Cour d’appel de Nancy, le 4 septembre 2025, n°24/00790

Par arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Nancy, chambre sociale, section 2, statue sur la validité d’un licenciement pour inaptitude et l’étendue de l’obligation de reclassement. Le salarié, embauché en 2009 comme chauffeur-livreur, a été victime d’un accident du travail, puis déclaré apte avec aménagement de poste en 2017 et finalement inapte le 25 mars 2019, apte seulement à un poste sédentaire de bureau. Convoqué à entretien préalable, il a été licencié le 16 septembre 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement du 4 avril 2024, le conseil de prud’hommes de Nancy a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, allouant 9 382,70 euros de dommages et intérêts et 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’employeur a interjeté appel le 18 avril 2024, tandis que le salarié a formé un appel incident sur le quantum. Devant la cour, l’employeur conteste le caractère professionnel de l’inaptitude, soutient avoir rempli son obligation de reclassement et sollicite la restitution d’indemnités spécifiques versées à tort. Le salarié demande la confirmation sur le principe, l’augmentation de l’indemnité et le rejet des demandes reconventionnelles.

La question posée tient, d’une part, à la portée de la lettre de licenciement sur la qualification de l’inaptitude et, d’autre part, à la preuve d’une recherche effective et sérieuse de reclassement dans le périmètre pertinent. La cour juge que la lettre a fixé une inaptitude d’origine professionnelle, excluant toute “erreur de plume”, et que la preuve d’une recherche loyale et complète n’est pas rapportée, de sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité étant portée à 18 000 euros avec 2 000 euros sur le fondement de l’article 700.

I – La qualification d’inaptitude professionnelle fixée par la lettre de licenciement

A – L’autorité de la lettre sur l’objet du litige

La cour rappelle avec netteté la règle directrice selon laquelle « La lettre de licenciement fixe les limites du litige. » Cette formule, classique et décisive, borne le débat judiciaire et empêche l’employeur de déplacer le terrain de la rupture au gré des contentieux. La motivation précise ensuite que « Il s’en évince que devant la juridiction prud’hommale, l’employeur ne peut pas invoquer d’autres motifs que ceux mentionnés dans la lettre de licenciement ; la qualification qu’il a donné a donnée au licenciement s’impose à lui. » L’énoncé articule, sans détour, la conséquence procédurale et matérielle de la lettre sur la qualification de l’inaptitude.

Partant des termes mêmes de la notification, la cour constate que l’employeur a visé une inaptitude professionnelle et tiré les effets afférents. Cette approche privilégie la sécurité juridique et la cohérence de la rupture, la lettre constituant l’acte fondateur dont la portée est objectivée. Elle dissuade les requalifications opportunistes en cours d’instance et maintient la loyauté du débat.

B – Les effets induits: indemnités spécifiques et rejet de la restitution

La cour déduit ensuite de cette qualification les conséquences indemnitaires. L’employeur, ayant payé les indemnités spéciales afférentes à l’inaptitude d’origine professionnelle, ne peut utilement solliciter restitution en prétendant a posteriori l’absence d’origine professionnelle. Le raisonnement est linéaire: la qualification choisie engage, sauf usage de la faculté légale de précision des motifs, dont il n’a pas été fait usage en l’espèce.

La décision écarte par suite la demande reconventionnelle de remboursement. En retenant que l’employeur « a bien eu l’intention de licencier son salarié pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement et ne peut invoquer d’erreur de plume », elle ferme la voie à l’argument d’un versement indu. La stabilité des qualifications, liée à la force normative de la lettre, commande ici le rejet de la reprise des sommes.

II – L’obligation de reclassement en cas d’inaptitude

A – Étendue, périmètre de groupe et charge probatoire

Sur l’obligation de reclassement, la cour énonce le standard applicable en citant le droit positif tel qu’interprété: « Il résulte des articles L.1226-12 et L. 1226-10 du code du travail,que l’employeur est tenu, en cas de licenciement pour inaptitude, d’une obligation de recherche effective et sérieuse de reclassement du salarié sur un emploi relevant de la même catégorie […] ou à défaut, et sous réserve de l’accord exprès de l’intéressé, sur un emploi d’une catégorie inférieure. » Cet attendu rappelle la nature de l’obligation, qui est de moyens renforcée, et le cadre d’exécution loyal.

La cour précise encore le périmètre d’investigation: « Cette recherche doit être effectuée, si la société fait partie d’un groupe, auprès des autres sociétés de ce groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu de travail ou d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel. » Enfin, elle assigne la preuve à celui qui allègue l’impossibilité: « C’est à l’employeur de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyen, et de rapporter la preuve de l’impossibilité de reclassement qu’il allègue. »

Ce triptyque jurisprudentiel balise clairement le contrôle: définition de l’obligation, périmètre pertinent, et charge probatoire. Il justifie un examen serré de la consistance des démarches, du périmètre effectivement exploré et de l’adéquation des propositions aux capacités et qualifications.

B – Application au cas d’espèce: insuffisances probatoires et inadéquation des propositions

Au regard de ces critères, la cour relève plusieurs carences dirimantes. D’abord, l’employeur n’a pas établi le périmètre du groupe ni l’identité des sociétés le composant, empêchant toute vérification des permutations possibles au sens du contrôle exigé. Ensuite, il ne produit pas son registre du personnel, élément de base pour apprécier les postes existants et les vacants. Enfin, aucun curriculum vitae du salarié n’est versé pour éclairer les correspondances de compétences, pourtant déterminantes pour des postes sédentaires.

Les offres produites, par ailleurs éloignées des fonctions antérieures, ont été formulées sans dispositif de formation, alors que la reconversion vers des postes techniques ou d’études commandait un accompagnement. En l’absence de preuve d’une recherche structurée, exhaustive et adaptée, la cour conclut, dans le droit fil de ses attendus de principe, que « En conséquence, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, le jugement du conseil de prud’hommes étant confirmé sur ce point. » L’augmentation de l’indemnité à 18 000 euros traduit une appréciation concrète de l’ancienneté et du salaire de référence, tout en marquant la gravité de la défaillance probatoire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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