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La distinction entre le contrat d’agent commercial et le contrat de travail constitue une question récurrente en droit social, particulièrement dans le secteur de l’immobilier où le recours aux intermédiaires indépendants s’est considérablement développé. La Cour d’appel de Nîmes, par un arrêt du 23 juin 2025, apporte une illustration significative de cette problématique en confirmant le rejet de la requalification sollicitée par un négociateur immobilier.
En l’espèce, un individu avait conclu le 27 août 2020 un contrat d’agent commercial avec une société exploitant une agence immobilière sous l’enseigne d’un réseau national, pour une durée indéterminée à compter du 14 septembre 2020. L’intéressé s’était préalablement immatriculé au registre spécial des agents commerciaux dès le 24 août 2020 en qualité d’auto-entrepreneur. La société avait financé sa formation de qualification conseiller en immobilier, moyennant un engagement de collaboration de trois années assorti d’une clause de remboursement en cas de départ anticipé. Le 14 avril 2022, l’agent commercial a mis fin à la relation contractuelle sans invoquer alors l’existence d’un quelconque lien salarial.
L’intéressé a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes le 27 mars 2023 aux fins de voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail depuis le 14 septembre 2020. Par jugement de départage du 2 décembre 2024, la juridiction s’est déclarée incompétente au profit du tribunal de commerce en raison de l’absence de relation de travail salariée et a débouté le demandeur de l’ensemble de ses prétentions. Appel a été interjeté le 13 décembre 2024. L’appelant soutenait qu’il avait exercé son activité dans un lien de subordination caractérisé par des obligations de présence, des directives et des sanctions déguisées. Les intimés, tant le liquidateur judiciaire de la société que les organismes de garantie des salaires, opposaient la présomption de non-salariat attachée à l’immatriculation de l’intéressé et l’absence de tout élément établissant un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction.
La question posée à la Cour d’appel de Nîmes était de déterminer si un agent commercial immatriculé, bénéficiant des outils et de l’infrastructure d’un réseau d’agences immobilières, peut renverser la présomption légale de non-salariat et obtenir la requalification de sa relation contractuelle en contrat de travail.
La Cour confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Elle retient que l’intéressé a signé le contrat d’agent commercial en toute connaissance de cause après avoir procédé lui-même à son inscription aux registres professionnels. Elle juge que s’il a bénéficié de l’infrastructure de la société et des moyens informatiques et matériels pour effectuer sa mission, il ne justifie d’aucune contrainte inhérente à un contrat de travail, demeurant libre dans l’organisation de son travail.
Cette décision mérite analyse tant au regard du mécanisme probatoire de renversement de la présomption de non-salariat (I) qu’au regard de l’appréciation des indices du lien de subordination dans le secteur immobilier (II).
I. Le mécanisme probatoire du renversement de la présomption légale de non-salariat
L’arrêt rappelle d’abord le cadre juridique applicable à la présomption de non-salariat (A), avant de mettre en évidence l’exigence d’une preuve positive du lien de subordination (B).
A. Le rappel du cadre juridique de la présomption de non-salariat
La Cour d’appel de Nîmes fonde son analyse sur l’article L. 8221-6 du code du travail, qu’elle reproduit dans son intégralité. Ce texte établit que « sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation » notamment les personnes physiques immatriculées au registre des agents commerciaux. L’arrêt précise que « l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ».
La Cour rappelle également la définition jurisprudentielle classique du contrat de travail en énonçant que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait, dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ». Elle précise que « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements ». Elle ajoute que « l’intégration dans un service organisé constitue un indice du lien de subordination lorsque les conditions de travail sont unilatéralement déterminées par le cocontractant ».
Ce rappel méthodique des règles applicables témoigne d’une approche rigoureuse. La Cour articule ainsi le droit spécial de la présomption légale avec le droit commun de la qualification contractuelle.
B. L’exigence d’une preuve positive du lien de subordination
L’arrêt se distingue par la rigueur avec laquelle il apprécie les éléments de preuve soumis par l’appelant. La Cour relève qu’« il est vrai que M. [K] ne démontre pas, contrairement à ses allégations, qu’il était tenu à des horaires, aucun planning ou horaire imposé n’est produit, que sa présence hors réunion des agents commerciaux était obligatoire, que ses modalités de rémunération ont été modifiées unilatéralement par la société ».
Cette formulation révèle l’insuffisance probatoire opposable à celui qui entend renverser la présomption légale. L’intéressé avait certes invoqué de nombreux indices, notamment l’obligation d’assister à des réunions les lundis, mardis et jeudis, la nécessité d’assurer des permanences à l’agence, l’envoi de SMS de contrôle par la dirigeante. Toutefois, la Cour constate l’absence de tout élément matériel corroborant ces affirmations. Ni planning, ni relevé d’horaires, ni échange écrit contraignant n’ont été produits aux débats.
La décision souligne également que l’intéressé a volontairement procédé à son immatriculation avant même la signature du contrat. La Cour note qu’il « a signé un contrat d’agent commercial en toute connaissance de cause après avoir procédé à son inscription auprès du registre du commerce et des sociétés en qualité d’auto-entrepreneur et au registre spécial des agents commerciaux pour son activité ». Cette circonstance chronologique affaiblit la thèse d’une immatriculation imposée par le donneur d’ordre.
II. L’appréciation des indices du lien de subordination dans le secteur immobilier
L’arrêt procède à une analyse détaillée des éléments matériels invoqués au soutien de la requalification (A) et confirme la pertinence des critères distinctifs entre mandat commercial et contrat de travail (B).
A. La neutralisation des indices tirés de l’intégration dans un réseau
La Cour examine méthodiquement les différents éléments avancés par l’appelant au soutien de sa prétention. Celui-ci invoquait notamment la mise à disposition d’une adresse électronique professionnelle, d’une veste aux couleurs du réseau, de cartes de visite, l’utilisation du logiciel de gestion et des outils informatiques de l’enseigne. Il arguait également de l’attribution d’un secteur de prospection déterminé et de l’établissement des factures sous l’égide de la société.
La Cour écarte ces éléments en jugeant qu’ils « relèvent de la normalité d’une cohérence de réseau, et ne sauraient suffire à établir un lien de subordination s’agissant d’outils standards mis à disposition des agents commerciaux affiliés au réseau ». Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie qui distingue les contraintes inhérentes à l’appartenance à un réseau commercial de celles caractérisant un lien de subordination.
La Cour relève par ailleurs que le contrat d’agent commercial prévoyait expressément la mise à disposition d’un bureau pour recevoir la correspondance et la clientèle. L’existence de ces stipulations contractuelles prive de toute pertinence l’argument tiré de l’utilisation des locaux de l’agence.
B. La confirmation des critères distinctifs entre mandat et salariat
L’arrêt met en lumière plusieurs éléments déterminants dans l’appréciation de l’indépendance de l’agent commercial. La Cour souligne d’abord la liberté dans l’organisation du travail en retenant que l’intéressé demeurait « libre dans l’organisation de son travail sauf à respecter les obligations inhérentes à son engagement ». Elle note qu’« aucun objectif n’était assigné à l’agent qui déterminait par ailleurs librement tant ses horaires que son lieu de travail sans être soumis à aucune obligation de présence ».
La Cour examine également la question des prétendues sanctions disciplinaires. L’intéressé invoquait des reproches relatifs à sa ponctualité et à sa tenue vestimentaire. L’arrêt retient que « les deux messages lui reprochant son retard à une réunion et sa tenue vestimentaire ne constituent pas des sanctions mais un rappel des règles de courtoisie, le statut d’agent commercial n’étant pas exclusif de toute obligation ». Cette analyse distingue pertinemment les observations ordinaires dans le cadre d’une relation commerciale du pouvoir disciplinaire caractéristique du contrat de travail.
La Cour relève enfin une circonstance factuelle significative. Elle observe que l’intéressé « a fait de manière unilatérale le 14 avril 2022, sans jamais invoquer l’existence d’une quelconque relation salariale à cette époque ». Ce silence au moment de la rupture affaiblit considérablement la crédibilité de la revendication ultérieure du statut salarial. La recherche d’une requalification apparaît ainsi comme une stratégie contentieuse postérieure plutôt que comme la reconnaissance d’une réalité vécue pendant l’exécution du contrat.