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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 4 juillet 2025 illustre les difficultés contentieuses que peut engendrer la protection juridique des majeurs vulnérables dans un contexte familial conflictuel. Cette décision statue sur la validité d’un engagement financier souscrit par une personne placée sous curatelle renforcée au profit d’un tiers l’ayant hébergée durant plusieurs années.
Les faits à l’origine du litige s’inscrivent dans une situation familiale particulièrement tendue. Une femme veuve, mère de quatre fils, a été placée sous curatelle renforcée le 19 septembre 2005, puis sous tutelle le 11 décembre 2006, avant que cette mesure soit allégée en curatelle renforcée par jugement du 24 juin 2010. Durant cette période, elle a vécu au domicile d’une tierce personne, compagne de l’un de ses fils, de décembre 2006 jusqu’à son décès survenu le 15 novembre 2012. Le 31 mai 2012, la majeure protégée a signé un document dactylographié intitulé « attestation d’attribution d’une somme forfaitaire de 2000 € mensuels à verser à titre de compensation et/ou de dédommagement » au profit de son hébergeuse, pour la période courant depuis son installation à son domicile.
Après le décès de la majeure protégée, son hébergeuse et la mère de celle-ci ont assigné les quatre fils héritiers aux fins de condamnation de la succession au paiement de la somme de 144 000 euros correspondant aux mensualités prévues par l’attestation, ainsi qu’au paiement de 72 000 euros au titre d’un prétendu prêt consenti par le père de l’hébergeuse. Par jugement du 14 juin 2022, le Tribunal judiciaire de Montpellier a annulé l’attestation litigieuse et débouté les demanderesses de l’ensemble de leurs prétentions. Appel a été interjeté tant par l’hébergeuse que par l’un des fils héritiers soutenant ses demandes.
La question posée à la Cour d’appel de Montpellier était double. Il s’agissait de déterminer si l’engagement souscrit par une personne sous curatelle renforcée, sans l’assistance de son curateur, pouvait produire effet lorsqu’il porte sur des sommes excédant manifestement ses revenus disponibles. Il convenait également de rechercher si la preuve d’un prêt allégué pouvait résulter de simples attestations émanant des parties intéressées.
La Cour d’appel de Montpellier confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions critiquées. Elle retient que l’acte du 31 mai 2012 constitue un acte de disposition au sens de l’article 2 du décret du 22 décembre 2008 dès lors qu’il « engage le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou pour l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur ». Elle prononce en conséquence son annulation sur le fondement de l’article 465 2° du code civil, le préjudice étant établi. Elle rejette également la demande au titre du prêt faute de preuve suffisante.
Cette décision mérite examen tant au regard de la qualification de l’acte litigieux en acte de disposition emportant son annulation (I) que de l’exigence probatoire applicable aux créances alléguées contre une succession (II).
I. La qualification d’acte de disposition fondement de l’annulation de l’engagement
La Cour procède à une qualification rigoureuse de l’engagement litigieux en acte de disposition (A), dont elle tire les conséquences quant à sa nullité pour défaut d’assistance du curateur (B).
A. L’application des critères du décret du 22 décembre 2008
La distinction entre actes d’administration et actes de disposition constitue le pivot du régime de protection des majeurs. L’article 2 du décret du 22 décembre 2008 définit l’acte de disposition comme celui « qui engage le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou pour l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capacité ou une altération durable des prérogatives de son titulaire ». L’acte d’administration correspond à l’inverse à un « acte d’exploitation, de gestion courante ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée, dénué de risque anormal ».
La Cour écarte la qualification d’acte d’administration que tentait de faire valoir l’appelante en invoquant l’annexe 2 du décret selon laquelle « les paiements des dettes y compris par prélèvement sur le capital peuvent être qualifiés d’actes d’administration ». Elle relève que l’acte litigieux « ne constitue pas un paiement de dettes » mais un engagement nouveau créant une obligation à la charge du patrimoine de la majeure protégée. La Cour souligne que par cet écrit, la majeure « s’engageait à payer 2000 euros par mois à compter du 14 décembre 2006 » alors même que « ses revenus mensuels ne pouvaient lui permettre de régler une telle somme chaque mois sans entamer son capital ».
Le raisonnement se fonde sur une analyse concrète des capacités financières de la majeure protégée. La Cour relève que l’association tutélaire de gestion avait évalué à 830 euros la somme mensuelle pouvant être mise à disposition « au regard de la situation financière » de l’intéressée et que cette proposition avait été refusée tant par l’hébergeuse que par le fils soutenant ses prétentions. L’écart entre les 830 euros proposés par le curateur professionnel et les 2 000 euros mentionnés dans l’attestation démontre le caractère disproportionné de l’engagement au regard des ressources disponibles.
Cette approche s’inscrit dans la jurisprudence constante qui apprécie la nature de l’acte au regard de ses conséquences patrimoniales effectives et non de sa qualification formelle. Un paiement peut constituer un acte de disposition lorsque son montant excède manifestement les facultés contributives de la personne protégée.
B. L’annulation pour préjudice établi en l’absence d’assistance du curateur
L’article 465 2° du code civil dispose qu’à compter de la publicité du jugement d’ouverture, lorsque « la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être assistée, l’acte ne peut être annulé que s’il est établi que la personne protégée a subi un préjudice ». Cette disposition subordonne l’annulation de l’acte irrégulier à la démonstration d’un préjudice, contrairement au régime applicable aux actes accomplis sans représentation qui peuvent être annulés de plein droit.
La Cour caractérise le préjudice par l’impact de l’engagement sur le patrimoine de la majeure protégée. Elle retient que l’acte « engage le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou pour l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capacité ». Elle ajoute qu’il « est de nature à obérer le patrimoine de la personne protégée et lui causant un préjudice ». Cette motivation reprend les termes mêmes de la définition réglementaire de l’acte de disposition pour en déduire l’existence du préjudice.
Ce raisonnement mérite approbation. Le préjudice ne s’apprécie pas au regard de la qualité des prestations dont a bénéficié la majeure protégée. La Cour précise expressément qu’il convient de statuer « sans qu’il y ait lieu d’apprécier la qualité de la prestation rendue » par l’hébergeuse. Cette solution est conforme à la finalité protectrice du régime des majeurs protégés qui vise à préserver leur patrimoine indépendamment de l’équilibre économique des conventions qu’ils concluent.
La portée de cette décision dépasse le cas d’espèce. Elle rappelle que les tiers qui contractent avec une personne sous curatelle sans s’assurer de l’assistance du curateur s’exposent à l’annulation de l’acte dès lors qu’un préjudice patrimonial peut être établi. L’existence d’une contrepartie effective ne suffit pas à paralyser cette sanction.
II. L’exigence probatoire applicable aux créances contre la succession
La Cour applique avec rigueur les règles de preuve tant au regard de la créance fondée sur un prétendu prêt (A) qu’en matière de procédure abusive (B).
A. L’insuffisance des attestations pour établir l’existence d’un prêt
L’appelante sollicitait également la condamnation de la succession au paiement de 72 000 euros correspondant à un prêt prétendument consenti par son père au profit de la majeure protégée. Elle produisait deux documents : une attestation datée du 20 décembre 2012 signée par elle-même, son père et le fils de la défunte, ainsi qu’une attestation du 20 décembre 2018 attribuée à sa mère devenue héritière de son père décédé.
La Cour fait application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil selon lesquels « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Elle juge que « ces deux documents sont insuffisants pour démontrer les prétendus versements de sommes ». Elle relève que les difficultés financières alléguées « doivent être relativisées dès lors que tant M. [U] [Y] que Mme [A] ont refusé la proposition de l’ATG de versement de 830 € mensuels ».
Cette solution est conforme aux exigences probatoires applicables en matière de prêt. Les attestations produites émanaient des parties intéressées elles-mêmes ou de leurs proches. Elles ne comportaient aucune date certaine antérieure au décès de la prétendue débitrice. Elles n’étaient corroborées par aucun élément extrinsèque tel que des relevés bancaires attestant de virements ou retraits correspondants.
La Cour ajoute une considération factuelle éclairant le contexte. Le refus par l’hébergeuse de la somme de 830 euros proposée mensuellement par le curateur professionnel contredit la thèse selon laquelle elle aurait été contrainte d’emprunter à son père pour subvenir aux besoins de la majeure protégée. Cette incohérence factuelle renforce la solution retenue.
B. Le rejet de la demande pour procédure abusive malgré le contexte conflictuel
Les intimés sollicitaient la condamnation des appelants au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive. Ils invoquaient le caractère manifestement infondé de l’action, l’existence de nombreuses procédures antérieures et la volonté de leur frère d’entretenir la discorde familiale.
La Cour fait application de l’article 1240 du code civil et rappelle que « l’exercice d’une action en justice de même que la défense à une action constitue un droit et cet exercice ne dégénère en abus que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s’il s’agit d’une erreur grossière équipollente au dol ». Elle juge que « l’intention de nuire ne peut résulter de l’existence de procédures antérieures opposant M. [U] [Y] au reste de sa fratrie » et que « ces procédures témoignent à l’évidence d’un conflit familial majeur, existant du reste du vivant de leur mère, sans pour autant caractériser une tentative de manipulation de la part des appelants ».
Cette motivation illustre la conception libérale du droit d’agir en justice. Le simple fait de succomber ne caractérise pas l’abus. L’existence d’un contentieux familial ancien et nourri ne suffit pas davantage. La Cour exige la démonstration d’une intention de nuire ou d’une légèreté blâmable que les éléments du dossier ne permettaient pas d’établir.
La solution présente toutefois une limite. Si la Cour refuse de caractériser l’abus de droit, elle condamne néanmoins les appelants aux dépens et à une indemnité de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle infirme le jugement en ce qu’il avait exclu le fils héritier de la condamnation aux dépens de première instance, relevant qu’il avait « succombé à l’instar des consorts [A] » bien qu’il ait déclaré s’en rapporter sur leurs demandes. Cette sanction procédurale constitue une réponse mesurée au comportement des appelants sans aller jusqu’à la qualification d’abus de droit.