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Cour d’appel de Nîmes, 5e chambre sociale, 01 juillet 2025. Saisie de l’appel d’un jugement de la formation de départage du conseil de prud’hommes de Nîmes rendu le 11 décembre 2023. Le litige concerne l’origine professionnelle d’une inaptitude ayant conduit à un licenciement ainsi que l’existence d’un manquement à l’obligation de sécurité.
Un salarié, métallier depuis 1989, a connu une altercation avec son chef d’atelier le 11 septembre 2020, suivie d’un arrêt de travail à compter du 29 septembre. La médecine du travail a déclaré l’intéressé inapte le 18 mai 2021. L’employeur a notifié un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 9 juin 2021. Le salarié a soutenu l’origine professionnelle de l’inaptitude et reproché à l’employeur un manquement à son obligation de sécurité, invoquant des conditions de travail dégradées et une réorganisation de poste. L’employeur a contesté tout manquement et toute connaissance d’une origine professionnelle au jour du licenciement.
Le premier juge a rejeté l’ensemble des demandes. La cour d’appel confirme les rejets relatifs à l’obligation de sécurité et au licenciement sans cause réelle ni sérieuse, mais infirme sur l’origine de l’inaptitude, qu’elle dit au moins partiellement professionnelle, et accorde les indemnités de l’article L. 1226-14 du code du travail. Elle retient, d’une part, que « Les règles applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude physique du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie » et, d’autre part, que « L’indemnité forfaitaire de l’article L. 1226-14 du code du travail n’ouvre pas droit à congés payés ». L’intérêt de l’arrêt réside dans l’articulation entre la reconnaissance de l’origine professionnelle, indépendamment des décisions de sécurité sociale, et la stricte délimitation de l’obligation de sécurité en l’absence de harcèlement caractérisé.
I. L’origine professionnelle de l’inaptitude: critères et preuve
A. Normes applicables et indépendance vis‑à‑vis de la protection sociale
La cour rappelle le cadre probatoire et substantiel gouvernant l’inaptitude d’origine professionnelle. Elle énonce que « En cas de contestation sur l’origine de l’inaptitude, la charge de la preuve incombe au salarié qui doit démontrer le lien de causalité entre l’inaptitude et l’accident de travail ou la maladie professionnelle mais également que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ». La solution place au centre l’exigence d’un double faisceau, causalité et connaissance, au jour de la rupture.
Elle dissocie clairement l’office du juge prud’homal de celui de la caisse, affirmant que « Il est rappelé que la non reconnaissance d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail par la caisse primaire d’assurance maladie est sans incidence sur l’appréciation par le juge prud’homal de l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude ». L’arrêt ajoute utilement que « De même, le fait que le salarié n’ait pas engagé de démarches aux fins de faire reconnaître le caractère professionnel de ses arrêts de travail est indifférent » et que « Le fait enfin que le médecin du travail n’ait pas remis le formulaire de demande d’indemnité temporaire d’inaptitude est sans emport ». L’édifice normatif ainsi posé autorise une reconnaissance judiciaire autonome de l’origine professionnelle, dès lors que les éléments médicaux et circonstanciels convergent et que l’employeur était informé.
B. Éléments de fait et connaissance de l’employeur au jour du licenciement
La motivation s’appuie sur un enchaînement temporel précis, une symptomatologie documentée et des informations portées à la connaissance de l’employeur avant la rupture. Un avis d’inaptitude motive que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ». Des éléments médicaux concordants décrivent une symptomatologie anxio-dépressive apparue dans les jours suivant l’arrêt du 29 septembre 2020, traitée durant plusieurs mois. La cour en déduit que « Il s’évince donc suffisamment de ce qui précède que la pathologie à l’origine de l’inaptitude est liée à l’activité professionnelle ». Elle ajoute, sur la connaissance, que les correspondances adressées à l’employeur avant le licenciement établissaient un lien allégué entre l’état de santé et les conditions de travail, de sorte que « Il devait dès lors respecter les règles protectrices propres aux salariés victimes d’un risque professionnel ».
La cour retient donc un lien au moins partiel entre inaptitude et contexte professionnel, tout en neutralisant la portée des mentions absentes des documents de la sécurité sociale. La solution convainc par sa cohérence probatoire et par son respect du principe protecteur, l’information préalable de l’employeur étant établie par des écrits circonstanciés et la continuité des événements. Elle confirme une approche finalisée de la preuve, attentive au vécu médical objectivé et à la chronologie des faits.
II. L’obligation de sécurité et les effets indemnitaires
A. Appréciation de l’absence de manquement dans un contexte conflictuel
Pour l’obligation de sécurité, la cour rappelle d’abord que « Il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié ». Elle précise cependant la limite essentielle du devoir de prévention, en retenant que « Mais l’employeur ne manque pas à son obligation de sécurité quand il ne pouvait anticiper le risque auquel le salarié a été exposé et qu’il a pris des mesures pour faire cesser la situation de danger ».
L’examen des faits conduit à écarter un harcèlement moral et à tenir la réorganisation matérielle pour légitime. L’altercation a été immédiatement apaisée, aucun autre incident n’étant caractérisé. La réaffectation d’un espace de travail, justifiée par l’installation d’une machine imposante selon les préconisations techniques, ne constituait pas une modification du contrat et ne révèle pas en soi un manquement. La cour souligne à cet égard que la réorganisation, opérée pour des raisons opérationnelles, « ne caractéris[ait] pas un manquement à l’obligation de sécurité ». Elle tranche ensuite sans ambiguïté: « Aucun élément matériel n’est établi laissant supposer une quelconque situation de harcèlement moral ». La distinction opérée est nette: l’inaptitude peut avoir une origine professionnelle sans que l’employeur ait, pour autant, failli à son obligation de sécurité lorsqu’il a réagi et que les risques n’étaient ni prévisibles ni répétés.
B. Conséquences pécuniaires: régime protecteur et limites
La reconnaissance de l’origine professionnelle produit ses effets propres sur les indemnités de rupture, sans entraîner la remise en cause du motif du licenciement. L’arrêt rappelle le mécanisme spécifique, accordant l’indemnité compensatrice visée par l’article L. 1226-14 et le doublement de l’indemnité légale de licenciement, abstraction faite d’une faute de l’employeur. Il précise encore la portée de l’indemnité forfaitaire: « L’indemnité forfaitaire de l’article L. 1226-14 du code du travail n’ouvre pas droit à congés payés ». Le salarié obtient ainsi une indemnisation complète au titre du régime protecteur, toutefois sans préjudice autonome pour exécution déloyale, faute de faute rapportée.
Cette dissociation conforte la structure du droit positif. Le régime de l’inaptitude d’origine professionnelle demeure d’ordre public social et s’applique dès la double démonstration du lien et de la connaissance. À l’inverse, la mise en jeu de l’obligation de sécurité exige des éléments objectifs de manquement dans l’évaluation du risque et des mesures de prévention. En l’espèce, la cour préserve la logique protectrice par l’indemnisation spécifique tout en refusant de transformer un conflit ponctuel et une réorganisation justifiée en manquement fautif. L’arrêt propose ainsi une ligne claire, articulant protection et responsabilité sans les confondre, et assurant l’équilibre du contentieux de l’inaptitude.