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Par un arrêt du 3 septembre 2025, la cour d’appel de Nancy s’est prononcée sur les conditions d’attribution des indemnités journalières de l’assurance maladie et sur la portée de l’expertise médicale en matière de contentieux de la sécurité sociale. Cette décision illustre la distinction fondamentale entre l’inaptitude au poste de travail et l’incapacité à exercer toute activité professionnelle.
Une salariée, employée en qualité de responsable depuis août 2019, a été placée en arrêt de travail pour troubles dépressifs à compter du 17 août 2020. Par décision du 21 décembre 2020, la caisse primaire d’assurance maladie l’a informée de la cessation du versement des indemnités journalières à compter du 5 janvier 2021, au motif que son arrêt n’était plus médicalement justifié. Une expertise médicale technique diligentée à la demande de l’assurée a confirmé cette position. L’intéressée a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement le 5 mars 2021.
L’assurée a contesté la décision de la caisse devant la commission de recours amiable, qui a rejeté son recours le 19 mai 2021. Elle a ensuite saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy qui, par jugement du 25 janvier 2023, a ordonné une expertise médicale judiciaire. L’expert désigné a conclu à la capacité physique et psychique de l’assurée de reprendre une activité professionnelle quelconque à la date litigieuse. Par jugement du 18 avril 2024, le tribunal a homologué ce rapport et confirmé la décision de la caisse. L’assurée a interjeté appel, sollicitant une nouvelle expertise ou un complément d’expertise, subsidiairement l’infirmation du jugement et la condamnation de la caisse au paiement des indemnités journalières.
La question posée à la cour était de déterminer si l’état de santé de l’assurée justifiait le maintien des indemnités journalières au-delà du 5 janvier 2021 et si l’expertise médicale judiciaire devait être écartée ou complétée.
La cour d’appel de Nancy confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle rappelle que l’incapacité physique de l’assuré s’apprécie au regard de l’aptitude à exercer une activité professionnelle quelconque et non dans celle de remplir son ancien emploi. Elle juge que les conclusions de l’expert sont claires, précises et dépourvues d’ambiguïté et qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une nouvelle mesure d’expertise.
La solution retenue par la cour d’appel de Nancy mérite examen tant au regard de l’appréciation de l’incapacité de travail en matière d’indemnités journalières (I) que de l’autorité reconnue à l’expertise médicale dans le contentieux de la sécurité sociale (II).
I. L’appréciation objective de l’incapacité de travail
La cour rappelle le critère légal d’attribution des indemnités journalières (A) et procède à une application rigoureuse de ce critère aux circonstances de l’espèce (B).
A. Le critère légal de l’incapacité à exercer une activité quelconque
La cour fonde son analyse sur l’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale qui conditionne le versement des indemnités journalières à « l’incapacité physique constatée par le médecin traitant, de continuer ou de reprendre le travail ». Elle précise que cette incapacité « s’analyse non pas dans l’aptitude de l’assuré à remplir son ancien emploi, mais dans celle d’exercer une activité professionnelle quelconque, y compris un poste adapté ».
Cette interprétation s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui distingue nettement le régime des indemnités journalières de celui de l’inaptitude au sens du droit du travail. L’assurance maladie ne vise pas à indemniser la perte d’un emploi déterminé mais l’impossibilité temporaire de travailler. Le caractère objectif de ce critère permet d’éviter que le contentieux avec l’employeur ne se transforme en motif de maintien artificiel des prestations.
L’arrêt met ainsi en lumière une tension récurrente dans ce type de litige. L’assurée faisait valoir l’existence d’un état anxio-dépressif lié à une souffrance au travail et invoquait son impossibilité de reprendre son poste. La cour refuse de confondre cette impossibilité subjective avec l’incapacité objective exigée par la loi.
B. L’application du critère aux éléments médicaux de l’espèce
L’arrêt procède à un examen minutieux des certificats médicaux produits. Le médecin traitant et le psychiatre attestaient d’un état dépressif, mais la cour relève que leurs conclusions ne caractérisaient pas une incapacité à toute activité professionnelle. Le psychiatre évoquait « une difficulté pour sa patiente à un retour sur son lieu professionnel » sans pour autant conclure à une impossibilité de travailler ailleurs.
L’expert judiciaire a relevé que l’assurée « assurait les fonctions d’aide à domicile de sa mère et ses propres démarches » et « disposait donc à la fois des capacités psychiques et physiques lui permettant d’être en capacité d’exercer une activité professionnelle ». La cour fait sienne cette analyse qui distingue l’impossibilité de retourner dans un environnement professionnel conflictuel de l’incapacité médicale à travailler.
Cette approche peut sembler sévère pour l’assurée qui se trouvait dans une situation de détresse psychologique avérée. Elle traduit cependant une conception restrictive de l’assurance maladie qui n’a pas vocation à pallier les difficultés relationnelles au travail. La protection de l’assuré relève alors d’autres mécanismes, notamment la reconnaissance de l’inaptitude par le médecin du travail, ce qui fut d’ailleurs le cas en l’espèce.
II. L’autorité de l’expertise médicale judiciaire
La cour confirme le caractère contraignant de l’expertise médicale (A) et rejette les demandes de nouvelles mesures d’instruction (B).
A. Le caractère contraignant des conclusions expertales
La cour rappelle qu’en application des articles L. 141-1, L. 141-2 et R. 142-24-1 du code de la sécurité sociale, « l’avis de l’expert désigné s’impose à la caisse, à l’assuré et au tribunal si les conclusions de l’expert sont claires, précises et dépourvues d’ambiguïté ». Elle ajoute que « ne pouvant se prononcer sur une question d’ordre médical, le juge doit, si les conclusions de l’expert technique ne sont pas claires, précises ou dépourvues d’ambiguïté, ordonner un complément d’expertise ou, sur demande d’une des parties, une nouvelle expertise ».
Ce régime particulier de l’expertise en matière de sécurité sociale diffère du droit commun de l’expertise civile où le juge apprécie librement les conclusions de l’expert. En contentieux technique de la sécurité sociale, l’expertise s’impose au juge qui ne dispose pas de la compétence médicale pour en remettre en cause les conclusions. Seul le défaut de clarté ou de précision permet d’écarter ce caractère contraignant.
L’arrêt qualifie les conclusions du docteur expert de « claires, précises et dépourvues d’ambiguïté ». L’expert avait procédé à une « analyse fine » des capacités cognitives et de l’état thymique de l’assurée, excluant « une décompensation thymique » et relevant l’absence de prescription d’un traitement antidépresseur « pourtant facilement utilisable si la clinique l’avait justifié ».
B. Le rejet des demandes de complément d’expertise
L’assurée sollicitait une nouvelle expertise ou un complément pour faire examiner ses affections physiques, scapulalgies et canal carpien. La cour rejette cette demande en relevant que « les affections physiques ne sont pas la cause des arrêts de travail prescrits » et que l’expert « a eu connaissance de l’existence de ces affections physiques dans le cadre de l’exécution de sa mission ».
Cette motivation appelle deux observations. D’une part, la cour refuse d’étendre la mission d’expertise au-delà de la cause médicale ayant justifié l’arrêt de travail. Le médecin traitant avait prescrit l’arrêt pour état dépressif et non pour les pathologies physiques invoquées tardivement. D’autre part, la cour considère que l’expert a suffisamment pris en compte l’ensemble des éléments médicaux dans son appréciation globale.
La portée de cet arrêt réside dans la confirmation d’une jurisprudence exigeante en matière de contestation des expertises médicales. L’assuré qui entend remettre en cause les conclusions d’un expert judiciaire doit établir leur caractère ambigu ou imprécis et ne peut se contenter d’invoquer des éléments médicaux périphériques à la cause de l’arrêt de travail. Cette solution préserve la sécurité juridique des décisions des caisses fondées sur des expertises contradictoires tout en garantissant à l’assuré la possibilité d’un contrôle juridictionnel effectif lorsque l’expertise présente des insuffisances caractérisées.