compte des régularisations (I), puis de mesurer les conséquences de la recevabilité de l’action sur le quantum de la condamnation (II).

I. L’identification du point de départ du délai de forclusion par la prise en compte des régularisations

La détermination du premier incident de paiement non régularisé constitue l’enjeu central du litige (A). La cour adopte une méthode d’imputation des paiements conforme à la jurisprudence établie (B).

A. La notion d’incident de paiement non régularisé comme fait générateur de la forclusion

L’article R. 312-35 du code de la consommation dispose que les actions en paiement doivent être formées « dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance ». La cour rappelle que cet événement est « caractérisé, notamment, par le premier incident de paiement non régularisé ». Cette formulation implique que tout impayé ultérieurement soldé ne saurait constituer le point de départ du délai. Le législateur a ainsi voulu protéger l’emprunteur de bonne foi qui remédie à sa défaillance, tout en sanctionnant le prêteur négligent qui tarde à agir.

Le premier juge avait retenu la date du 3 avril 2021, sans tenir compte des paiements intervenus postérieurement. La cour relève que « l’impayé du mois de mars 2021 a été régularisé par un paiement par carte bancaire le 21 juillet 2021 » et que « l’impayé d’avril 2021 a été soldé par un prélèvement bancaire effectué le 5 septembre 2021 ». Cette analyse chronologique rigoureuse permet de reporter le point de départ au 3 mai 2021.

B. L’application de la règle d’imputation des paiements

La cour se réfère explicitement à « la règle d’imputation énoncée par l’article 1256 du code civil ». Cette disposition, applicable dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, prévoit que le débiteur qui paie peut indiquer quelle dette il entend acquitter. À défaut de précision, le paiement s’impute sur la dette la plus ancienne.

En l’espèce, les paiements effectués en juillet et septembre 2021 ont permis d’éteindre les arriérés de mars et avril. En revanche, la cour observe qu’un paiement de 200 euros intervenu le 29 octobre 2021 « ne permet pas de régulariser » l’impayé de mai 2021. Cette insuffisance laisse subsister un incident non résorbé, seul susceptible de faire courir le délai.

L’assignation ayant été délivrée le 27 avril 2023, soit moins de deux ans après le 3 mai 2021, la cour conclut qu’« aucune forclusion n’est encourue ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose aux juridictions un examen minutieux de l’historique des paiements.

II. Les conséquences de la recevabilité sur le quantum de la condamnation

La recevabilité de l’action permet à la cour de statuer au fond et de liquider la créance (A). Elle prononce toutefois une sanction à l’encontre du prêteur qui modère la condamnation des emprunteurs (B).

A. La liquidation de la créance sur le fondement des pièces produites

Statuant par arrêt de défaut, la cour rappelle qu’elle « ne fait droit aux prétentions de l’appelant que dans la mesure où elle les estime régulières, recevables et bien fondées ». Elle procède donc à un contrôle de la créance au regard des dispositions de l’article L. 312-39 du code de la consommation.

La cour constate que le cessionnaire produit « l’offre de contrat de crédit et de ses annexes, l’historique de compte, les lettres de mise en demeure, le contrat de cession de créance ». Ces éléments lui permettent de vérifier l’existence d’une créance « liquide et exigible » et d’en arrêter le montant à 11 508,26 euros en principal, outre une indemnité de 729,83 euros.

B. La déchéance du droit aux intérêts comme correctif de la condamnation

La cour prononce, dans le dispositif, la déchéance des droits aux intérêts du prêteur. Cette sanction, prévue par les articles L. 341-1 et suivants du code de la consommation, s’applique notamment lorsque le prêteur n’a pas respecté ses obligations précontractuelles ou contractuelles. Les motifs de l’arrêt ne précisent pas le fondement exact de cette déchéance, ce qui peut susciter une interrogation quant à la motivation.

En outre, la cour refuse d’ordonner la capitalisation des intérêts, rappelant que « les dispositions spéciales du code de la consommation excluent le prononcé de la capitalisation ». Cette règle protectrice interdit au prêteur de bénéficier de l’anatocisme prévu par le droit commun.

La portée de cet arrêt réside dans la rigueur avec laquelle la cour examine les pièces comptables pour déterminer la date du premier incident non régularisé. Elle rappelle que le délai de forclusion ne court qu’à compter d’un impayé définitivement acquis, ce qui suppose de vérifier l’affectation de chaque paiement. Cette solution protège l’emprunteur qui s’efforce de régulariser sa situation, tout en sanctionnant le prêteur qui manque à ses obligations par la déchéance du droit aux intérêts.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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