Cour d’appel de Nancy, le 4 septembre 2025, n°24/01341

La Cour d’appel de Nancy, le 4 septembre 2025, statue sur un contentieux de harcèlement moral et d’obligation de sécurité. Le litige concerne un acheteur en forfait annuel en jours, déclaré inapte après un arrêt de travail prolongé.

Engagé en 2015 par une entreprise de l’agroalimentaire, le salarié travaillait sous convention de 218 jours. Après plusieurs mois d’arrêt pour un syndrome anxio-dépressif, la médecine du travail l’a déclaré inapte en février 2023. L’avis mentionnait qu’il restait « en capacité médicale d’exercer sur un poste équivalent dans un autre environnement ». L’employeur a proposé des reclassements, refusés, puis a procédé à un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Saisi avant le licenciement, le conseil de prud’hommes d’Epinal, le 12 juin 2024, a rejeté l’ensemble des demandes. L’appelant persistait à solliciter la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, la nullité du licenciement et des dommages-intérêts.

Il invoquait un harcèlement moral fondé sur une surcharge structurelle, des injonctions contradictoires et une agression verbale, assorti d’un manquement à l’obligation de sécurité. La question posée à la juridiction d’appel portait sur l’administration de la preuve des agissements allégués et sur l’ampleur des diligences préventives exigées.

La cour confirme, en retenant l’absence d’éléments répétés permettant la présomption légale et l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle rappelle que « Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement ».

**Preuve Aménagée**

La juridiction rappelle d’abord la norme probatoire applicable. Elle cite que « Aux termes des dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ». Elle ajoute que « En application de l’article L. 1154-1 du code du travail, (…) le salarié présente des faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». Ce rappel situe clairement l’office du juge dans l’examen successif des éléments, puis dans le contrôle des justifications adverses.

L’analyse des pièces illustre une appréciation serrée de la crédibilité des indices. La cour admet la valeur d’une attestation de collègue malgré la distance géographique des sites et juge, avec netteté, « Dès lors la critique de l’attestation est inopérante ». Elle écarte en revanche les documents auto-établis, les courriels non traduits et les extrapolations sur la charge de travail, au profit d’indicateurs objectifs fournis, tels les graphiques de portefeuille et d’objectifs. La formule récurrente « Ces pièces n’établissent pas la matérialité des faits allégués » marque le seuil minimal requis pour déclencher la présomption.

**Répétition Exigée**

Reste l’incident d’altercation verbale, tenu pour établi, et ses suites médicales. La cour constate que « Ces pièces établissent la matérialité de son arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif ». Toutefois, elle refuse de faire de l’atteinte à la santé un substitut à la réitération des agissements, exigée par le texte et rappelée par une jurisprudence constante.

Le cœur de la motivation tient dans l’énoncé suivant, particulièrement clair: « Le harcèlement moral ne pouvant résulter que de faits répétés, aucune présomption ne découle en l’espèce des faits matériellement établis, les éléments médicaux et la déclaration d’inaptitude ne constituant pas, par nature, un élément matériel de répétition ». La solution se comprend par la distinction entre cause et conséquence: la pathologie ne prouve pas la répétition. Par substitution de motifs, la cour confirme le rejet, sans méconnaître la réalité d’un événement isolé mais insuffisant.

**Sécurité Et Diligences**

Sur l’obligation de prévention, la cour se replace dans le cadre de l’article L 4121-1 du code du travail, qu’elle cite en ces termes: « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Elle relève l’ouverture d’une enquête interne après signalement et la communication de ses conclusions, malgré l’absence de production des pièces au débat.

Le raisonnement est bref mais significatif. La cour retient que « L’employeur a donc réagi aux agissements dénoncés ». Faute d’éléments précis sur une campagne de dénigrement, le manquement n’est pas caractérisé. L’approche s’inscrit dans la logique d’une obligation de moyens renforcés: des diligences effectives, adaptées et promptes peuvent exonérer, y compris en présence d’un incident unique non répété.

**Portée Pratique**

La décision conforte une ligne désormais stable en matière probatoire et préventive. Côté salarié, elle invite à documenter finement la répétition par des pièces externes, datées et originales, plutôt que par des tableaux personnels ou des courriels non traduits. Les entretiens liés au forfait jours, régulièrement tenus et positifs, pèsent aussi dans l’appréciation globale de la charge alléguée.

Côté employeur, l’arrêt valorise la traçabilité des indicateurs d’activité et l’ouverture diligente d’enquêtes internes. Il souligne l’intérêt de réponses écrites, d’entretiens dédiés et, le cas échéant, de mesures correctrices proportionnées, tout en refusant de déduire un manquement d’une absence de sanction isolée. La solution procédurale s’achève sobrement: « Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Epinal le 12 juin 2024 ; » et « Les parties supporteront la charge de leurs propres dépens, et seront déboutées de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ».

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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