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La question de la recevabilité des voies de recours contre les décisions de réouverture des débats constitue un point de procédure délicat, à la frontière entre mesure d’administration judiciaire et décision juridictionnelle. La cour d’appel de Nancy, dans un arrêt du 18 juin 2025, apporte une réponse claire en rappelant les critères de distinction applicables en la matière.
Un salarié employé depuis 2007 en qualité d’opérateur commande numérique a souscrit, le 13 juin 2022, une déclaration de maladie professionnelle pour une épicondylite gauche. La caisse primaire d’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de cette affection au titre du tableau 57 des maladies professionnelles par décision du 10 octobre 2022. L’employeur a contesté cette reconnaissance devant la commission de recours amiable, qui a rejeté sa demande le 12 janvier 2023, puis devant le pôle social du tribunal judiciaire de Charleville-Mézières. Lors de l’audience du 18 juin 2024, la caisse a soulevé pour la première fois l’irrecevabilité du recours. Le tribunal a autorisé une note en délibéré sur cette prétention. Durant le délibéré, l’employeur a sollicité la réouverture des débats. Par jugement du 31 juillet 2024, le tribunal a ordonné cette réouverture, sursis à statuer sur le surplus des demandes et renvoyé l’affaire. La caisse a interjeté appel de ce jugement le 5 septembre 2024.
Devant la cour d’appel, la caisse demandait l’infirmation du jugement et que soit jugée fondée l’irrecevabilité de la demande d’annulation qu’elle avait soulevée. L’employeur soulevait l’incompétence territoriale de la cour d’appel de Nancy au profit de celle de Reims et, sur le fond, l’irrecevabilité de l’appel de la caisse.
La question posée à la cour était de déterminer si le jugement ordonnant la réouverture des débats et le sursis à statuer constituait une décision susceptible d’appel ou une simple mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours.
La cour d’appel de Nancy déclare l’appel irrecevable. Elle juge que « la décision qui ordonne la réouverture des débats sans se prononcer sur le fond du litige » constitue une mesure d’administration judiciaire au sens de l’article 537 du code de procédure civile. Elle relève qu’« en l’absence de tout examen au fond du dossier, la décision du tribunal constitue bien une simple mesure d’administration judiciaire ». Elle observe également que le sursis à statuer prononcé ne pouvait faire l’objet d’un appel qu’avec l’autorisation du premier président.
Cette décision invite à examiner la qualification juridique de la réouverture des débats comme mesure d’administration judiciaire (I), avant d’analyser les conséquences procédurales de cette qualification sur les voies de recours (II).
I. La réouverture des débats, mesure d’administration judiciaire par nature
La cour d’appel de Nancy procède à une qualification rigoureuse de la décision attaquée en mobilisant les critères classiques de la mesure d’administration judiciaire (A), tout en soulignant l’importance du contexte factuel dans lequel cette réouverture a été ordonnée (B).
A. Les critères de qualification de la mesure d’administration judiciaire
L’article 537 du code de procédure civile énonce que « les mesures d’administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours ». La cour d’appel fait application de ce principe en retenant que « tel est le cas de la décision qui ordonne la réouverture des débats sans se prononcer sur le fond du litige ».
Cette qualification repose sur un critère fonctionnel. La mesure d’administration judiciaire se caractérise par son objet exclusivement procédural, tendant à la bonne organisation du service de la justice. Elle ne tranche aucune contestation entre les parties et ne préjuge pas de la solution du litige. La réouverture des débats, prévue par l’article 444 du code de procédure civile, permet au juge de rouvrir l’instruction lorsqu’il estime que l’affaire n’est pas en état d’être jugée ou que les parties n’ont pas été mises en mesure de s’expliquer contradictoirement.
En l’espèce, la cour relève qu’aucun examen au fond n’a été effectué par le tribunal. La décision n’a tranché ni la question de la recevabilité du recours soulevée par la caisse, ni celle du caractère professionnel de la maladie. Elle s’est bornée à renvoyer l’affaire pour permettre aux parties de conclure.
B. L’incidence du contexte procédural sur la qualification
Le contexte dans lequel la réouverture a été ordonnée renforce sa qualification de mesure d’administration judiciaire. La cour rappelle les circonstances ayant conduit le tribunal à cette décision. La caisse avait soulevé l’irrecevabilité du recours lors des débats sans que cette prétention figure dans ses écritures. L’employeur avait sollicité la réouverture pour joindre un autre dossier et formuler des observations, demande dont le tribunal a reconnu qu’elle avait été « mal orientée » par une carence qui lui était « totalement imputable ».
Le tribunal avait expressément motivé sa décision par la nécessité de « permettre un respect parfait du contradictoire ». Cette motivation confirme que la réouverture répondait à une exigence procédurale et non à une appréciation du fond du litige. Le juge n’a exercé aucun pouvoir juridictionnel de nature à trancher, même partiellement, les prétentions des parties.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de reconnaître un caractère juridictionnel aux décisions de pure administration de l’instance. La deuxième chambre civile a ainsi jugé que la décision de réouverture des débats ne constitue pas un jugement susceptible de recours lorsqu’elle ne statue sur aucune prétention.
II. Les conséquences de la qualification sur le régime des voies de recours
La qualification de mesure d’administration judiciaire emporte l’irrecevabilité de l’appel principal (A), tandis que le sursis à statuer irrégulièrement prononcé obéit à un régime dérogatoire (B).
A. L’irrecevabilité de l’appel contre la mesure d’administration judiciaire
La cour tire les conséquences de la qualification retenue en déclarant l’appel irrecevable. Cette solution procède directement de l’article 537 du code de procédure civile qui ferme toute voie de recours contre les mesures d’administration judiciaire. L’irrecevabilité n’est pas une simple fin de non-recevoir susceptible d’être régularisée. Elle découle de la nature même de la décision attaquée.
Cette fermeture des voies de recours répond à une logique d’efficacité procédurale. Admettre l’appel contre les décisions de réouverture des débats multiplierait les incidents et retarderait considérablement le règlement des litiges. Le juge doit pouvoir organiser l’instruction sans que chacune de ses décisions de gestion de l’instance soit contestée.
La caisse se trouve ainsi sanctionnée pour avoir tenté de contester une décision qui, par nature, échappait à son contrôle. Elle aurait dû attendre la décision au fond du tribunal pour exercer, le cas échéant, un recours contre celle-ci. La cour condamne logiquement la caisse aux dépens et à verser une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
B. Le régime particulier du sursis à statuer irrégulièrement prononcé
La cour relève que le tribunal avait prononcé, dans le dispositif de son jugement, un sursis à statuer « sur le surplus des demandes ». Elle observe que « c’est à tort que les premiers juges ont prononcé le sursis à statuer ». Cette mention était effectivement inappropriée puisque la réouverture des débats n’implique pas un sursis à statuer au sens de l’article 378 du code de procédure civile.
Le sursis à statuer obéit à un régime particulier défini par l’article 380 du code de procédure civile. Il ne peut faire l’objet d’un appel que « sur autorisation du premier président de la cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime ». La caisse n’avait pas sollicité cette autorisation préalable, ce qui constituait un motif supplémentaire d’irrecevabilité de son appel.
Cette analyse révèle une confusion du tribunal entre deux mécanismes procéduraux distincts. La réouverture des débats suspend l’instance sans constituer un sursis à statuer. Ce dernier suppose une cause de suspension extérieure au litige, telle qu’une question préjudicielle. La cour n’en tire cependant pas de conséquence particulière, l’irrecevabilité étant déjà acquise du chef de la mesure d’administration judiciaire. L’affaire est renvoyée devant le tribunal pour qu’il statue au fond, la procédure reprenant son cours normal après cet incident de procédure infructueux.