Cour d’appel de Nîmes, le 1 juillet 2025, n°23/04015

La présomption d’imputabilité au travail d’un accident survenu aux temps et lieu du travail constitue un mécanisme protecteur des salariés dont la portée et les limites suscitent un contentieux récurrent. La question de l’articulation entre cette présomption et l’appréciation de l’origine professionnelle de l’inaptitude par le juge prud’homal se trouve au cœur de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nîmes le 1er juillet 2025.

Un salarié, engagé en qualité de cuisinier depuis juillet 2020, a été victime le 27 juin 2022 d’un malaise cardiaque sur son lieu de travail, diagnostiqué comme un infarctus du myocarde. L’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de cet accident par courrier du 21 octobre 2022. Le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste le 6 septembre 2022. L’employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 5 octobre 2022.

Contestant le caractère professionnel du sinistre, l’employeur a saisi la commission de recours amiable puis le pôle social du tribunal judiciaire. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement des indemnités spéciales de licenciement et de préavis. Le conseil de prud’hommes d’Orange, par jugement du 14 décembre 2023, a condamné l’employeur au paiement de ces indemnités. L’employeur a interjeté appel, sollicitant un sursis à statuer dans l’attente de la décision du pôle social, puis subsidiairement le débouté du salarié au motif que le caractère professionnel de l’inaptitude ne serait pas établi.

Le problème de droit soumis à la cour était double : d’une part, le juge prud’homal doit-il surseoir à statuer dans l’attente de la décision du pôle social sur le caractère professionnel de l’accident ? D’autre part, l’employeur peut-il renverser la présomption d’imputabilité en invoquant les antécédents médicaux du salarié et les circonstances entourant la survenance du malaise ?

La Cour d’appel de Nîmes confirme le jugement entrepris. Elle refuse de prononcer le sursis à statuer, rappelant que le refus de prise en charge par la caisse ne dispense pas le juge d’apprécier l’origine professionnelle de l’inaptitude. Sur le fond, elle constate que l’accident a été déclaré aux temps et lieu du travail par l’employeur lui-même, que les éléments avancés ne permettent pas d’établir une cause totalement étrangère au travail, et que l’inaptitude a au moins partiellement pour origine cet accident.

L’arrêt commenté mérite attention tant sur la question de l’autonomie du juge prud’homal dans l’appréciation de l’origine professionnelle de l’inaptitude (I) que sur les conditions du renversement de la présomption d’imputabilité (II).

I. L’autonomie du juge prud’homal dans l’appréciation de l’origine professionnelle de l’inaptitude

Cette autonomie se manifeste par le refus de subordonner la décision prud’homale à celle du pôle social (A) et par la reconnaissance d’une compétence pleine du juge du contrat de travail (B).

A. Le refus du sursis à statuer malgré le contentieux pendant devant le pôle social

L’employeur invoquait l’impossibilité de statuer sur les indemnités liées au caractère professionnel de l’accident tant que le pôle social n’avait pas rendu sa décision définitive. La cour écarte cet argument en rappelant que « hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l’opportunité du sursis à statuer, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice ».

Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le juge prud’homal n’est pas tenu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction de sécurité sociale. La raison en est simple : les finalités des deux contentieux diffèrent. Le contentieux de sécurité sociale porte sur la prise en charge financière par la caisse, tandis que le contentieux prud’homal concerne les droits du salarié à l’égard de son employeur.

La cour ajoute que « le refus de prise en charge de la Cpam ne dispense pas le juge d’apprécier l’origine professionnelle de l’inaptitude ». Cette précision revêt une importance pratique considérable. Elle signifie qu’un salarié peut obtenir les indemnités spéciales de licenciement même si la caisse refuse de reconnaître le caractère professionnel de l’accident, dès lors qu’il démontre devant le juge prud’homal que son inaptitude a au moins partiellement pour origine cet accident.

B. La compétence pleine du juge prud’homal en matière d’appréciation de l’origine professionnelle

La cour affirme expressément que « le juge prud’homal est compétent pour apprécier l’existence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ». Cette compétence s’exerce de manière autonome par rapport à celle des juridictions de sécurité sociale.

L’arrêt rappelle néanmoins que « lorsqu’un accident du travail ou une maladie professionnelle a été reconnu par la caisse primaire d’assurance maladie par une décision non remise en cause, cette décision s’impose au juge prud’homal ». Cette formulation appelle deux observations. D’une part, seule une décision définitive de reconnaissance lie le juge prud’homal. D’autre part, une décision de refus ne s’impose pas à lui.

Le régime probatoire diffère également selon l’état du contentieux de sécurité sociale. En cas de reconnaissance par la caisse, le juge prud’homal doit seulement vérifier le lien de causalité entre l’accident reconnu et l’inaptitude, ainsi que la connaissance par l’employeur de cette origine professionnelle. En cas de contestation ou de refus de la caisse, il lui appartient d’apprécier lui-même l’existence de l’accident du travail.

II. Le renversement de la présomption d’imputabilité soumis à une exigence probatoire élevée

La cour rappelle les conditions d’application de la présomption (A) avant de constater l’échec de l’employeur à la renverser (B).

A. L’application de la présomption d’imputabilité au malaise survenu aux temps et lieu du travail

La cour se fonde sur l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale selon lequel « l’accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail ». Elle constate que « la déclaration d’accident de travail établie le 4 juillet 2022 par l’employeur » mentionne que le 27 juin 2022 à 12h30, sur le « lieu de travail habituel », le salarié « a ressenti une douleur à la cage thoracique ainsi qu’une douleur dans le bras droit » alors qu’il effectuait des « préparations en cuisine ».

L’employeur lui-même avait déclaré que « l’accident a été constaté par l’employeur lui-même et que le témoin est le gérant lui-même ». Ces éléments établissent sans conteste que le malaise est survenu aux temps et lieu du travail, rendant applicable la présomption d’imputabilité.

Cette application de la présomption aux malaises cardiaques s’inscrit dans une jurisprudence établie. La Cour de cassation admet depuis longtemps qu’un infarctus survenu au travail bénéficie de la présomption d’imputabilité, sans que le salarié ait à démontrer un lien entre ses conditions de travail et la survenance du malaise. La charge de la preuve pèse sur celui qui conteste le caractère professionnel.

B. L’insuffisance des éléments invoqués pour établir une cause totalement étrangère au travail

Pour renverser la présomption, l’employeur doit établir que « la lésion a une cause totalement étrangère au travail ». La cour souligne l’exigence d’une cause « totalement » étrangère, ce qui constitue une condition particulièrement rigoureuse.

L’employeur invoquait plusieurs éléments : un état de fatigue préexistant à la prise de poste, le refus du salarié d’appeler les pompiers, le fait qu’il se soit rendu seul à l’hôpital, ainsi que ses antécédents médicaux (cancer du rein, tabagisme, diabète, surpoids). La cour écarte ces arguments en constatant qu’« aucun des éléments avancés par l’employeur ne permet d’établir que le malaise et les douleurs constatées le 27 juin 2022 ont une cause totalement étrangère au travail ».

L’argumentation de l’employeur se heurtait à un obstacle fondamental : l’existence d’un état pathologique antérieur ou de facteurs de risque personnels ne suffit pas à écarter la présomption d’imputabilité. La jurisprudence admet de longue date que l’accident du travail peut résulter de l’action du travail sur un état pathologique préexistant. Seule la démonstration que le travail n’a joué aucun rôle dans la survenance du dommage permettrait de renverser la présomption.

La cour relève également que le médecin du travail, dont l’employeur invoquait un courriel, n’avait « nullement » pris position sur l’imputabilité, se bornant à constater l’existence de pathologies multiples et à renvoyer à la caisse pour l’appréciation du caractère professionnel. Cette neutralité du médecin du travail privait l’employeur d’un élément susceptible de corroborer sa thèse.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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