Cour d’appel de Nîmes, le 3 juillet 2025, n°24/01698

La question de la preuve de l’accident du travail en l’absence de témoin direct demeure un contentieux récurrent devant les juridictions de sécurité sociale. La cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 3 juillet 2025, apporte une illustration significative des exigences probatoires pesant sur le salarié qui revendique le bénéfice de la législation professionnelle.

Un conducteur de véhicules lourds, employé depuis avril 2020, prétend avoir été victime d’un accident du travail le 25 janvier 2021 en déchargeant des longueurs de ferrailles. Il aurait ressenti une douleur au niveau du muscle pectoral gauche. Un certificat médical établi le jour même mentionne une suspicion de récidive de déchirure du grand pectoral gauche. L’employeur n’est informé de cet accident que le 23 juin 2021, soit près de cinq mois après les faits allégués. La déclaration d’accident du travail est alors établie avec des réserves. La caisse primaire d’assurance maladie refuse la prise en charge au motif qu’aucune preuve de la survenance de l’accident par le fait ou à l’occasion du travail n’est rapportée. Le salarié saisit la commission de recours amiable puis le pôle social du tribunal judiciaire d’Avignon, qui le déboute par jugement du 10 avril 2024.

Le salarié interjette appel. Il soutient avoir prévenu téléphoniquement son responsable d’exploitation et un collègue le jour des faits. Il produit une attestation de ce collègue relatant avoir reçu un appel l’informant de l’accident. Il invoque le bénéfice de la présomption d’imputabilité prévue à l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale. La caisse demande la confirmation du jugement en relevant l’absence de témoin direct, la tardiveté de la déclaration et le défaut de conformité des attestations produites.

La question posée à la cour d’appel de Nîmes était de déterminer si le salarié rapportait la preuve suffisante de la matérialité d’un fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail, condition préalable au bénéfice de la présomption d’imputabilité.

La cour confirme le jugement. Elle retient que la déclaration a été établie près de cinq mois après les faits, que le salarié ne justifie pas avoir prévenu son employeur le jour même, qu’aucun témoin direct n’existe et que l’attestation produite ne fait que relater les déclarations du salarié sans caractériser le fait accidentel. Elle conclut que le salarié ne rapporte pas la preuve de la survenue d’un accident au temps et au lieu du travail et ne peut donc bénéficier de la présomption d’imputabilité.

Cet arrêt illustre la rigueur des exigences probatoires en matière d’accident du travail, tant sur le plan de l’établissement de la matérialité du fait accidentel (I) que sur l’articulation entre cette preuve préalable et le mécanisme de la présomption d’imputabilité (II).

I. L’exigence d’une preuve rigoureuse de la matérialité du fait accidentel

La cour rappelle le cadre probatoire applicable à l’accident du travail (A) avant d’en faire une application stricte aux circonstances de l’espèce (B).

A. Le rappel du cadre probatoire applicable

La cour d’appel de Nîmes énonce que l’accident du travail se définit comme « un événement ou une série d’événements survenus soudainement, à dates certaines, par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle ». Cette définition classique exige la réunion de plusieurs éléments constitutifs. Le caractère soudain distingue l’accident de la maladie professionnelle qui suppose une exposition prolongée. La date certaine permet de situer l’événement dans le temps. Le lien avec le travail constitue l’élément d’extranéité rattachant le fait dommageable à la sphère professionnelle.

La cour précise ensuite la charge de la preuve. Elle incombe à la victime qui doit démontrer « la matérialité du fait dommageable ainsi que sa survenance au temps et lieu de travail ». Cette règle découle du droit commun de la preuve. Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Le salarié qui sollicite le bénéfice de la législation professionnelle doit établir les conditions de son application.

La cour ajoute une précision importante concernant les moyens de preuve recevables. La preuve « ne peut pas résulter de ses seules affirmations, lesquelles doivent être corroborées par des éléments objectifs ou par des présomptions graves, précises et concordantes ». Cette formulation exclut que le salarié puisse se constituer une preuve à lui-même par ses propres déclarations. Elle impose une corroboration externe.

La cour rappelle enfin l’obligation de déclaration prévue par l’article R. 441-2 du code de la sécurité sociale. La victime doit déclarer l’accident « dans la journée où l’accident s’est produit ou au plus tard dans les vingt-quatre heures ». Ce délai très bref répond à une double finalité. Il permet à l’employeur de vérifier les circonstances de l’accident. Il garantit la conservation des preuves.

B. L’application stricte aux circonstances de l’espèce

La cour procède à un examen méthodique des éléments du dossier. Elle relève d’abord la tardiveté de la déclaration. Celle-ci a été établie « près de 5 mois après la survenue de l’accident allégué ». Ce délai considérable contraste avec l’obligation de déclaration dans les vingt-quatre heures. Il affaiblit la crédibilité des allégations du salarié.

La cour constate ensuite que le salarié « ne justifie ni d’avoir prévenu son employeur directement en rentrant de sa livraison le 25 janvier 2021, comme il l’affirme dans le questionnaire renseigné dans le cadre de l’instruction ». Cette contradiction entre les affirmations et les preuves rapportées fragilise la position du salarié. Il prétend avoir informé son responsable d’exploitation mais ne produit aucun élément pour l’établir.

La cour souligne également l’absence de témoin direct. L’accident serait survenu lors d’une livraison chez un particulier. Le salarié était seul. Aucune personne n’a assisté au fait accidentel allégué. Cette circonstance n’est pas en soi dirimante. Un accident peut survenir en l’absence de témoin. Elle impose cependant au salarié de rapporter d’autres éléments de preuve.

La cour relève enfin une incohérence dans le rattachement des lésions. Celles-ci « ont initialement été rattachées à un accident du travail du 05 octobre 2017 ». Le salarié avait d’abord présenté un arrêt de travail au titre d’une rechute de cet ancien accident. Ce n’est que tardivement qu’il a invoqué un accident nouveau. Cette variation affaiblit la cohérence de sa version des faits.

II. L’impossibilité de bénéficier de la présomption d’imputabilité

La cour analyse la valeur probante insuffisante des attestations produites (A) avant de tirer les conséquences de l’échec probatoire sur le mécanisme de la présomption (B).

A. La valeur probante insuffisante des attestations produites

Le salarié produisait une attestation de M. [G] datée du 5 octobre 2021. Ce dernier déclarait « avoir eu un appel de M. [X] le 25 janvier 2021 pour me signaler qu’il avait eu un accident, qu’il s’était blessé lors de la livraison n’entrant pas dans les conditions de sécurité requises ».

La cour écarte cette attestation pour deux motifs. Elle « ne respecte pas les exigences de forme posées par l’article 202 du code de procédure civile ». Cet article impose notamment que l’attestation soit écrite, datée et signée de la main de son auteur, qu’elle mentionne ses nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession, son lien éventuel avec les parties. Le non-respect de ces formalités affecte la force probante du document.

La cour ajoute surtout que cette attestation « se limite à relater les faits rapportés par M. [X], étant donné qu’il n’a pas été témoin des circonstances du fait accidentel allégué ». Le témoin n’atteste pas de ce qu’il a vu mais de ce que le salarié lui a dit. Il ne fait que rapporter les déclarations de l’intéressé. Or la cour a posé en principe que les affirmations du salarié doivent être corroborées par des éléments objectifs. Une attestation qui ne fait que répéter ces affirmations ne constitue pas une telle corroboration.

Le salarié mentionnait dans ses écritures une seconde attestation de M. [Y], responsable d’exploitation, qui aurait relaté avoir été contacté par le salarié après l’accident. La cour constate que cette attestation n’est pas versée aux débats ni visée dans le bordereau de communication de pièces. Elle ne peut donc être prise en compte. Cette carence probatoire est d’autant plus significative que ce témoin aurait pu confirmer l’information de l’employeur le jour des faits.

B. Les conséquences sur le mécanisme de la présomption d’imputabilité

La cour conclut que le salarié « ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la survenue d’un accident au temps et au lieu de travail le 25 janvier 2021 ». Cette défaillance probatoire emporte une conséquence décisive. Le salarié « ne peut pas bénéficier de la présomption d’imputabilité prévue à l’article L.411-1 ».

Cette articulation mérite d’être explicitée. La présomption d’imputabilité dispense le salarié de prouver le lien de causalité entre l’accident et le travail. Dès lors qu’un accident survient au temps et au lieu du travail, il est présumé imputable au travail. L’employeur ou la caisse peut renverser cette présomption en établissant que l’accident a une cause totalement étrangère au travail.

La présomption ne dispense pas le salarié de prouver la matérialité du fait accidentel et sa survenance au temps et lieu du travail. Ces éléments constituent le fait générateur de la présomption. Sans eux, le mécanisme présomptif ne peut s’enclencher. La cour distingue ainsi deux étapes. Le salarié doit d’abord établir qu’un événement soudain s’est produit pendant le travail. La présomption joue ensuite pour rattacher cet événement à la sphère professionnelle.

En l’espèce, le salarié échoue dès la première étape. Il ne démontre pas qu’un fait accidentel s’est produit le 25 janvier 2021 pendant son travail. Ses seules affirmations ne suffisent pas. Les attestations produites ne les corroborent pas utilement. La tardiveté de la déclaration et les incohérences relevées achèvent de fragiliser sa position.

La portée de cet arrêt réside dans la fermeté du rappel des exigences probatoires. Le salarié qui déclare tardivement un accident sans témoin direct doit impérativement produire des éléments objectifs corroborant ses déclarations. Une attestation relatant ses propres dires ne constitue pas un tel élément. Cette solution, conforme à la jurisprudence constante, rappelle que la protection accordée par la législation professionnelle suppose le respect de conditions strictes dont la preuve incombe au salarié.

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Hassan KOHEN
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