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La Cour d’appel de Nancy, par un arrêt du 10 juillet 2025, a eu à statuer sur la régularité d’un licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre d’un salarié soupçonné d’avoir consommé du cannabis sur son lieu de travail. Cette décision illustre les difficultés probatoires auxquelles se heurte l’employeur lorsqu’il entend fonder une rupture du contrat de travail sur la consommation de stupéfiants.
Un salarié avait été engagé en qualité de monteur ajusteur le 3 avril 2006. Il occupait au dernier état de ses fonctions le poste d’assembleur spécialisé, soumis à une surveillance médicale renforcée en raison de la dangerosité inhérente à ses missions. Le 11 octobre 2023, le directeur de l’usine le surprit, avec trois collègues, derrière un bâtiment de l’entreprise, alors qu’il fumait et qu’une odeur de cannabis était perceptible. Le salarié rédigea un écrit dans lequel il reconnaissait avoir été surpris « en train de fumer une cigarette et qui avait une odeur de cannabis ». Un test salivaire fut pratiqué mais ne produisit aucun résultat exploitable faute de salive suffisante. Le salarié refusa la contre-expertise proposée. Placé en arrêt maladie le jour même des faits, il fut licencié pour faute grave le 7 novembre 2023.
Le conseil de prud’hommes de Nancy, par jugement du 26 septembre 2024, considéra le licenciement régulier et bien fondé, déboutant le salarié de l’intégralité de ses demandes. Ce dernier interjeta appel et sollicita à titre principal la nullité du licenciement pour discrimination liée à l’état de santé et atteinte à la liberté d’expression, à titre subsidiaire l’absence de cause réelle et sérieuse. L’employeur demanda la confirmation du jugement.
La question posée à la Cour d’appel de Nancy était de déterminer si les éléments réunis par l’employeur suffisaient à établir la matérialité de la consommation de cannabis reprochée au salarié et, partant, à justifier un licenciement pour faute grave.
La Cour infirma le jugement et jugea le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle releva que « les circonstances que le directeur de l’usine ait senti une odeur de cannabis et que le salarié ait indiqué que sa cigarette en avait l’odeur, sont insuffisantes pour caractériser la matérialité du grief ». Elle observa également que l’employeur faisait lui-même état, dans la lettre de licenciement, d’un « doute persistant » quant à la consommation. Elle écarta les moyens tirés de la nullité, relevant que l’arrêt maladie n’était pas mentionné dans la lettre de licenciement et que le salarié ne produisait aucun élément laissant présumer une discrimination. Elle rejeta pareillement le moyen tiré de l’atteinte à la liberté d’expression.
Cette décision invite à examiner successivement les exigences probatoires pesant sur l’employeur en matière de faute grave (I), puis les limites de la protection du salarié fondée sur la nullité du licenciement (II).
I. L’exigence d’une preuve certaine de la faute grave
A. L’insuffisance des indices concordants
La Cour d’appel de Nancy refuse de considérer que la conjonction d’une odeur de cannabis et d’un écrit ambigu du salarié suffise à établir la consommation effective de stupéfiants. Elle affirme qu’« il ne ressort pas des pièces produites par l’employeur que le salarié ait reconnu avoir fumé du cannabis le 11 octobre 2023, ni que le test salivaire pratiqué sur sa personne ait révélé la consommation de cette substance ».
Cette motivation traduit une conception stricte de la charge de la preuve en matière de faute grave. L’employeur qui invoque une telle faute doit en rapporter la preuve certaine. Des présomptions, fussent-elles graves et concordantes, ne sauraient y suppléer lorsque le salarié conteste la matérialité des faits. La Cour souligne que l’écrit rédigé par le salarié se bornait à mentionner une cigarette « qui avait une odeur de cannabis », formulation équivoque qui n’emporte pas reconnaissance d’une consommation personnelle.
L’échec du test salivaire, qui n’a produit aucun résultat faute de salive suffisante, prive l’employeur du moyen de preuve objectif qui aurait pu lever l’incertitude. Le refus du salarié de se soumettre à une contre-expertise ne saurait valoir aveu implicite. La Cour maintient ainsi le principe selon lequel le doute profite au salarié en matière disciplinaire.
B. Les aveux de l’employeur dans la lettre de licenciement
La Cour relève avec acuité que « dans la lettre de licenciement, l’employeur fait état, après l’échec du test de détection de drogue, d’un doute persistant quant à la consommation de cannabis ». Cette mention affaiblit considérablement la position de l’employeur. La faute grave suppose une certitude quant à la réalité des faits reprochés. Un employeur qui reconnaît lui-même douter de la matérialité du grief ne peut prétendre établir une faute d’une gravité telle qu’elle rende impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige. En y inscrivant son propre doute, l’employeur a fourni à la juridiction un élément déterminant. Cette rédaction maladroite illustre l’importance capitale de la motivation de la lettre de rupture. L’employeur aurait dû, s’il entendait maintenir sa position, exprimer une conviction et non une hésitation.
La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant que les faits invoqués au soutien d’un licenciement pour faute grave soient établis avec certitude. L’employeur ne peut se contenter de suspicions, aussi légitimes soient-elles au regard du contexte. Cette rigueur probatoire protège le salarié contre des ruptures précipitées fondées sur des apparences trompeuses.
II. Les limites du recours à la nullité du licenciement
A. L’échec du moyen tiré de la discrimination
Le salarié soutenait que son licenciement était nul pour discrimination liée à son état de santé, dès lors qu’il avait été placé en arrêt maladie le jour même des faits reprochés. La Cour écarte ce moyen en relevant que « l’arrêt maladie n’est pas mentionné dans la lettre de licenciement » et que « cet arrêt maladie n’est pas d’origine professionnelle ».
Elle rappelle le mécanisme probatoire applicable en matière de discrimination. Le salarié doit d’abord présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. La Cour constate que le salarié « se contente d’affirmer qu’il a été victime d’une discrimination » sans produire d’éléments tangibles au soutien de cette allégation.
La simple concomitance entre l’arrêt maladie et la procédure de licenciement ne suffit pas à caractériser une présomption de discrimination. Le salarié aurait dû démontrer un lien entre son état de santé et la décision de l’employeur, par exemple en établissant que les griefs invoqués n’étaient qu’un prétexte destiné à masquer une volonté de se séparer d’un salarié malade. En l’absence de tels éléments, le renversement de la charge de la preuve au détriment de l’employeur n’a pas lieu de s’opérer.
B. Le rejet du moyen tiré de l’atteinte à la liberté d’expression
Le salarié invoquait également la nullité de son licenciement au motif que l’employeur lui aurait reproché d’avoir écrit que sa cigarette sentait le cannabis, ce qui constituerait une atteinte à sa liberté d’expression. La Cour écarte ce moyen de manière lapidaire en relevant qu’« il ne résulte pas de la lettre de licenciement qu’il lui est reproché d’avoir déclaré que sa cigarette sentait le cannabis, mais qu’il lui est reproché d’avoir consommé cette substance ».
Cette distinction est décisive. Le grief disciplinaire porte sur un comportement, la consommation présumée de cannabis, et non sur les propos tenus par le salarié. L’écrit du salarié n’a été utilisé par l’employeur que comme élément de preuve, et non comme fait fautif en lui-même. La liberté d’expression du salarié, qui connaît certes des limites tenant à l’abus caractérisé par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, n’est pas en cause lorsque l’employeur exploite un écrit à des fins probatoires.
Cette analyse rejoint la jurisprudence qui distingue le contenu des propos de leur utilisation procédurale. Le salarié ne peut se prévaloir de sa liberté d’expression pour faire obstacle à la production en justice d’un écrit qu’il a lui-même rédigé. La Cour cantonne ainsi le moyen à son exacte portée et refuse d’étendre artificiellement le champ de la nullité.