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Par un arrêt du 18 juin 2025, la cour d’appel de Nancy s’est prononcée sur la qualification d’accident du travail et sur l’étendue des obligations de la caisse primaire d’assurance maladie en matière de communication des pièces à l’employeur. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent opposant employeurs et organismes de sécurité sociale quant à l’opposabilité des décisions de prise en charge.
Un conducteur routier, employé depuis novembre 2022 par une société de transport, a déclaré avoir été victime d’un accident le 17 juillet 2023. Selon la déclaration, en déchargeant une caisse sur le hayon de son véhicule lors d’une livraison, le salarié a perdu l’équilibre et, pour éviter de tomber, a sauté à pieds joints du hayon avant de remonter et de sauter à nouveau, se bloquant le dos. Un certificat médical initial établi le jour même par un médecin urgentiste a constaté une dorsalgie. L’employeur a formulé des réserves lors de la déclaration d’accident.
La caisse a instruit le dossier, procédé à une enquête et informé l’employeur de la possibilité de consulter le dossier et de formuler des observations. Par décision du 16 octobre 2023, elle a reconnu le caractère professionnel de l’accident. L’employeur a saisi la commission de recours amiable, qui a rejeté sa demande le 5 janvier 2024, puis le pôle social du tribunal judiciaire d’Épinal, qui l’a débouté par jugement du 14 août 2024. La société a interjeté appel.
Devant la cour, l’employeur soutenait, à titre principal, l’absence de preuve d’un fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail, et subsidiairement, le non-respect du principe du contradictoire en raison de l’absence des certificats médicaux de prolongation dans le dossier mis à sa disposition.
La question posée à la cour était double. Il convenait de déterminer si la matérialité d’un fait accidentel au temps et au lieu du travail était établie et si l’absence des certificats de prolongation dans le dossier de consultation constituait une violation du contradictoire rendant la décision inopposable à l’employeur.
La cour d’appel de Nancy a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle a retenu l’existence de présomptions graves, précises et concordantes de la matérialité du fait accidentel et jugé que les certificats de prolongation ne devaient pas figurer parmi les pièces communiquées à l’employeur.
Cette décision permet d’examiner successivement la caractérisation de l’accident du travail par présomptions (I), puis les limites du droit à l’information de l’employeur dans la procédure de reconnaissance (II).
I. La caractérisation de l’accident du travail par un faisceau de présomptions
La cour rappelle d’abord le cadre probatoire applicable en matière d’accident du travail (A), avant d’apprécier les éléments réunis en l’espèce (B).
A. Le rappel du régime probatoire de l’accident du travail
La cour énonce que « l’accident du travail est défini comme un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail dont il est résulté une lésion ». Elle précise que « la brusque apparition d’une lésion au temps et au lieu du travail constitue un accident du travail sans qu’il soit besoin d’établir l’action d’un quelconque fait générateur ».
Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui a progressivement assoupli les conditions de preuve de l’accident du travail. La victime n’a pas à démontrer l’existence d’un événement violent ou soudain distinct de la lésion elle-même. L’apparition brutale d’une douleur pendant l’exécution du travail peut suffire.
La cour ajoute que « s’agissant d’un litige entre l’employeur et la caisse, il appartient à cette dernière de rapporter la preuve de la matérialité de l’accident ». Cette règle procédurale est essentielle. Dans les rapports entre la victime et la caisse, la présomption d’imputabilité bénéficie au salarié. Dans les rapports entre l’employeur et la caisse, cette présomption ne joue qu’une fois la matérialité établie par l’organisme social.
La cour précise encore que « cette preuve peut résulter d’un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes de la matérialité du fait accidentel ». Le recours aux présomptions de fait permet de pallier l’absence fréquente de témoins directs, particulièrement pour les salariés travaillant de manière isolée comme les conducteurs routiers.
B. L’appréciation souveraine des éléments factuels
En l’espèce, la cour relève plusieurs éléments concordants. Le salarié se trouvait sur son lieu de travail, au restaurant où il effectuait sa livraison, à l’heure indiquée. La directrice de l’établissement a attesté que « le chauffeur nous a indiqué être tombé du camion et qu’il était bloqué du dos ». Les pompiers ont été appelés et ont conduit le salarié aux urgences où un médecin a constaté une dorsalgie le jour même.
L’employeur contestait la réalité des faits en invoquant des incohérences dans les déclarations du salarié. Ce dernier avait modifié sa version, indiquant qu’il chargeait et non qu’il déchargeait, la manœuvre décrite étant apparemment interdite. La cour écarte cet argument en jugeant que « le fait que M. [V] ait changé de version quant au fait qu’il n’était pas en train de décharger mais de charger ne suffit à remettre en cause l’existence d’une chute avec une mauvaise réception ».
Cette appréciation témoigne d’une lecture pragmatique des faits. Les contradictions mineures dans les déclarations d’un salarié venant de subir un traumatisme ne sauraient à elles seules ruiner la crédibilité de l’ensemble du récit. L’essentiel demeure la concordance des éléments objectifs : présence sur le lieu de travail, témoignage d’un tiers, intervention des secours, constatation médicale immédiate.
La cour conclut à l’existence de « présomptions graves, précises et concordantes de la matérialité du fait accidentel au temps et au lieu du travail ». Dès lors, la présomption d’imputabilité s’applique et il appartient à l’employeur de prouver une cause totalement étrangère au travail. Or « la société n’allègue pas de l’existence d’une cause totalement étrangère ». La décision de prise en charge est donc opposable à l’employeur.
II. Les limites du droit à l’information de l’employeur
La cour se prononce sur l’étendue des pièces devant être communiquées à l’employeur (A), puis sur l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme à la phase administrative (B).
A. L’exclusion des certificats de prolongation du dossier de consultation
L’employeur invoquait l’absence des certificats médicaux de prolongation dans le dossier mis à sa disposition par la caisse. La cour rappelle les termes de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale selon lequel le dossier doit contenir « les éléments recueillis, susceptibles de lui faire grief, sur la base desquels se prononce la caisse pour la reconnaissance du caractère professionnel ».
Elle en déduit que « ne figurent pas parmi ces éléments les certificats ou les avis de prolongation de soins ou arrêts de travail, délivrés après le certificat médical initial, qui ne portent pas sur le lien entre l’affection ou la lésion, et l’activité professionnelle ». La cour cite expressément l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 16 mai 2024, pourvoi numéro 22-15.499, qui a tranché cette question.
Cette solution repose sur une distinction fonctionnelle entre les différents certificats médicaux. Le certificat médical initial constate la lésion et établit le lien avec les circonstances de l’accident. Il constitue un élément déterminant de la décision de reconnaissance. Les certificats de prolongation, en revanche, se bornent à attester de la persistance de l’état pathologique et de la nécessité de poursuivre les soins ou l’arrêt de travail. Ils ne portent pas sur l’imputabilité professionnelle et n’influent pas sur la décision initiale de prise en charge.
L’exclusion de ces documents du dossier de consultation se justifie également par le respect du secret médical. Les certificats de prolongation peuvent contenir des informations sur l’évolution de l’état de santé du salarié qui ne sont pas nécessaires à l’employeur pour exercer utilement son droit de contestation sur le caractère professionnel de l’accident.
B. L’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention européenne à la procédure administrative
L’employeur tentait de fonder sa demande sur l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit à un procès équitable. La cour écarte ce moyen en jugeant que cette disposition « ne s’applique que lors de la phase de la procédure judiciaire et non dans le cadre d’une procédure administrative d’instruction d’une reconnaissance du caractère professionnel d’un accident ».
Cette position est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation. L’article 6 s’applique aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou aux accusations en matière pénale, mais uniquement devant un tribunal. La procédure d’instruction menée par la caisse revêt un caractère administratif. Elle ne constitue pas une instance juridictionnelle au sens de la Convention.
L’employeur conserve néanmoins la possibilité de contester la décision devant la commission de recours amiable puis devant le pôle social du tribunal judiciaire. C’est à ce stade que les garanties de l’article 6 trouvent pleinement à s’appliquer. Le respect du contradictoire est alors assuré par les règles du code de procédure civile.
Cette décision confirme une ligne jurisprudentielle claire. Les obligations de communication pesant sur la caisse lors de la phase d’instruction sont définies par les textes du code de la sécurité sociale et interprétées à l’aune du seul critère des éléments susceptibles de faire grief à l’employeur. Le droit conventionnel à un procès équitable ne saurait être invoqué pour étendre ces obligations au-delà de ce que prévoient les dispositions réglementaires applicables.