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L’obligation de délivrance pesant sur le bailleur constitue l’un des piliers du droit locatif, imposant la remise d’un logement décent et son maintien en état de servir. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nîmes le 10 juillet 2025 illustre la répartition des charges entre bailleur et locataire lorsque des désordres affectent le bien loué.
Un contrat de location meublée avait été conclu le 12 mai 2010 portant sur une villa de type 5. Par acte de donation du 16 juin 2012, le bien avait été transmis à deux donataires, devenus bailleurs aux côtés du donateur. Le 5 novembre 2021, les locataires assignèrent les propriétaires devant le tribunal de proximité pour contester la qualification de bail meublé et dénoncer l’absence d’entretien du logement. Par jugement du 24 mai 2022, le tribunal requalifiait le contrat en bail d’habitation vide soumis à la loi du 6 juillet 1989, mais déboutait les locataires de leurs demandes relatives au défaut d’entretien. Les locataires interjetèrent appel. Par arrêt mixte du 7 décembre 2023, la cour confirmait la requalification et ordonnait une expertise judiciaire.
Le rapport d’expertise, déposé le 22 novembre 2024, relevait plusieurs désordres qualifiés de « désagréments » : défauts affectant les volets, peintures extérieures dégradées, jeu dans la rampe d’escalier, niveau sonore excessif de la VMC et infiltrations d’eau diverses. Les locataires sollicitaient la condamnation des bailleurs à réaliser les travaux sous astreinte et réclamaient une réduction de loyer de 400 euros mensuels depuis novembre 2020. Les bailleurs soutenaient que le logement était décent et que les désordres relevaient soit des réparations locatives, soit d’un défaut d’entretien imputable aux locataires.
La question posée à la cour était de déterminer si les désordres constatés par l’expert relevaient de l’obligation de délivrance du bailleur ou des réparations locatives incombant aux locataires, et si ces désordres justifiaient l’allocation d’une indemnité pour trouble de jouissance.
La Cour d’appel de Nîmes infirme le jugement en ce qu’il avait écarté tout manquement des bailleurs. Elle condamne ces derniers in solidum à réaliser les travaux préconisés par l’expert dans un délai de six mois, sous astreinte de 35 euros par jour de retard. Elle leur alloue également une somme de 3 540 euros au titre du préjudice de jouissance et prononce une réduction du loyer de 60 euros mensuels jusqu’à l’achèvement des travaux.
L’arrêt opère une distinction rigoureuse entre les réparations locatives et l’obligation de délivrance du bailleur (I), avant de préciser les modalités d’indemnisation du trouble de jouissance subi par les locataires (II).
I. La délimitation précise des obligations respectives du bailleur et du locataire
La cour procède à un examen méthodique de chaque désordre pour déterminer s’il relève de l’entretien courant à la charge du locataire ou de l’obligation de délivrance incombant au bailleur (A), puis qualifie juridiquement les infiltrations et défauts structurels comme relevant exclusivement du bailleur (B).
A. L’application stricte du décret du 26 août 1987 aux désordres affectant les volets et peintures
La cour rappelle que selon l’article 1719 du code civil et l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, « le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé ». Elle ajoute, en application de l’article 1720 du code civil, que le bailleur « doit y faire pendant la durée du bail toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires autres que locatives ».
S’agissant des volets, l’expert avait constaté « la présence sur certains d’entre eux d’un degré d’usure anormal, particulièrement en partie basse où le bois est partiellement endommagé » ainsi qu’« une fissuration marquée au droit des scellements ». Les bailleurs soutenaient que ces réparations relevaient du décret du 26 août 1987 relatif aux réparations locatives. La cour écarte cette argumentation en relevant que l’annexe dudit décret ne met à la charge des locataires que « le graissage des gonds et les menues réparations des gonds », le remplacement de lames n’étant prévu que pour les « dispositifs d’occultation de la lumière tels que stores et jalousies ». Elle en conclut que « les locataires n’ont aucunement la charge de l’entretien du bois et des peintures des volets pas plus que du dispositif de fixation et de scellement au mur, qui relèvent de l’obligation du bailleur ».
La même rigueur s’applique aux peintures extérieures. Le décret ne vise les peintures qu’au titre des « parties intérieures », imposant aux locataires de « maintenir les murs intérieurs en état de propreté et procéder aux menus raccords de peinture ». La cour en déduit logiquement que « les locataires n’ont aucunement la charge de l’entretien des peintures en extérieur, qui relève de l’obligation du bailleur ».
Cette interprétation littérale du décret du 26 août 1987 s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse toute extension du domaine des réparations locatives au-delà des termes exprès du texte réglementaire. Le caractère limitatif de l’énumération protège le locataire contre des mises à charge indues.
B. La qualification des désordres structurels et techniques comme relevant du bailleur
La rampe d’escalier présentait du jeu. La cour invoque le décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent, dont l’article 2 prévoit que « les dispositifs de retenue des personnes dans le logement et ses accès tels que les escaliers sont dans un état conforme à leur usage ». Elle estime qu’« un tel contrôle ne relève aucunement des locataires mais bien des propriétaires qui doivent assurer la sécurité du logement », alors même que l’expert n’avait pas retenu de manquement caractérisé à la sécurité physique.
Concernant la VMC, l’expert avait mesuré un niveau sonore de 67 décibels procurant « une certaine nuisance dans la pièce de vie ». Les bailleurs reprochaient aux locataires de n’avoir formulé aucune doléance pendant dix ans. La cour écarte cet argument en relevant que l’expertise avait été ordonnée pour constater les désordres existants et que « le fait que les locataires ne se soient pas plaints précédemment de nuisances sonores liées à l’utilisation de la VMC ne fait pas obstacle à ce que ces derniers demandent qu’il soit mis fin à ce désordre ». Elle précise que « le changement de la VMC ou son encoffrage ne relèvent pas de l’entretien courant ou des menues réparations affectant les appareils de conditionnement d’air ou conduits de ventilation pesant sur les locataires ».
Les infiltrations d’eau constituaient le point le plus débattu. L’expert avait identifié trois origines : un dégât des eaux réparé, des infiltrations par les menuiseries dues à « une altération de la jonction menuiserie/maçonnerie », et des remontées capillaires liées à « une absence de barrière d’étanchéité au niveau du sol ». Les bailleurs invoquaient le décret du 26 août 1987 prévoyant que la réfection des mastics relève des locataires. La cour distingue nettement : « le rapport d’expertise n’évoque pas un problème de joint affectant la fenêtre mais une altération de la jonction menuiserie/maçonnerie, affectant la structure du bâtiment en extérieur, une telle reprise n’incombant pas aux locataires ».
Cette analyse témoigne d’une lecture fonctionnelle de la distinction entre réparations locatives et obligation de délivrance. Dès lors que le désordre affecte la structure ou les équipements fixes du bâtiment, il échappe à la sphère des menues réparations.
II. L’indemnisation modulée du trouble de jouissance
La cour reconnaît l’existence d’un trouble de jouissance justifiant réparation (A), tout en adoptant une méthode d’évaluation tenant compte de la nature relative des désordres et de leur évolution chronologique (B).
A. La reconnaissance d’un manquement à l’obligation de délivrance générateur de préjudice
La cour affirme sans ambiguïté qu’« il est établi un manquement du bailleur à son obligation de délivrance et dès lors un trouble de jouissance occasionné aux locataires qui doit être indemnisé ». Elle rattache ainsi le préjudice directement au manquement contractuel, conformément à la conception classique de l’obligation de délivrance comme obligation de résultat.
Les locataires sollicitaient une réduction de loyer de 400 euros mensuels, soit plus de la moitié du loyer fixé à 750 euros. La cour rejette cette prétention excessive. Elle prend en compte le fait que l’expert avait lui-même qualifié les désordres de simples « désagréments » plutôt que de véritables désordres graves. Le logement remplissait au demeurant les normes de décence, ce que l’expert avait expressément constaté.
La cour déboute également les bailleurs de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. Elle rappelle que « l’exercice d’une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que dans des circonstances le rendant fautif telles que la malice, la mauvaise foi ou une erreur grossière, non démontrées en l’espèce ». La procédure ayant abouti à la requalification du bail et à la condamnation des bailleurs, elle ne saurait être qualifiée d’abusive.
B. Une évaluation du préjudice proportionnée à la gravité relative des désordres
La cour adopte une méthode d’évaluation originale en distinguant deux périodes. Pour la période écoulée, du 20 août 2020 au prononcé de l’arrêt, elle fixe le trouble de jouissance « à 8% du loyer, soit une somme de 60 euros par mois sur 59 mois », aboutissant à une condamnation de 3 540 euros. Pour l’avenir, elle prononce « une réduction du loyer, indiqué à 750 euros par mois à hauteur de 8%, soit 60 euros par mois et ce jusqu’à la réalisation effective des travaux ».
Plusieurs éléments justifient cette modération. La cour relève qu’il convient de « tenir compte de l’évolution des désordres dans le temps, de la date à laquelle les locataires les ont évoqués mais également leur nature ». Elle observe que certains désordres, notamment ceux relatifs aux peintures extérieures et à la VMC, « n’ont été évoqués qu’au stade de l’expertise dont les opérations ont débuté en avril 2024 ». Le dégât des eaux initial avait été réparé dès octobre 2021.
Cette approche chronologique et proportionnée témoigne du souci de la cour de ne pas transformer l’indemnisation du trouble de jouissance en une sanction punitive. Le pourcentage de 8% retenu correspond à une gêne réelle mais modérée, conforme à la qualification de « désagréments » opérée par l’expert. La distinction entre indemnisation du préjudice passé et réduction du loyer futur assure une réparation intégrale tout en maintenant une pression sur les bailleurs pour qu’ils exécutent les travaux ordonnés sous astreinte.
L’arrêt illustre ainsi l’équilibre recherché par la jurisprudence entre la protection effective du droit du locataire à jouir d’un logement conforme à sa destination et le refus de sanctionner excessivement des manquements qui, sans compromettre la décence du logement, en altèrent modérément le confort.