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Par un arrêt du 26 juin 2025, la cour d’appel de Nîmes a statué sur la question de la compétence du juge de la mise en état pour apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle, dans le cadre d’un litige opposant un établissement bancaire à des emprunteurs consommateurs.
En l’espèce, deux époux avaient souscrit en 2010 un prêt immobilier auprès d’une banque. Par actes du 21 décembre 2022, ils ont assigné l’établissement prêteur aux fins de voir réputée non écrite comme abusive une clause de l’offre de prêt excluant de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement. La banque a soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action devant le juge de la mise en état. Par ordonnance du 5 novembre 2024, ce magistrat a réputé non écrite la clause litigieuse et déclaré l’action des emprunteurs recevable. La banque a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelante soutenait que la clause 30/360 n’était pas abusive dès lors qu’elle aboutissait au même résultat que le calcul des intérêts prenant pour base le mois normalisé. Elle en déduisait que l’action était prescrite.
La question posée à la juridiction du second degré était double : le juge de la mise en état est-il compétent pour statuer sur le caractère abusif d’une clause lorsqu’il examine une fin de non-recevoir tirée de la prescription ? L’action tendant à voir réputer non écrite une clause abusive est-elle soumise à prescription ?
La cour d’appel de Nîmes a confirmé le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, tout en infirmant l’ordonnance en ce qu’elle avait réputé non écrite la clause litigieuse. Elle a jugé que « le seul objet de la demande permet de déterminer si elle est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, ou si elle est imprescriptible, sans qu’il soit nécessaire d’examiner son bien-fondé ».
Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise l’étendue des pouvoirs du juge de la mise en état dans le contentieux des clauses abusives (I), tout en rappelant le régime d’imprescriptibilité de l’action en réputé non écrit (II).
I. La délimitation des pouvoirs du juge de la mise en état dans l’appréciation des clauses abusives
L’arrêt commenté opère une distinction entre l’examen de la recevabilité de l’action et l’appréciation du bien-fondé de la demande (A), ce qui conduit à une répartition des compétences entre le juge de la mise en état et le tribunal statuant au fond (B).
A. La dissociation entre recevabilité et bien-fondé de la demande
L’article 789 du code de procédure civile confère au juge de la mise en état une compétence exclusive pour statuer sur les fins de non-recevoir. Ce texte précise que « lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir ».
Le juge de première instance avait fait application de cette disposition en réputant non écrite la clause litigieuse pour en déduire l’imprescriptibilité de l’action. Il s’était fondé sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne pour juger la clause abusive « peu important ses effets comptables sur le coût du crédit ».
La cour d’appel censure ce raisonnement. Elle considère que l’examen du caractère abusif de la clause n’était pas un préalable nécessaire au traitement de la fin de non-recevoir. La demande était imprescriptible « de par son seul objet », indépendamment de son bien-fondé.
Cette position présente l’avantage de la clarté. Elle évite que le juge de la mise en état ne préjuge du fond du litige sous couvert de l’examen d’une fin de non-recevoir. La qualification d’une clause comme abusive emporte des conséquences substantielles pour les parties. Elle ne saurait intervenir de manière incidente, sans que le débat au fond ait eu lieu.
B. Le renvoi au tribunal pour l’appréciation du caractère abusif
La cour déclare le juge de la mise en état « incompétent pour statuer sur le caractère abusif de la clause invoqué ». Elle renvoie cette question au « tribunal statuant au fond ».
Cette solution s’inscrit dans une conception stricte des attributions du juge de la mise en état. Ce magistrat prépare l’affaire en vue de son jugement. Il statue sur les incidents de procédure et peut trancher certaines questions de fond lorsque celles-ci conditionnent la recevabilité de l’action. Sa compétence demeure toutefois dérogatoire au regard des pouvoirs de la formation collégiale.
L’appréciation du caractère abusif d’une clause suppose un examen approfondi. Il convient d’analyser la nature du bien ou du service concerné, les circonstances entourant la conclusion du contrat, les autres clauses de celui-ci. Cette analyse relève du juge du fond, seul à même de procéder à une appréciation globale du déséquilibre significatif.
La cour d’appel préserve ainsi les droits de la défense. L’établissement bancaire pourra développer son argumentation devant le tribunal. Il fera valoir que la clause 30/360 aboutit au même résultat comptable que le mois normalisé. Les emprunteurs devront démontrer l’existence d’un déséquilibre significatif à leur détriment.
II. La confirmation de l’imprescriptibilité de l’action en réputé non écrit
L’arrêt rappelle le fondement européen de l’imprescriptibilité (A), avant d’en tirer les conséquences sur la recevabilité de l’action des emprunteurs (B).
A. Le fondement européen de l’imprescriptibilité
La cour se réfère aux arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne le 10 juin 2021. Cette juridiction a jugé que « l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE […] s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause […] à un délai de prescription ».
La Cour de cassation en a tiré les conséquences dans un arrêt du 30 mars 2022. Elle a énoncé qu’« une demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 du code de la consommation […] n’est pas soumise à la prescription quinquennale ».
Cette solution trouve son fondement dans le principe d’effectivité du droit de l’Union. Une clause abusive est réputée n’avoir jamais existé. Elle ne peut produire d’effet à l’égard du consommateur. Soumettre l’action en constatation du caractère abusif à un délai de prescription reviendrait à permettre qu’une telle clause déploie ses effets après l’écoulement de ce délai. L’objectif de protection du consommateur serait méconnu.
L’imprescriptibilité constitue ainsi le corollaire nécessaire de la sanction du réputé non écrit. La nullité suppose une action pour être prononcée. Elle est donc soumise à prescription. Le réputé non écrit opère de plein droit. Il peut être constaté à tout moment.
B. L’application à l’espèce : la recevabilité de l’action des emprunteurs
La cour confirme que l’action des emprunteurs est recevable. Peu importe que l’offre de prêt date de 2010 et que l’assignation ait été délivrée en 2022, soit plus de cinq années après l’acceptation du contrat.
La banque ne pouvait utilement invoquer la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil. Cet article dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer. Ce délai ne trouve pas à s’appliquer aux demandes en constatation du caractère abusif d’une clause.
La solution retenue par la cour présente des conséquences pratiques considérables pour les établissements de crédit. Des emprunteurs peuvent contester des clauses figurant dans des contrats anciens, parfois intégralement exécutés. La sécurité juridique des conventions s’en trouve affectée.
Cette fragilité est toutefois tempérée par la portée exacte de l’imprescriptibilité. Seule l’action en constatation du caractère abusif échappe à la prescription. Les demandes subséquentes, notamment en restitution des sommes indûment perçues, demeurent soumises aux délais de prescription de droit commun. La Cour de cassation a précisé cette articulation dans des arrêts ultérieurs.