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La majoration salariale des congés dits prépositionnés, résultant d’un accord d’entreprise applicable aux salariés postés, soulève des difficultés récurrentes d’interprétation et de mise en œuvre. La Cour d’appel de Nîmes, par un arrêt du 23 juin 2025, apporte des éclaircissements utiles sur les conditions d’indemnisation du salarié privé du bénéfice effectif de cette majoration.
Un salarié avait été engagé en qualité d’opérateur à compter du 8 décembre 2014 par une société relevant de la convention collective nationale des industries de fabrication mécanique du verre. Affecté à un poste en cycle de cinq semaines, il bénéficiait, en application d’un accord d’entreprise du 31 mars 2005, de trente et un jours de congés payés dont onze jours qualifiés de prépositionnés. Le salarié soutenait que ces onze jours n’avaient jamais été rémunérés conformément aux stipulations conventionnelles et n’apparaissaient ni sur ses bulletins de paie ni sur les plannings annuels.
Il saisit le conseil de prud’hommes de Nîmes, d’abord en référé puis au fond le 19 octobre 2020, sollicitant la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire. Par jugement du 2 juin 2022, le conseil de prud’hommes considéra que l’employeur n’avait pas permis au salarié de bénéficier de la majoration des congés prépositionnés au même taux que les congés payés ordinaires. Il condamna la société au paiement de la somme de 795,70 euros au titre de cette majoration, de 1 500 euros de dommages et intérêts ainsi que de 300 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ordonnant en outre la rectification des bulletins de paie sur les trois dernières années. L’employeur interjeta appel le 29 juin 2022.
Par un premier arrêt du 18 novembre 2024, la cour d’appel confirma que le salarié avait bien bénéficié des onze jours prépositionnés rémunérés. Elle débouta le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour violation du temps de repos hebdomadaire et de l’obligation d’information. Concernant la majoration des jours prépositionnés, elle ordonna la réouverture des débats aux fins de production par les parties d’un décompte sur la base d’un taux d’indemnisation de 22 % du taux horaire mensuel.
La question soumise à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer le quantum du rappel de salaire dû au titre de la majoration des jours prépositionnés. Il convenait ensuite d’apprécier si le retard de paiement de cette majoration ouvrait droit à des dommages et intérêts distincts.
La Cour d’appel de Nîmes confirme le jugement en ce qu’il a retenu le manquement de l’employeur quant à la majoration des congés prépositionnés. Elle réforme cependant le quantum de la condamnation, fixant le rappel de salaire à 2 254,91 euros bruts. Elle déboute le salarié de sa demande de dommages et intérêts en l’absence de démonstration d’un préjudice spécifique et de la mauvaise foi de l’employeur.
L’arrêt mérite examen tant au regard de la consécration du droit à majoration des congés prépositionnés (I) que des conditions restrictives posées à l’indemnisation complémentaire du salarié (II).
I. La consécration du droit à majoration des congés prépositionnés
L’arrêt confirme l’existence d’un droit à majoration au profit des salariés postés (A) et en précise les modalités de calcul (B).
A. La reconnaissance d’un droit spécifique aux salariés postés
L’accord d’entreprise du 31 mars 2005 instituait au profit des salariés postés un régime particulier de congés comportant onze jours dits prépositionnés. Ces jours constituent un avantage conventionnel distinct des congés payés légaux, destiné à compenser les contraintes inhérentes au travail posté en cycle. La cour d’appel, confirmant l’analyse des premiers juges, retient que l’employeur « n’a pas permis [au salarié] de bénéficier de la majoration des congés payés prépositionnés au même taux que les congés payés ».
Cette formulation établit clairement que les jours prépositionnés doivent être rémunérés selon des modalités au moins équivalentes à celles des congés payés ordinaires. L’employeur ne peut se contenter de rémunérer ces jours au taux de base. Il doit y appliquer la majoration conventionnellement prévue. Le manquement à cette obligation constitue une faute ouvrant droit à rappel de salaire.
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante selon laquelle les avantages conventionnels doivent être effectivement appliqués. L’employeur ne saurait se prévaloir d’une pratique contraire aux stipulations de l’accord d’entreprise, fût-elle ancienne. Le salarié est fondé à réclamer le bénéfice intégral des droits que lui confèrent les accords collectifs applicables.
B. La détermination du quantum de la créance salariale
La cour, par son arrêt du 18 novembre 2024, avait fixé le taux d’indemnisation à 22 % du taux horaire mensuel. Elle avait ordonné aux parties de produire un décompte couvrant les trois années précédant la saisine du conseil de prud’hommes ainsi que les sommes échues depuis. L’employeur produit un décompte faisant apparaître un solde de 2 254,91 euros bruts. La cour relève que ce décompte n’est « pas contesté » par le salarié.
Cette absence de contestation emporte des conséquences procédurales déterminantes. Le salarié réclamait à titre principal une somme de 12 347,96 euros bruts au titre des congés prépositionnés prétendument non pris. La cour écarte cette demande, celle-ci ayant été définitivement rejetée par l’arrêt du 18 novembre 2024 confirmant que le salarié avait bien bénéficié des onze jours prépositionnés. Seule demeure en litige la question de la majoration.
Le décompte de l’employeur, accepté par le salarié, devient ainsi la base de la condamnation prononcée. La cour réforme le jugement qui avait limité le rappel à 795,70 euros. Elle porte la condamnation à 2 254,91 euros bruts, somme correspondant au décompte actualisé tenant compte de la période écoulée depuis la saisine initiale. Cette solution illustre l’importance pour les parties de produire des éléments chiffrés précis lors des réouvertures de débats ordonnées par la juridiction.
II. Les conditions restrictives de l’indemnisation complémentaire
La cour subordonne l’allocation de dommages et intérêts à la démonstration cumulative d’un préjudice spécifique et de la mauvaise foi de l’employeur (A), ce qui conduit au rejet des demandes indemnitaires du salarié (B).
A. L’exigence cumulative d’un préjudice spécifique et de la mauvaise foi
La cour fonde son analyse sur l’article 1231-6 du code civil dont elle cite expressément l’alinéa 3. Ce texte dispose que « le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ». La cour en déduit deux conditions cumulatives : l’existence d’un préjudice spécifique distinct du retard de paiement et la mauvaise foi de l’employeur.
Cette double exigence traduit une conception restrictive du préjudice réparable en matière de retard de paiement. Le retard lui-même est indemnisé par les intérêts moratoires qui courent de plein droit. Ces intérêts constituent la réparation forfaitaire du préjudice causé par le défaut de paiement à l’échéance. Le salarié souhaitant obtenir une indemnisation supplémentaire doit établir qu’il a subi un préjudice distinct, qui ne se confond pas avec la simple privation temporaire des sommes dues.
La référence à la mauvaise foi renforce ce caractère restrictif. Il ne suffit pas que l’employeur ait manqué à ses obligations. Le salarié doit démontrer que ce manquement procède d’une intention de nuire ou d’une résistance abusive et consciente. Cette exigence protège l’employeur qui, de bonne foi, a pu se méprendre sur l’interprétation des stipulations conventionnelles.
B. Le rejet de la demande indemnitaire du salarié
La cour constate qu’« il n’est pas démontré l’existence d’un préjudice spécifique ni la mauvaise foi de l’employeur ». Ce double constat justifie le rejet de la demande de dommages et intérêts présentée par le salarié. Le jugement qui avait alloué 1 500 euros à ce titre est réformé sur ce point.
Cette solution peut sembler sévère pour le salarié privé pendant plusieurs années d’une partie de sa rémunération. Le conseil de prud’hommes avait adopté une approche plus favorable en retenant l’existence d’un préjudice sans exiger la démonstration de la mauvaise foi. La cour d’appel revient à une application stricte des textes civils régissant la responsabilité contractuelle.
La rigueur de cette position se trouve néanmoins tempérée par l’allocation d’intérêts moratoires courant à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation. La cour ordonne en outre la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil. Ces mécanismes assurent une réparation du préjudice financier subi par le salarié du fait du retard de paiement, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une indemnisation distincte dont les conditions ne sont pas réunies.