Cour d’appel de Montpellier, le 4 juillet 2025, n°23/02410

Par un arrêt du 4 juillet 2025, la Cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement du Conseil de prud’hommes de Perpignan statuant en départage du 15 décembre 2022, déboutant un individu de sa demande tendant à faire reconnaître l’existence d’une relation de travail salariée avec une société hôtelière.

Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Une société exploitant un hôtel avait mis à disposition d’un individu, ami de longue date de son gérant, un appartement au sein de l’établissement. L’occupant prétendait avoir été embauché en qualité de régisseur veilleur de nuit entre avril 2017 et juillet 2018, moyennant un salaire mensuel de 1 500 euros nets outre le logement de fonction. Il soutenait n’avoir perçu qu’un unique versement de 1 500 euros en juillet 2017. À l’appui de ses prétentions, il produisait un document daté du 7 mars 2017, prétendument signé par le gérant, selon lequel ce dernier mettait à sa disposition un appartement moyennant 350 euros mensuels, en contrepartie de l’engagement d’assurer « le gardiennage de l’hôtel et de menus travaux ».

Par requête du 25 juillet 2018, l’intéressé a saisi le Conseil de prud’hommes de Perpignan aux fins de voir reconnaître l’existence d’une relation de travail salariée et d’obtenir le paiement de rappels de salaires, une indemnité pour travail dissimulé ainsi que la remise de documents de fin de contrat. Le jugement de départage du 15 décembre 2022 l’a débouté de l’ensemble de ses demandes. Appel a été interjeté le 4 mai 2023.

Devant la cour, l’appelant soutenait que les trois critères du contrat de travail étaient réunis. Il faisait valoir que son numéro de téléphone était affiché à l’entrée de l’hôtel pour les clients, qu’il devait se tenir disponible en permanence et ne pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles. Il invoquait également l’obligation réglementaire pesant sur les hôtels de disposer d’un veilleur de nuit. La société intimée contestait toute relation de travail, arguant que l’intéressé n’avait jamais été son salarié, que le document produit était dépourvu de valeur probante compte tenu d’une signature non conforme à celle habituellement utilisée par le gérant décédé, et que l’appartement était en réalité utilisé pour entreposer du matériel professionnel.

La question posée à la cour était celle de savoir si les éléments produits par le demandeur permettaient d’établir l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination.

La Cour d’appel de Montpellier confirme le jugement et déboute l’appelant. Elle relève que le document du 7 mars 2017 est « dépourvu de toute valeur probatoire » en raison de la discordance des signatures. Elle constate que le chèque de 1 500 euros correspondait à une avance pour des travaux commandés à la société dont l’intéressé était gérant et non à un salaire. Elle retient enfin que ce dernier « échoue à démontrer qu’il effectuait une prestation de travail pour le compte de la société, de surcroit en état de subordination ».

La solution retenue par la cour invite à examiner successivement les conditions de la charge de la preuve en l’absence de contrat de travail apparent (I), puis l’appréciation souveraine des éléments probatoires par les juges du fond (II).

I. La répartition de la charge de la preuve en matière de contrat de travail

La cour rappelle les principes gouvernant la preuve du contrat de travail (A), avant d’écarter l’existence d’un contrat apparent en l’espèce (B).

A. Le rappel des critères constitutifs du contrat de travail

La Cour d’appel de Montpellier procède à un rappel didactique de la définition jurisprudentielle du contrat de travail. Elle énonce que celui-ci est « la convention selon laquelle une personne s’engage à fournir une prestation de travail pour le compte d’une autre, sous sa subordination, et moyennant une rémunération ». Cette définition tripartite, dégagée par la Cour de cassation, constitue le socle de l’analyse.

La cour précise ensuite la notion de lien de subordination, élément déterminant du contrat de travail. Elle reprend la formule classique selon laquelle ce lien « est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements ». Cette définition est issue de l’arrêt Société Générale rendu par la Chambre sociale le 13 novembre 1996.

L’arrêt rappelle également le principe de réalité qui gouverne la qualification du contrat de travail. La cour affirme que « l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exercent l’activité ». Ce principe permet au juge d’écarter les qualifications contractuelles fictives et de rechercher la réalité de la situation.

La référence au « faisceau d’indices » complète utilement ce rappel. La cour indique qu’il appartient à celui qui se prévaut d’un contrat de travail de rapporter la preuve des trois critères, « si besoin à l’aide d’un faisceau d’indices tels que l’existence d’un service organisé ». Cette méthode probatoire permet d’appréhender des situations où aucun élément isolé ne serait déterminant.

B. L’absence de contrat de travail apparent renversant la charge de la preuve

La cour mentionne l’exception selon laquelle « en présence d’un contrat de travail apparent, la charge de la preuve est renversée et il appartient alors à celui qui invoque le caractère fictif du contrat d’en rapporter la preuve ». Elle vise expressément l’arrêt de la Chambre sociale du 25 octobre 1990. Ce mécanisme protège le salarié disposant d’éléments formels attestant de sa qualité.

En l’espèce, l’appelant tentait de se prévaloir du document du 7 mars 2017 pour bénéficier de ce renversement de la charge probatoire. Ce document, s’il avait été authentique, aurait pu constituer un contrat de travail apparent établissant une prestation de gardiennage en contrepartie d’un logement de fonction. La reconnaissance d’un tel contrat apparent aurait contraint la société à démontrer son caractère fictif.

Toutefois, la cour écarte cette qualification en relevant les incohérences affectant la signature apposée sur le document. Elle constate que cette signature « comporte deux traits parallèles verticaux qui ne se retrouvent pas sur la signature de [X] [F] figurant sur le chèque du 10 juillet 2017 ou sur celle apposée sur le procès verbal d’audition en gendarmerie ». Cette analyse comparative conduit la cour à priver le document de « toute valeur probatoire ».

Le rejet du contrat apparent replace l’appelant dans la position ordinaire du demandeur. Il lui appartient dès lors de rapporter la preuve positive des trois éléments constitutifs du contrat de travail. La cour applique ainsi strictement les règles de dévolution du fardeau probatoire, sans accorder de faveur particulière à celui qui prétend à la qualité de salarié.

II. L’appréciation souveraine des éléments de preuve par les juges du fond

La cour examine successivement l’insuffisance des preuves relatives à la rémunération (A) puis l’échec de la démonstration d’une prestation de travail subordonnée (B).

A. L’insuffisance probatoire du chèque produit au titre de la rémunération

L’appelant produisait un chèque de 1 500 euros daté du 10 juillet 2017, émis par la société hôtelière. Il prétendait qu’il s’agissait de la contrepartie de son travail salarié pour le mois de juin 2017. La cour écarte cette analyse par une motivation en trois temps.

Elle énonce d’abord qu’« un chèque est un simple moyen de paiement et est insuffisant en soi à démontrer qu’il est la contrepartie d’un salaire ». Cette affirmation traduit une exigence probatoire renforcée. Le versement d’une somme d’argent ne permet pas, à lui seul, d’en déterminer la cause juridique. Un chèque peut correspondre à un prêt, un don, le règlement d’une dette commerciale ou toute autre créance.

La cour relève ensuite l’incohérence du comportement de l’appelant. Elle observe qu’il est « étonnant qu’il n’ait formulé aucune réclamation écrite pour percevoir cette rémunération » alors qu’il prétend n’avoir été payé qu’une seule fois sur quinze mois de travail allégué. L’absence de toute protestation contemporaine fragilise considérablement sa position. Un véritable salarié impayé aurait vraisemblablement réclamé son dû.

Enfin, la cour retient que « les pièces versées aux débats démontrent que ce chèque a été versé à titre d’avance pour des travaux commandés par la société [5] à la société gérée par Monsieur [E] ». Cette constatation est décisive. Elle établit que le paiement s’inscrivait dans une relation commerciale entre deux personnes morales et non dans un rapport salarial. L’appelant était lui-même gérant d’une société ayant des relations d’affaires avec l’hôtel.

B. L’échec de la preuve d’une prestation de travail subordonnée

La cour examine les éléments produits au titre de la prestation de travail alléguée. L’appelant soutenait avoir exercé les fonctions de veilleur de nuit, ce qui impliquait une présence sur les lieux et une disponibilité permanente. Il arguait que son numéro de téléphone était affiché à l’entrée de l’hôtel pour les clients.

Les témoignages produits par l’intimée contredisent cette version. Deux témoins attestent que l’appartement mis à disposition servait à « entreposer du matériel nécessaire à sa société CGE COMMUNICATION » et non à y résider. Un artisan intervenant régulièrement pour l’hôtel témoigne : « Je doute que M. [E] ait fait ceci car à l’hôtel il y avait mon numéro de téléphone pour des dépannages urgents et que deux fois ce sont des clients de l’hôtel qui m’ont appelé vers 19h-20h et non M. [E]. En intervenant je ne le voyais pas ».

La cour relève également que l’appelant « ne justifie d’aucune tâche particulière effectuée pour le compte de l’hôtel entre avril 2017 et juillet 2018, outre les travaux commandés directement à la société CGE COMMUNICATION en 2017 ». Cette distinction entre les travaux facturés par sa propre société et une prétendue activité salariée personnelle est essentielle. Elle démontre que les interventions effectuées relevaient de relations commerciales entre sociétés.

L’existence de procédures commerciales ultérieures renforce cette analyse. La cour note que « postérieurement à la procédure prud’hommale, cette société a engagé deux actions en paiement à l’encontre de la société [5] devant le tribunal de commerce pour le paiement de deux factures ». Ces contentieux attestent de la nature commerciale des rapports entre les deux entités.

Quant à l’argument tiré de l’obligation réglementaire d’employer un veilleur de nuit, la cour le balaie d’une formule lapidaire : ce fait est « inopérant à établir que Monsieur [E] occupait effectivement cette fonction ». L’existence d’une obligation légale pesant sur l’employeur ne dispense pas le demandeur de prouver qu’il exerçait personnellement l’activité correspondante.

La solution retenue par la Cour d’appel de Montpellier s’inscrit dans une jurisprudence constante en matière de preuve du contrat de travail. Elle rappelle que la charge probatoire pèse sur celui qui revendique la qualité de salarié en l’absence de contrat apparent. L’arrêt illustre également la rigueur avec laquelle les juges apprécient les éléments produits, écartant les documents dont l’authenticité est douteuse et les pièces équivoques. La portée de cette décision demeure limitée à l’espèce. Elle constitue une application orthodoxe des principes gouvernant la qualification du contrat de travail sans innover sur le plan juridique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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