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Par un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 8 juillet 2025, la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service de la justice est discutée. La décision intervient à la suite d’une procédure collective d’une association, d’une action en comblement de passif, puis d’un contentieux indemnitaire engagé après une cassation fondée notamment sur une irrégularité de convocation.
Une juridiction de première instance a condamné plusieurs personnes et une personne morale professionnelle à combler l’insuffisance d’actif. La Cour d’appel de Montpellier, le 11 septembre 2012, a partiellement confirmé cette condamnation. La Cour de cassation, le 23 septembre 2014, a censuré pour irrégularité d’audition et pour erreurs de droit liées à la qualité de dirigeant et à la résistance à une gestion de fait.
La Cour de renvoi, le 8 septembre 2016, a déclaré irrecevable l’action dirigée contre une personne physique mise en cause dans l’instance initiale. Par la suite, une juridiction de première instance, le 30 septembre 2022, a rejeté l’action en responsabilité contre l’État, faute de lien de causalité certain entre l’irrégularité de convocation et le préjudice invoqué.
Les appelantes soutenaient que la convocation irrégulière constituait une faute lourde et que l’absence d’examen au fond les avait privées d’une condamnation solidaire utile, générant l’obligation de restituer des sommes versées. L’intimé répliquait que, quand bien même il y aurait faute, aucun lien direct et certain n’était établi, eu égard aux autres moyens de censure et à la décision d’irrecevabilité rendue sur renvoi.
La question posée était de savoir si l’irrégularité de convocation, reconnue comme un dysfonctionnement de la justice, engage la responsabilité de l’État en présence d’un préjudice direct et certain, malgré l’existence de moyens de fond propres à emporter censure et l’irrecevabilité ultérieure d’une action. La cour répond par la négative, après avoir rappelé les conditions textuelles et jurisprudentielles de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire et les exigences probatoires attachées au lien de causalité.
I. Les fondements et le sens de la solution
A. Le cadre textuel et jurisprudentiel de la faute lourde
La cour rappelle la norme directrice en citant que « L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. » La définition opérationnelle est aussitôt précisée par l’énoncé selon lequel « Constitue une faute lourde, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. »
Cette responsabilité vise l’activité juridictionnelle et les services qui y concourent, comme le souligne l’extrait suivant : « Le champ d’application de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire comprend l’activité de l’ensemble des membres du service public proprement dit de la justice judiciaire, non seulement celle des juges mais également celle des greffes. » La charge probatoire reste déterminante, la décision rappelant que « La preuve incombe à celui qui invoque la faute lourde. »
B. L’irrégularité de convocation constatée et sa portée concrète
Dans la procédure ayant précédé, une convocation irrégulière a été retenue, au regard d’une formalité préalable aux débats. La cour énonce que « La convocation du dirigeant de la personne morale pour être entendu personnellement par le tribunal est un préalable obligatoire aux débats et son omission fait obstacle à toute condamnation […] ». L’irrégularité a bien été la cause directe d’une cassation partielle antérieure.
Toutefois, la cour n’en déduit pas un droit automatique à réparation. Elle souligne l’existence d’autres moyens de cassation non fondés sur la convocation et, surtout, la décision d’irrecevabilité intervenue sur renvoi. Le raisonnement articule ainsi la faute constatée avec l’exigence d’un préjudice direct et certain, dont la démonstration ne peut être suppléée par la seule référence à la censure pour vice de procédure.
II. La valeur et la portée de la décision
A. La rigueur probatoire du lien de causalité et la perte de chance
La cour maintient une exigence forte quant au lien causal, en cohérence avec la lettre du texte et sa finalité. L’irrégularité, même constitutive d’un dysfonctionnement, ne suffit pas si l’issue procédurale indépendante rend la condamnation espérée incertaine. La décision refuse d’ériger une perte de chance hypothétique en préjudice juridiquement réparable, faute d’éléments établissant la probabilité sérieuse d’une condamnation au fond.
La référence aux motifs de cassation non liés à la convocation fonde cette appréciation. La censure antérieure visait aussi la qualification de dirigeant et l’absence de recherche sur la résistance à une gestion de fait. Combinées à l’irrecevabilité prononcée sur renvoi, ces données réduisent la chance alléguée à une éventualité trop spéculative pour caractériser un préjudice direct et certain.
B. Les enseignements pratiques pour le contentieux de l’article L.141-1
La portée de l’arrêt est double. D’une part, il confirme que l’activité des greffes relève du champ de la responsabilité pour faute lourde, lorsque le dysfonctionnement est établi par un défaut procédural substantiel. D’autre part, il exige une preuve serrée du lien causal, appréciée à l’aune de l’ensemble du cheminement contentieux, y compris des moyens de fond indépendants et des effets d’une décision d’irrecevabilité.
En pratique, les demandeurs doivent démontrer, pièces et argumentation à l’appui, la probabilité sérieuse d’une condamnation au fond, en neutralisant les aléas procéduraux autonomes. La réparation ne couvre pas une simple espérance procédurale, surtout lorsque des censures de fond et une irrecevabilité ultérieure disloquent la chaîne causale. L’arrêt consolide ainsi une jurisprudence de prudence, attachée à l’exigence d’un préjudice direct, certain et imputable à la seule faute lourde alléguée.