Cour d’appel de Nancy, le 4 septembre 2025, n°24/00430

Rendue par la Cour d’appel de Nancy le 4 septembre 2025, la décision tranche un contentieux nourri relatif au paiement des heures supplémentaires dans une entreprise ayant négocié, le 19 juin 2000, un accord de réduction du temps de travail. Deux points sont centraux. D’une part, la portée de l’indemnité de garantie de salaire attachée à l’ARTT pour les salariés présents lors de l’accord. D’autre part, l’assiette de calcul des heures supplémentaires sous annualisation, notamment la place des jours de réduction du temps de travail.

Les faits tiennent en peu d’éléments utiles. Un accord-cadre a limité la durée à 35 heures, institué une indemnité compensatrice, et prévu, pour les salariés déjà en poste, la seule bonification des heures comprises entre 35 et 39 heures. Contestant, les salariés ont saisi le Conseil de prud’hommes de Colmar le 16 novembre 2017, lequel a fait droit aux rappels. La Cour d’appel de Colmar a confirmé le 29 janvier 2019, avec aménagements sur des demandes accessoires. La Cour de cassation a partiellement cassé le 18 décembre 2019 et renvoyé à Metz, dont l’arrêt du 3 août 2022 a été, à son tour, partiellement cassé le 7 février 2024, avant renvoi à Nancy.

L’employeur soutenait que l’indemnité garantissait le salaire de base des heures 35 à 39, la majoration seule demeurant due, et que les JRTT devaient être intégrés comme jours travaillables dans l’assiette d’heures supplémentaires. Les salariés, eux, réclamaient le salaire de base pour les heures 35 à 39, majorations incluses, et la neutralisation des JRTT dans le décompte des jours « travaillables ». Le syndicat intervenait au titre de l’intérêt collectif.

La question juridique se concentre sur deux axes. D’abord, la nature de l’indemnité de garantie de salaire au regard des heures supplémentaires comprises entre 35 et 39 heures. Ensuite, la qualification des JRTT quant à l’assiette annuelle de calcul des heures supplémentaires sous annualisation. La Cour répond explicitement par l’affirmative aux prétentions salariales, énonce la règle de calcul, ordonne une compensation pour éviter les doubles paiements, et alloue des dommages au syndicat pour atteinte à l’intérêt collectif. Elle rappelle également l’office de la juridiction de renvoi après cassation partielle: « la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce ».

I. Le sens de la décision: redéfinition du paiement des heures 35-39 et assiette des heures supplémentaires

A. L’indemnité ARTT ne se substitue pas au salaire de base des heures supplémentaires

La Cour fixe d’abord le périmètre de la garantie salariale. Elle juge que l’indemnité de maintien ne couvre que la rémunération des 35 heures, le salaire de base des heures 35 à 39 restant dû, outre la majoration. L’arrêt l’exprime sans détour: « La demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires des salariés est donc fondée en son principe. » La motivation précise que le versement de la seule bonification, à 10 ou 25 %, ne suffit pas à éteindre la créance née des heures 35 à 39.

Cette affirmation s’inscrit dans la logique du droit positif. La majoration rémunère l’effort supplémentaire; elle ne remplace pas le salaire de base de l’heure. L’indemnité ARTT garantit quant à elle le maintien à 35 heures lors du passage aux 35 heures. Elle ne peut donc, sans texte clair, absorber le salaire de base d’heures complémentaires. La Cour ne crée pas d’obligation nouvelle, elle restitue la hiérarchie des composantes de la rémunération.

B. Les JRTT dans l’annualisation: des jours non déductibles de la base annuelle

La Cour règle ensuite l’assiette de calcul sous annualisation. Elle dénie à l’employeur la faculté de majorer artificiellement le nombre de jours « travaillables » en déduisant les JRTT de la base 365/366 jours. Elle énonce: « les jours de réduction du temps de travail, qui constituent la contrepartie d’un travail supérieur à la durée légale hebdomadaire de travail de 35 heures, ne peuvent être déduits de la base annuelle de calcul de 365 ou 366 jours pour déterminer le nombre de jours à travailler. » L’assiette se calcule donc en neutralisant la déduction des JRTT, lesquels ne diminuent ni la charge annuelle, ni le quantum d’heures donnant lieu à majoration.

Cette clarification complète la précédente. Elle évite qu’après avoir nié le salaire de base des heures 35-39, l’employeur réduise encore mécaniquement le volume d’heures supplémentaires par un artifice d’assiette. La Cour retient alors les décomptes des salariés, en relevant l’absence de contre-calcul probant de l’employeur, ce qu’elle résume d’une phrase nette: « Le principe de la créance des salariés est établi. »

II. Valeur et portée: cohérence normative, prévention du double paiement et protection de l’intérêt collectif

A. Une solution juridiquement cohérente et opérationnellement lisible

La solution s’accorde avec l’économie des textes sur la durée du travail. La majoration n’est pas un salaire de base; l’indemnité de maintien n’est pas un substitut d’heures supplémentaires. Le raisonnement solidifie la lisibilité des fiches de paie sous annualisation et réduit les risques de contournement. La méthode de calcul précise l’assiette, borne les effets de l’accord d’entreprise, et favorise une comptabilité des heures à la fois vérifiable et opposable.

La maîtrise de l’office après cassation partielle renforce la rigueur processuelle. La Cour rappelle utilement que « la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce ». Le renvoi se concentre donc sur les seuls chefs subsistants, ce qui explique l’articulation entre confirmation partielle, nouvelle condamnation, et organisation de la compensation pour prévenir un double versement.

Sur ce point, la Cour évite l’enrichissement sans cause en conciliant exécution provisoire antérieure et condamnations présentes. Elle ordonne en effet que « la compensation sera ordonnée, de la même manière que pour les salariés précédents, seul le solde étant dû à la partie créancière. » Le mécanisme est équilibré. Il protège le créancier de bonne foi, tout en assurant le recouvrement exact, à l’euro près, des créances salariales et des restitutions.

B. Conséquences pratiques: restitutions ciblées, effet incitatif et intérêt collectif protégé

La solution distingue clairement les situations. Pour les salariés embauchés après l’accord, directement à 35 heures et hors indemnité de maintien, la Cour valide les restitutions des sommes indûment perçues au titre des seuls rappels de salaires et congés afférents. Le ciblage exclut les accessoires non motivés, respecte la cassation partielle et évite une remise en cause globale et indistincte.

L’arrêt porte aussi une dimension normative sur l’intérêt collectif. La Cour constate l’atteinte résultant d’un manquement général, lié à une interprétation erronée d’un accord d’entreprise. Elle le formule dans des termes qui valent au-delà du litige: « Ce manquement, par son caractère général, et relatif à une interprétation contestée d’un accord d’entreprise, constitue de ce fait une atteinte aux intérêts collectifs des salariés que les syndicats représentent. » L’allocation de dommages-intérêts consacre le rôle d’alerte du syndicat et incite à une mise en conformité immédiate des pratiques internes.

L’impact pratique est notable. Côté employeur, l’obligation de payer le salaire de base des heures 35 à 39, cumulée avec la majoration, commande des paramétrages de paie ajustés et des bilans ARTT sincères. Côté salariés, la règle d’assiette interdit les réductions non prévues des heures supplémentaires au moyen des JRTT. Côté processuel, la compensation ordonnée, circonscrite aux titres visés, garantit la restitution exacte sans déséquilibrer les flux financiers.

En définitive, l’arrêt opère un rappel ferme des fondamentaux de la rémunération du temps de travail en contexte d’annualisation. Il harmonise la lecture de l’indemnité de maintien et de la majoration, fixe une assiette de calcul loyale, et stabilise le contentieux par une exécution calibrée, au plus près des chefs subsistants après cassation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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