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Un salarié ayant subi une amputation du pouce gauche lors de son travail de chauffeur-rippeur le 28 janvier 2020 entendait faire reconnaître la faute inexcusable de celui qu’il estimait être son employeur. La pince d’un lève-conteneur, équipant le véhicule-benne qu’il utilisait, lui avait sectionné le doigt au niveau de l’ongle. La caisse primaire d’assurance maladie avait pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle et lui avait attribué un taux d’incapacité permanente partielle de quinze pour cent après consolidation.
Le salarié avait initialement saisi la juridiction de sécurité sociale aux fins de voir juger que l’accident trouvait son origine dans une faute inexcusable de l’employeur. Il avait dirigé son action contre une société par actions simplifiée dont le siège se situait dans la même ville que son lieu de travail, estimant qu’elle constituait l’établissement secondaire du groupe pour lequel il travaillait depuis 2005. Le tribunal judiciaire de Nîmes, par jugement du 21 décembre 2023, avait rejeté sa demande de reconnaissance de faute inexcusable. Le salarié interjeta appel de cette décision.
Devant la cour d’appel de Nîmes, la société mise en cause sollicitait sa mise hors de cause, faisant valoir qu’elle n’avait jamais eu la qualité d’employeur du salarié. Elle produisait le contrat de travail, l’avenant et les bulletins de salaire désignant une autre entité juridique comme employeur. Le salarié soutenait quant à lui que la société intimée constituait un établissement secondaire de son employeur, ou subsidiairement qu’elle devait répondre au titre de la théorie de l’apparence.
La question posée à la cour d’appel de Nîmes était de déterminer si une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur pouvait être valablement dirigée contre une société juridiquement distincte de l’employeur contractuel, au motif qu’elle constituerait un établissement secondaire ou qu’elle bénéficierait d’une apparence d’employeur.
La cour d’appel de Nîmes, par arrêt du 11 septembre 2025, infirme partiellement le jugement et ordonne la mise hors de cause de la société intimée. Elle relève que « la seule entité désignée en qualité d’employeur est la société [dont le siège social] est situé à [une autre ville] » et que la société assignée « ne bénéficie pas du statut d’établissement secondaire » de l’employeur véritable, leurs numéros d’identification étant « totalement distincts ».
I. L’identification rigoureuse de l’employeur dans l’action en faute inexcusable
La détermination de l’employeur véritable conditionne la recevabilité même de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable. La cour procède à une analyse méthodique des éléments d’identification.
A. Le critère formel de l’immatriculation comme élément déterminant
La cour d’appel de Nîmes fonde son raisonnement sur la comparaison des numéros d’identification des personnes morales. Elle constate que la société assignée possède un numéro SIRET « totalement distinct » de celui de l’employeur contractuel et de ses établissements secondaires. Cette approche formelle présente l’avantage de la sécurité juridique en s’appuyant sur des données objectives et vérifiables.
La cour relève également que l’établissement secondaire authentique de l’employeur dans la ville concernée dispose d’une adresse et d’un numéro d’identification différents de ceux de la société assignée. Elle note que le numéro SIRET des établissements secondaires de l’employeur « commencent tous par » le même radical, distinct de celui de la société mise en cause. Cette analyse confirme l’autonomie juridique des deux entités.
Le recours au critère de l’immatriculation s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue les établissements secondaires, dépourvus de personnalité morale distincte, des filiales constituant des entités juridiques autonomes. L’appartenance à un même groupe économique ne suffit pas à confondre les personnalités juridiques. La cour fait ainsi prévaloir la réalité juridique formelle sur les apparences organisationnelles.
B. La cohérence des documents contractuels avec l’identité de l’employeur
La cour examine l’ensemble de la documentation encadrant la relation de travail. Elle relève que le contrat de travail, l’avenant et les bulletins de salaire désignent systématiquement une même société comme employeur. Cette cohérence documentaire établit sans ambiguïté l’identité du cocontractant du salarié.
La cour souligne par ailleurs que la déclaration d’accident du travail « a été effectuée par la société [employeur], domiciliée à [son siège] ». De même, le procès-verbal de carence établi lors de la tentative de conciliation amiable « mentionne dans l’exposé des faits comme employeur » cette même société. Ces éléments démontrent que tant l’organisme social que les parties avaient correctement identifié l’employeur avant l’introduction de l’instance judiciaire.
L’attribution du marché public de collecte des déchets, sur lequel travaillait le salarié lors de l’accident, avait également été consentie à l’employeur contractuel. La cour note que « c’était bien la société [employeur] qui intervenait à [la commune concernée] pour collecter les déchets ». Cette circonstance confirme que l’activité exercée par le salarié relevait directement de cet employeur et non de la société assignée.
II. Le rejet de la théorie de l’apparence en matière de détermination de l’employeur
Le salarié invoquait subsidiairement la théorie de l’apparence pour justifier son action contre la société qu’il avait assignée. La cour écarte cette argumentation en examinant les conditions d’application de cette théorie.
A. L’exigence d’une croyance légitime fondée sur des éléments objectifs
La théorie de l’apparence, issue de l’adage « error communis facit jus », permet dans certaines situations de faire produire des effets juridiques à une situation qui ne correspond pas à la réalité. Son application suppose toutefois que le tiers ait pu légitimement croire à cette apparence trompeuse en raison d’éléments objectifs.
La cour refuse d’appliquer cette théorie en relevant qu’« aucun des documents contractuels qui le lie à son employeur ne mentionne la société [assignée] ». Le salarié disposait de l’ensemble des pièces permettant d’identifier correctement son employeur : contrat de travail, avenant, bulletins de salaire. Ces documents désignaient clairement une autre entité juridique.
Les arguments avancés par le salarié tenant à l’identité de logo ou à la localisation du siège social à la même adresse ne suffisent pas à caractériser une apparence légitime. La communauté d’image entre sociétés d’un même groupe constitue une pratique commerciale courante qui ne peut créer de confusion quant à l’identité juridique des entités. Le salarié, en possession de documents explicites, ne pouvait raisonnablement se méprendre sur l’identité de son cocontractant.
B. Les conséquences processuelles de l’erreur sur la personne de l’employeur
La mise hors de cause de la société assignée emporte des conséquences significatives pour le salarié. La cour, après avoir ordonné cette mise hors de cause, « déboute [le salarié] de l’ensemble de ses demandes ». L’action en reconnaissance de la faute inexcusable se trouve ainsi privée d’effet à l’égard de la société qui n’est pas l’employeur.
Cette solution s’impose au regard du caractère personnel de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur. Seul celui qui détient le pouvoir de direction et qui organise les conditions de travail peut être tenu d’une faute inexcusable. Une société tierce, même appartenant au même groupe, ne saurait se voir imputer un manquement à une obligation dont elle n’est pas débitrice.
La rigueur de cette solution s’explique par la nature même de l’action en faute inexcusable. Celle-ci constitue une action en responsabilité dirigée contre l’employeur et visant à obtenir une majoration des indemnités ainsi que la réparation de préjudices complémentaires. La désignation exacte du débiteur de l’obligation de sécurité conditionne l’existence même du droit à réparation invoqué.
L’arrêt de la cour d’appel de Nîmes rappelle ainsi l’importance fondamentale de l’identification correcte de l’employeur préalablement à toute action en reconnaissance de la faute inexcusable. Les structures complexes des groupes de sociétés ne sauraient dispenser le salarié de cette vérification élémentaire. La personnalité morale distincte des entités composant un groupe demeure un principe cardinal du droit des sociétés que le droit de la sécurité sociale ne peut ignorer.