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Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Nancy s’est prononcée sur la qualification du statut de négociateur immobilier et sur les effets d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Une salariée avait été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée le 1er avril 2019 en qualité de négociateur immobilier au sein d’une agence opérant sous enseigne nationale. La convention collective de l’immobilier et l’avenant relatif au statut de négociateur immobilier s’appliquaient à la relation contractuelle. Par requête du 14 avril 2022, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de résiliation judiciaire, sollicitant notamment le paiement de rappels d’heures supplémentaires, une indemnité pour travail dissimulé et diverses indemnités de rupture. Par courrier du 23 août 2022, elle a pris acte de la rupture de son contrat aux torts de l’employeur en invoquant le non-paiement récurrent d’heures supplémentaires.
Le conseil de prud’hommes de Nancy, statuant en formation de départage le 19 février 2024, a jugé que la salariée relevait du statut de négociateur immobilier VRP, que sa prise d’acte produisait les effets d’une démission et l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes. La salariée a interjeté appel le 18 mars 2024. Elle soutenait ne pas relever du statut VRP faute de secteur géographique défini et en raison de l’absence d’autonomie dans l’exercice de ses fonctions. L’employeur concluait à la confirmation du jugement et sollicitait reconventionnellement le paiement d’une indemnité de préavis.
La Cour d’appel de Nancy devait déterminer si la salariée relevait du statut légal de voyageur, représentant ou placier, et en conséquence si sa prise d’acte fondée sur le non-paiement d’heures supplémentaires produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle ou ceux d’une démission.
La cour a confirmé le jugement entrepris, retenant que la salariée relevait du statut VRP, que sa prise d’acte produisait les effets d’une démission et l’a condamnée au paiement d’une indemnité de préavis de 7037 euros.
I. La caractérisation du statut de VRP par la réunion des critères légaux
A. L’existence d’un secteur d’activité suffisamment déterminé
L’article L. 7311-3 du code du travail énumère les conditions cumulatives permettant de qualifier un salarié de voyageur, représentant ou placier. Parmi celles-ci figure l’exigence d’engagements déterminant « la région dans laquelle il exerce son activité ou les catégories de clients qu’il est chargé de visiter ». La jurisprudence exige que ce secteur soit déterminé et stable, sans toutefois proscrire toute intervention ponctuelle hors de ce périmètre.
La cour relève que l’article 5 du contrat de travail disposait que la salariée « prospectera le secteur géographique travaillé par l’agence, lequel pourra être modifié en fonction du marché ». Cette rédaction, quoique générale, délimitait suffisamment le champ d’intervention en le rattachant au territoire d’exercice de l’employeur. La cour approuve les premiers juges en retenant que « le secteur d’activité de Mme [V], en ce qu’il visait le secteur géographique dans lequel l’employeur exerçait ses activités, était suffisamment défini ».
L’arrêt précise que les modifications du secteur étaient subordonnées à l’évolution du marché immobilier et non à une décision unilatérale de l’employeur. Cette observation renforce la stabilité du secteur, critère déterminant de la qualification. La salariée produisait des éléments attestant d’interventions ponctuelles hors zone, mais la cour les qualifie de « marginales par rapport à son volume d’activité total ». Cette appréciation quantitative permet de préserver la qualification VRP malgré quelques débordements géographiques.
Cette position s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence constante admettant que l’existence de clients occasionnels hors secteur ne remet pas en cause la condition légale. Elle témoigne d’une lecture pragmatique des exigences textuelles, adaptée aux réalités du métier de négociateur immobilier dont l’activité peut ponctuellement excéder le périmètre habituel de l’agence.
B. La compatibilité du pouvoir d’organisation de l’employeur avec l’autonomie du représentant
La salariée contestait également la qualification VRP en soutenant qu’elle ne disposait d’aucune liberté dans l’exercice de ses missions. Elle produisait des attestations établissant qu’elle était astreinte à des permanences physiques au sein de l’agence, ce qui caractériserait selon elle une subordination incompatible avec le statut revendiqué par l’employeur.
La cour écarte ce moyen en distinguant le pouvoir d’organisation du service, qui demeure une prérogative de l’employeur, et l’entrave à l’activité de prospection, seule de nature à exclure la qualification. Elle retient que « les dispositions légales ne privent pas l’employeur de son pouvoir d’organisation du service dans la mesure où celui-ci n’a pas pour conséquence d’entraver le représentant dans son activité de prospection ». L’arrêt relève que la salariée ne démontre pas une telle entrave.
La cour se réfère également à l’article 2 de l’accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 relatif aux VRP, qui prévoit une obligation de rendre compte. Les contraintes dénoncées par la salariée n’excédaient pas cette obligation conventionnelle. Cette motivation illustre la nécessité d’apprécier concrètement les conditions d’exercice de l’emploi. Le statut VRP n’implique pas une autonomie absolue, mais une liberté suffisante dans l’organisation de la prospection.
Cette analyse conduit logiquement à examiner les conséquences de la qualification retenue sur la demande de prise d’acte.
II. Les conséquences de la qualification sur la rupture du contrat de travail
A. L’exclusion du régime de droit commun de la durée du travail
La qualification de VRP emporte des conséquences majeures sur le régime juridique applicable au salarié. L’article L. 7313-9 du code du travail exclut les VRP du bénéfice des dispositions relatives à la durée du travail, aux repos et aux jours fériés. Cette exclusion trouve sa justification dans l’autonomie dont bénéficie le représentant pour organiser son temps de travail.
La salariée fondait l’essentiel de ses prétentions financières sur l’accomplissement d’heures supplémentaires non rémunérées. Elle réclamait un rappel de 12 761,12 euros, outre les congés payés afférents, la contrepartie obligatoire en repos et l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. La confirmation du statut VRP rend ces demandes irrecevables, le régime dérogatoire excluant le décompte horaire du temps de travail.
La cour confirme le rejet de l’ensemble des demandes liées aux heures supplémentaires sans avoir à examiner la réalité des heures alléguées. Cette solution s’impose dès lors que la prémisse du raisonnement de la salariée, à savoir l’application du droit commun de la durée du travail, est écartée.
Cette exclusion du régime horaire n’est pas sans susciter des interrogations. Le négociateur immobilier VRP, bien que formellement autonome, peut se trouver soumis à des contraintes organisationnelles importantes. La distinction entre subordination juridique caractéristique du contrat de travail et autonomie dans la prospection demeure parfois ténue.
B. La requalification de la prise d’acte en démission et ses conséquences indemnitaires
La prise d’acte permet au salarié de rompre unilatéralement le contrat en imputant la responsabilité à l’employeur. Elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués sont établis et suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat. Dans le cas contraire, elle s’analyse en une démission.
La salariée avait pris acte de la rupture par lettre du 23 août 2022, invoquant « le non-paiement récurrent des heures supplémentaires ». La cour relève que, relevant du statut VRP, elle « ne pouvait prétendre au paiement d’heures supplémentaires ». L’employeur n’a donc commis aucune faute en s’abstenant de rémunérer des heures qui n’avaient pas à être comptabilisées selon ce régime dérogatoire.
La prise d’acte fondée sur un grief juridiquement infondé ne peut produire les effets d’un licenciement. La cour confirme que la rupture s’analyse en une démission, privant la salariée de toute indemnité de rupture. Elle fait droit à la demande reconventionnelle de l’employeur en condamnant la salariée au paiement de 7037 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, conformément aux stipulations contractuelles.
Cette solution invite le salarié envisageant une prise d’acte à vérifier préalablement la solidité juridique des griefs qu’il entend invoquer. Une erreur d’appréciation sur le régime applicable peut transformer une rupture que le salarié espérait imputer à l’employeur en démission lui imposant le respect du préavis. La rigueur de cette sanction rappelle les risques inhérents à ce mode de rupture unilatérale.