Cour d’appel de Nîmes, le 11 septembre 2025, n°24/02228

La Cour d’appel de Nîmes, 11 septembre 2025, se prononce sur la qualification de faute inexcusable à la suite d’un accident du travail. Un salarié, maçon, a été blessé le 12 mars 2019 par le glissement d’un plateau d’échafaudage roulant, selon la déclaration d’accident établie le lendemain. L’organisme compétent a pris en charge l’accident, la consolidation est intervenue le 26 mars 2021 et un taux d’incapacité permanente partielle de 11 % a été fixé. Le salarié a agi pour voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur; le pôle social a rejeté la demande le 6 juin 2024; appel a été formé. La cour a joint les procédures et a confirmé le jugement, déboutant l’appelant de ses demandes indemnitaires et d’expertise, ainsi que de sa demande de provision. L’appelant réclamait la majoration prévue à l’article L.452-2, l’évaluation de préjudices personnels par expertise, et une provision; l’employeur contestait tout manquement. La question tranchée portait sur la réunion des critères cumulatifs de la faute inexcusable, au regard d’un scénario d’accident demeuré controversé et de mesures de prévention alléguées. Constatant l’incertitude des faits et l’existence de démarches préventives, la juridiction confirme l’absence de faute inexcusable et rejette les demandes accessoires. L’analyse du cadre normatif puis du contrôle concret des diligences permet d’apprécier la portée de cette confirmation.

I – Le cadre normatif et probatoire de la faute inexcusable retenu

A – Définition jurisprudentielle et paramètres d’appréciation

La cour réaffirme la définition de principe: « le manquement à cette obligation légale de sécurité et de protection de la santé a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Cette formule rappelle la nature cumulative des exigences, mêlant connaissance du risque, appréciée objectivement, et insuffisance des mesures prises.

Elle précise encore que « la conscience du danger exigée de l’employeur s’apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d’activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations, la jurisprudence se référant à l’entrepreneur avisé et averti et au risque raisonnablement prévisible ». Le standard retenu ne dépend donc pas d’une subjectivité particulière, mais d’une norme professionnelle, ancrée dans la prévisibilité raisonnable du risque.

Le contrôle judiciaire s’attache à l’efficacité des diligences de prévention et non à la gravité morale d’une négligence: « Le juge n’a pas à s’interroger sur la gravité de la négligence de l’employeur mais doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l’efficacité de la mesure que l’employeur a prise ou aurait dû prendre ». Le raisonnement se concentre ainsi sur la suffisance opérationnelle des mesures au moment de l’exposition.

B – Charge de la preuve et incertitude factuelle

La cour inscrit son analyse dans un schéma probatoire strict: « Enfin, une relation de causalité entre les manquements susceptibles d’être imputés à l’employeur et la survenance de l’accident doit exister, à défaut de laquelle la faute inexcusable ne peut être retenue. Ainsi, la faute inexcusable ne peut être retenue si les circonstances de l’accident sont indéterminées ». L’exigence de causalité objective conditionne l’engagement de responsabilité complémentaire.

Sur pièces, la formation relève que « les circonstances de l’accident sont particulièrement imprécises, la cour étant dans l’incapacité de déterminer au vu des contradictions entre les différentes pièces produites si l’échafaudage s’est écroulé ou si un plateau de celui-ci est tombé ». Le déficit de précision, accentué par des témoignages divergents, fragilise la démonstration d’un lien entre une carence imputable et la survenance du dommage.

Dès lors, la charge de la preuve demeure sur la victime, hors hypothèses de présomption; la réunion des deux critères, conscience du danger et défaut de mesures, doit être objectivée par des éléments concordants, ce qui fait ici défaut. Ce cadre commande l’examen des diligences concrètes retenues comme suffisantes par la cour.

II – L’appréciation des mesures de prévention et la portée de la solution

A – Des diligences caractérisées jugées suffisantes

La cour relève plusieurs éléments de prévention et de conformité: procès-verbal de vérification avant mise en service de l’échafaudage du 4 mars 2019, plan de prévention interne référençant l’usage d’échafaudages roulants, formations à la sécurité dispensées à l’encadrement, achats d’équipements de protection et note de service rendant leur port obligatoire. Ces pièces, combinées à l’incertitude sur le mécanisme exact de la chute, affaiblissent l’allégation d’un défaut structurel ou organisationnel.

Cette appréciation s’inscrit dans le principe rappelé par l’arrêt: « Ainsi, ne commet pas une faute inexcusable l’employeur qui a mis à disposition des salariés tous les moyens leur permettant de travailler dans des conditions de sécurité satisfaisantes, aussi bien les moyens de protection individuelle, que les moyens de prévention à travers des stages de formation permettant de sensibiliser le personnel à la sécurité ». Au regard du dossier, la juridiction estime ce seuil atteint.

La conclusion s’en déduit sans détour, la preuve cumulative n’étant pas rapportée: « il n’était caractérisé aucune faute inexcusable de l’employeur ». En l’absence d’insuffisance préventive démontrée et de reconstitution assurée du fait générateur, l’action indemnitaire spécifique ne prospère pas.

B – Valeur et portée: exigences de traçabilité et vigilance sur l’effectivité

La solution s’accorde avec le droit positif, qui articule un standard in abstracto de vigilance et un contrôle d’effectivité des mesures. Elle rappelle qu’un corpus de prévention cohérent, documenté et actualisé, conjugué à une absence d’anomalie constatée du matériel, constitue un faisceau probant suffisant pour écarter la faute inexcusable, sauf preuve contraire précise et circonstanciée. La décision conforte ainsi une lecture exigeante des critères cumulatifs, centrée sur des éléments objectivables.

Cette rigueur probatoire appelle toutefois une vigilance sur l’effectivité des dispositifs. La conformité documentaire ne vaut pas nécessairement appropriation par chaque opérateur, notamment lors de manipulations sensibles comme le déplacement d’échafaudages roulants. L’arrêt invite, en creux, à renforcer la traçabilité nominale des formations, la preuve du port effectif des équipements, et la surveillance des manœuvres interdites, afin de prévenir les angles morts de l’administration de la preuve.

La portée pratique de l’arrêt est d’abord d’espèce, marquée par l’incertitude des circonstances; néanmoins, il réaffirme utilement que le juge « contrôle […] la pertinence et l’efficacité » des mesures, non leur solennité. Les employeurs sont incités à documenter et à adapter en continu leurs dispositifs; les victimes doivent, lorsque c’est possible, conserver immédiatement des éléments précis de contexte pour établir la causalité d’un manquement. L’équilibre ainsi fixé entre prévention démontrée et exigence de preuve guide la solution retenue par la Cour d’appel de Nîmes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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