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Cour d’appel de Nancy, 3 septembre 2025. La formation sociale infirme le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy, 18 avril 2024, au sujet d’un évènement survenu lors d’une intervention. L’enjeu porte sur la reconnaissance d’un accident du travail, malgré une déclaration tardive et l’existence d’un état antérieur du genou.
Le salarié, technicien, affirme avoir ressenti un craquement du genou droit pendant une intervention au domicile d’un client le 18 novembre 2021. Un certificat médical daté du 19 novembre 2021 évoque une gonalgie droite brutale avec blocage et douleur vive postérieure. La déclaration d’accident du travail est formulée le 25 octobre 2022, accompagnée d’une fiche d’intervention et d’attestations d’un témoin présent au domicile. L’employeur n’a pas établi de déclaration initiale, l’arrêt de travail ayant été prescrit pour maladie.
La caisse refuse la prise en charge par décision du 20 janvier 2023, confirmée par la commission de recours amiable le 26 mai 2023. Le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy rejette le recours, 18 avril 2024. L’appelant saisit la Cour d’appel de Nancy, qui joint deux procédures et statue après débats contradictoires.
L’appelant sollicite la reconnaissance de l’accident du travail, son renvoi devant la caisse pour liquidation des droits et fixation des suites médico-légales. L’intimée conclut à la confirmation du jugement, contestant la matérialité du fait accidentel et l’imputabilité au travail.
La question posée est double et classique. D’une part, déterminer si la matérialité d’un fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail est établie par des éléments objectifs et concordants. D’autre part, apprécier si la présomption d’imputabilité peut être renversée par la preuve d’une cause totalement étrangère, en présence d’un état pathologique antérieur.
La Cour rappelle le texte de référence, dont elle cite le cœur. « Selon l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail ». Elle précise les exigences probatoires et retient, au vu des pièces, des présomptions graves, précises et concordantes. « La victime qui rapporte la preuve de la matérialité de l’accident bénéficie alors d’une présomption d’imputabilité ». La caisse n’apporte pas la preuve d’une cause totalement étrangère à l’activité. La cour énonce enfin que « dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé en toutes ses dispositions » et « il sera dit que l’accident survenu le 18 novembre 2021 est un accident du travail soumis à la législation professionnelle ».
I. Appréciation des conditions de l’accident du travail
A. Définition légale et critères de rattachement au travail
La juridiction d’appel rappelle les critères temporels et spatiaux. « Il s’en déduit que le fait accidentel doit s’être produit à un moment où le salarié est au temps et au lieu de son travail ». Elle retient également la définition opératoire de l’accident. « L’accident du travail est défini comme un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines […] dont il est résulté une lésion ». La précision suivante verrouille le cadre médical. « La lésion peut être une atteinte physique ou psychique ». La référence au temps, au lieu et à la lésion dresse le triptyque de rattachement, sans exiger un témoin direct ni une déclaration immédiate à l’employeur, si des indices sérieux convergent.
Dans ce contexte, la cour confronte les pièces aux exigences. Elle relève la fiche d’intervention datée du jour des faits, des attestations circonstanciées d’un témoin présent au domicile et la proximité temporelle du constat médical. Ces éléments répondent à la cohérence attendue entre fait, lieu, date et lésion. Ils soutiennent la qualification d’un évènement daté générateur de lésion, au sens de l’article L. 411-1, en dépit d’une déclaration tardive, laquelle ne détruit pas, par elle seule, la matérialité.
B. Preuve de la matérialité et présomptions concordantes
La charge initiale pèse sur l’assuré, précisément délimitée par la Cour. « Il appartient au salarié de justifier des éléments objectifs corroborant ses propres déclarations […]. Cette preuve peut résulter d’un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes ». La juridiction valide l’enchaînement probatoire en trois temps. D’abord, un fait daté lors d’une intervention professionnelle. Ensuite, un constat médical rapproché dans le temps. Enfin, des attestations qui décrivent douleur, boiterie et circonstances domestiques compatibles avec la mission.
Cette trilogie probatoire satisfait l’exigence d’objectivation du récit. L’absence d’audition du collègue, déjà notée par la juridiction, ne suffit pas à créer un doute sérieux au regard du faisceau global. L’autorité d’appel consacre ainsi la force probante d’indices concordants, privilégiant la cohérence d’ensemble aux lacunes ponctuelles. Cette approche active la présomption d’imputabilité, pivot de la seconde étape de l’analyse.
II. Portée et valeur de la solution adoptée
A. Cause étrangère, état antérieur et jurisprudence de la Cour de cassation
Une fois la matérialité acquise, l’imputabilité est présumée, sauf preuve contraire. La Cour rappelle la frontière dégagée par la jurisprudence. « La cause étrangère peut consister en un état pathologique préexistant […], mais il ne faut pas que cet état pathologique préexistant ait été aggravé ou révélé par l’accident du travail ». Cette formule s’inscrit dans la ligne de Civ. 2e, 27 janv. 2004, n° 02-30.454 ; Civ. 2e, 6 mai 2010, n° 09-13.318 ; Civ. 2e, 8 avr. 2021, n° 20-10.621.
La décision commentée en fait une application maîtrisée. La référence antérieure à une gonalgie ne suffit pas à renverser la présomption, faute d’établir que la lésion serait exclusivement imputable à l’état antérieur. L’évènement a, au minimum, révélé ou aggravé la pathologie, la rendant intégralement indemnisable au titre du risque professionnel. La valeur normative de l’arrêt réside dans cette exigence probatoire rigoureuse imposée à la caisse pour établir la cause totalement étrangère.
B. Rigueur probatoire, déclaration tardive et pratiques d’enquête
La déclaration tardive n’emporte pas, en soi, rejet de la demande, si d’autres éléments confèrent une crédibilité objective au fait. La Cour donne un poids significatif à la fiche d’intervention, aux attestations circonstanciées et à la proximité du constat médical. Elle veille aussi à la qualité de l’enquête, notant l’absence d’audition d’un collègue mentionné, ce qui fragilise la contestation de la matérialité.
Cette méthode incite les caisses à documenter plus complètement leurs investigations lorsqu’une déclaration survient tardivement. Elle invite les employeurs à tracer les interventions et à sécuriser les retours en cas d’alerte informelle. Elle protège enfin le salarié contre une lecture formaliste de la temporalité, dès lors que « la victime qui rapporte la preuve de la matérialité de l’accident bénéficie […] d’une présomption d’imputabilité ». La solution s’inscrit dans un équilibre, ferme sur les preuves objectives, mais rétive à l’ériger en obstacle procédural excessif. Elle confirme, en conséquence, la reconnaissance de l’accident au 18 novembre 2021 au titre de la législation professionnelle.