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Cour d’appel de Nancy, 3 septembre 2025, chambre sociale, section 1. Un salarié d’atelier, ouvrier de parachèvement depuis 2000, a déclaré en juin 2017 une périarthrite scapulohumérale droite. L’exposition au risque avait cessé en juin 2015. La caisse a refusé la prise en charge après un premier avis défavorable du comité régional, motivé par le dépassement du délai du tableau 57. Par jugement du 11 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Troyes a reconnu le caractère professionnel après un second avis favorable d’un autre comité. Le salarié a ensuite recherché la faute inexcusable. Par jugement du 25 octobre 2024, le tribunal judiciaire de Troyes a rejeté la demande, retenant un nouvel avis défavorable et l’absence d’éléments médicaux objectivant le lien. Le salarié a interjeté appel, sollicitant la majoration de rente et une expertise, tandis que l’employeur sollicitait la confirmation. La caisse s’en est remise à justice.
La question posée tient d’abord à la possibilité, en défense à l’action en faute inexcusable, de contester à nouveau le caractère professionnel d’une pathologie déjà reconnue judiciairement. Elle tient ensuite aux exigences probatoires permettant de surmonter le dépassement du délai du tableau 57, en particulier au regard de l’existence d’antécédents plurisegmentaires et de la date de première constatation médicale. La Cour d’appel de Nancy confirme le rejet: l’employeur peut opposer l’absence de caractère professionnel; le dépassement de plus de deux ans, non réduit par des données cliniques individualisées, rompt le lien; l’avis favorable non motivé ne convainc pas.
I. Le cadre de la faute inexcusable et la vérification préalable du caractère professionnel
A. Les critères jurisprudentiels et la charge probatoire
La Cour rappelle la définition constante: « le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé […] a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger […] et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » (Civ. 2e, 8 oct. 2020, n° 18-25.021 et n° 18-26.677). La causalité ne requiert pas l’exclusivité, puisque « il est indifférent que la faute inexcusable […] ait été la cause déterminante […] il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire » (Ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038). La charge de la preuve incombe cependant au salarié, « il appartient au salarié de rapporter la preuve que l’employeur avait conscience du danger […] et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires » (Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-30.984; Civ. 2e, 22 mars 2005, n° 03-20.044). En outre, « cette preuve n’est pas rapportée lorsque les circonstances […] sont indéterminées » (Soc., 11 avr. 2002, n° 00-16.535).
Dans cet office, la cour ordonne d’abord la vérification de la condition préalable: l’existence d’une maladie professionnelle. Le litige relève du tableau 57 A, dont le délai de prise en charge de trente jours est impératif, sauf éléments médicaux précis permettant de le réduire. La décision situe donc la discussion probatoire à ce stade, sans aborder l’élément subjectif de la conscience du danger, faute de lien professionnel établi.
B. La faculté de l’employeur de contester et l’appréciation des avis médicaux
L’employeur peut, en défense, remettre en cause l’origine professionnelle au titre de l’action en faute inexcusable: « dans le cadre de sa défense […] l’employeur peut contester le caractère professionnel » (Civ. 2e, 5 nov. 2015, n° 13-28.373). La cour mobilise trois avis successifs, dont deux défavorables et un favorable. Elle privilégie l’avis défavorable le plus récent, qui « a recherché […] des données cliniques permettant d’expliquer le dépassement du délai […] et […] n’en a pas trouvé », appréciation individualisée et cohérente avec la cessation d’exposition en 2015 et la première constatation en 2017. À l’inverse, l’avis favorable se borne à rappeler que le dépassement n’est pas un obstacle en soi, sans motivation relative à l’espèce, tout en mentionnant un délai erroné. La cour note aussi les antécédents plurisegmentaires et la reconnaissance unilatérale antérieure de l’épaule gauche, ce qui rend peu plausible une atteinte bilatérale ancienne restée inaperçue. Faute d’éléments médicaux objectivant une symptomatologie antérieure ou un continuum clinique, le lien avec l’activité fait défaut. La demande est donc rejetée par confirmation.
II. Appréciation et portée de la solution
A. Une motivation centrée sur l’individualisation et la temporalité
La décision retient une exigence nette d’individualisation probatoire. Le dépassement du délai de plus de deux ans après la fin d’exposition ne peut être neutralisé que par des éléments cliniques datés, constants et convergents. Les allégations relatives à un effet masquant des traitements ne sauraient suppléer l’absence de preuves médicales. La valorisation de l’avis défavorable repose sur son ancrage clinique, tandis que l’avis favorable, purement principiel, est écarté. Cette grille protège la sécurité juridique et prévient les raisonnements mécaniques, même si elle peut paraître rigoureuse pour des affections à expression parfois retardée. Elle demeure pourtant conforme à l’économie des tableaux, qui imposent une temporalité probatoire exigeante.
B. Portée pratique en contentieux de la faute inexcusable
La solution confirme trois enseignements utiles. D’abord, la possibilité pour l’employeur de contester le caractère professionnel en défense structure le procès, sans heurt avec l’autorité attachée à des décisions antérieures, tant que le juge motive son contrôle. Ensuite, la force persuasive d’un avis de comité dépend de sa motivation individualisée, non de son seul sens; un rappel abstrait du principe lié au dépassement du délai ne suffit pas. Enfin, l’articulation des antécédents plurisegmentaires et de la chronologie d’exposition commande une vigilance accrue: sans éléments cliniques objectivés réduisant le délai du tableau, le lien causal ne s’établit pas et l’action en faute inexcusable échoue, sans qu’il soit besoin d’examiner la conscience du danger. Cette ligne jurisprudentielle, adossée aux formules rappelées (« le manquement […] a le caractère d’une faute inexcusable », « il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire »), confirme que la clé du succès demeure la preuve médicale contextualisée et datée, au service d’un débat loyal sur la qualification professionnelle.