Cour d’appel de Nancy, le 8 septembre 2025, n°24/01346

La Cour d’appel de Nancy, 8 septembre 2025, se prononce sur le recours exercé par les assureurs de responsabilité d’un notaire à la suite d’un trop-perçu allégué dans un partage successoral. Un acte de liquidation-partage a été reçu le 27 juillet 2020. Des décomptes actualisés ont été établis le 3 septembre 2020, puis un acte rectificatif a été dressé le 3 mai 2021. Il en ressortait un trop-perçu de 12 096,15 euros au profit de l’une des cohéritières.

Les assureurs ont indemnisé le cohéritier lésé le 21 juillet 2021, assortissant le règlement d’une quittance subrogative. Une mise en demeure a été adressée le 8 octobre 2021, puis une assignation a été délivrée le 17 mars 2022. Par jugement du 24 mai 2024, la juridiction de première instance a débouté les assureurs, après avoir écarté une contestation de qualité à agir comme irrecevable. L’appel a été interjeté le 4 juillet 2024.

Les appelants invoquaient la subrogation légale et la subrogation conventionnelle, subsidiairement le recel successoral. L’intimée opposait l’inopposabilité de l’acte rectificatif et soutenait que le notaire, seul responsable, avait déclenché la garantie contractuelle sans conférer de droit de reprise contre un cohéritier. La question était de savoir si l’assureur de responsabilité, ayant payé son assuré, peut se subroger contre une cohéritière sur le fondement d’un trop-perçu de partage, alors même que le paiement procède de son obligation contractuelle.

La cour confirme le rejet du recours. Elle rappelle que « il en résulte cependant, que si le paiement d’une dette personnelle ne fait pas en soi obstacle à la subrogation légale, c’est à la condition que, par ce paiement le solvens, libère ses co-obligés envers le créancier commun, pour une part qui leur incombe à titre définitif ; ». Constatant que l’indemnisation n’a pas éteint une dette commune mais exécuté la garantie due à l’assuré, elle décide qu’« En conséquence et pour ces motifs substitués, le jugement déféré sera confirmé ». Les frais irrépétibles et dépens restent à la charge des assureurs, une somme complémentaire étant allouée au titre de l’article 700.

I – Le sens de la décision: l’assureur payeur de sa dette et l’exigence d’une dette commune

A – Le principe de subrogation examiné au prisme de la dette commune

La cour raisonne à partir du critère fonctionnel du paiement libératoire au profit d’un coobligé. Elle s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence rappelée dès la première instance, selon laquelle « ce seul fait ne fait pas obstacle au mécanisme de la subrogation, dès lors que celui qui s’acquitte d’une dette personnelle a, par son paiement, libéré envers leur créancier commun celui sur qui doit porter la charge définitive de la dette ; ». La subrogation légale suppose donc que le solvens, même payant sa propre dette d’assureur, éteigne corrélativement la dette définitive d’un autre envers le même créancier.

La juridiction d’appel retient que cette condition fait défaut en l’espèce. Le paiement couvre l’engagement d’assurance souscrit au profit du notaire, et non une obligation solidaire ou à contribution entre celui-ci et la cohéritière. Le cadre pertinent est celui d’une garantie contractuelle exécutée pour réparer la part perdue dans le partage, sans extinction d’une dette « commune » imputable à la cohéritière envers le créancier indemnisé.

B – Le traitement de la subrogation conventionnelle et l’économie de la solution

Les assureurs invoquaient également la subrogation conventionnelle au soutien de la quittance subrogative. La cour rappelle ses conditions légales et relève que l’argumentation d’appel se concentre sur l’article 1346, tout en mentionnant l’article 1346-1. Elle constate surtout que la structure de la dette ne permet pas de transposer la logique du coobligé libéré.

En filigrane, la décision neutralise ainsi l’effet utile de la quittance subrogative. À défaut d’une dette de restitution établie et opposable à la cohéritière dans le cadre du partage, la subrogation ne peut prospérer. L’arrêt n’a pas besoin d’examiner le terrain de l’inopposabilité de l’acte rectificatif, puisqu’il tranche sur un motif substitué relatif à la nature du paiement et de la dette transmise.

II – Valeur et portée: une lecture restrictive assumée et ses conséquences pratiques

A – Une interprétation exigeante de la jurisprudence de 2013, cohérente avec la logique des coobligations

La cour cite la solution de principe dégagée antérieurement, rappelant que le seul paiement « d’une dette personnelle » ne suffit pas sans libération d’un coobligé pour sa part définitive. Ce rappel recentre la subrogation légale sur les hypothèses de pluralité de débiteurs d’une même dette envers un créancier commun, typiquement en cas de responsabilité partagée ou de solidarité imparfaite.

La solution resserre l’accès de l’assureur à la subrogation contre un tiers non coobligé du dommage initial. Le tiers doit supporter à titre définitif la charge de la dette éteinte par le paiement. Tel n’est pas le cas d’un cohéritier qui a perçu une part litigieuse, dès lors que l’assureur a exécuté une garantie due à l’égard de son assuré, indépendamment d’une relation d’obligation avec ce cohéritier.

B – Des enseignements pratiques pour les recours assurantiels et le contentieux du partage

L’arrêt invite les assureurs de responsabilité notariale à sécuriser la chaîne des titres avant tout recours subrogatoire contre un cohéritier. Il convient, soit d’obtenir un titre opposable établissant la créance de restitution, soit de privilégier un recours contre l’assuré puis, le cas échéant, une cession régulière de créance fondée sur un titre définitif.

Il éclaire aussi le choix de l’action adéquate en matière de partage. La voie d’un « complément de part » relève du cohéritier lésé dans le cadre de l’article 889 du code civil, avec ses conditions propres. Elle ne se confond pas avec l’action subrogatoire de l’assureur, qui demeure tributaire de l’existence d’une dette commune et d’un créancier commun au sens strict. « Les appelantes entendent contester le jugement déféré en ce qu’il a écarté ces dispositions en leur faveur, motif pris que le paiement a été effectué non pour le compte de la débitrice de sommes, mais en application des dispositions contractuelles les liant à leur assurée, notaire ; ». La cour assume cette ligne, qui clarifie la répartition des charges et la hiérarchie des voies de recours.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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