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La délimitation des frontières entre le pouvoir de direction de l’employeur et la protection de la santé des salariés constitue un enjeu majeur du droit du travail contemporain. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 4 juillet 2025 illustre la complexité de cette articulation lorsqu’un management autoritaire génère une souffrance au travail sans pour autant justifier la sanction la plus grave.
Un salarié a été embauché le 15 janvier 2019 en qualité de responsable de magasin, puis promu directeur de magasin le 1er juin 2019 avec le statut de cadre. Son contrat a été transféré à une nouvelle société le 31 août 2019. Le 8 novembre 2022, l’employeur lui a notifié une mise à pied conservatoire et une convocation à un entretien préalable. Le 18 novembre 2022, il a été licencié pour faute grave, l’employeur lui reprochant un management irrespectueux et harcelant caractérisé par des propos désobligeants, humiliants et parfois sexistes tenus envers ses subordonnés.
Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes le 11 janvier 2023 pour contester son licenciement. Par jugement du 22 décembre 2023, les premiers juges l’ont débouté de l’ensemble de ses demandes et l’ont condamné au paiement de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le salarié a interjeté appel le 8 janvier 2024, sollicitant l’infirmation du jugement et la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La question posée à la cour était de déterminer si les faits de management harcelant reprochés au salarié étaient constitutifs d’une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, ou si la connaissance préalable de ces comportements par l’employeur excluait cette qualification.
La cour d’appel de Nîmes a infirmé partiellement le jugement entrepris. Elle a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse mais a écarté la faute grave. Elle a condamné l’employeur au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis de 9 000 euros et d’une indemnité conventionnelle de licenciement de 2 875 euros.
La solution retenue par la cour d’appel de Nîmes révèle une appréciation nuancée des manquements du salarié. Les juges ont caractérisé un management défaillant tout en tenant compte de la tolérance patronale (I), puis ont procédé à une requalification de la faute aux conséquences financières significatives (II).
I. La caractérisation d’un management défaillant tempérée par la tolérance patronale
La cour a d’abord établi la matérialité des faits reprochés au salarié (A), avant de relever que l’employeur avait connaissance de ces comportements sans avoir pris les mesures préventives adéquates (B).
A. L’établissement probatoire des comportements managériaux inappropriés
La cour d’appel a retenu que « les témoignages produits par l’employeur rendent compte de manière concordante d’une ambiance pesante, de pressions constantes relatives à la rentabilité, au panier moyen et d’un ton régulièrement désobligeant, voire sexiste pour s’adresser aux salariés, y compris devant les clients ». Cette formulation révèle l’importance accordée à la concordance des témoignages dans l’appréciation de la preuve.
Le salarié avait tenté de contester la régularité de l’enquête menée par l’employeur. La cour a écarté cet argument en affirmant qu’« il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir mené loyalement et de manière contradictoire une enquête auprès de l’ensemble des salariés, l’employeur n’étant nullement tenu d’entendre tous les salariés, ni le mis en cause lui-même ». La juridiction a précisé que « le principe de la contradiction s’appliquant devant le juge qui apprécie les mérites des éléments produits par l’employeur au soutien de la faute grave ».
Les témoignages recueillis décrivaient des propos tels que « le panier moyen et les statistiques de caisse sont pitoyables », « c’est de la merde » ou encore « bouge-toi, c’est à chier ». Une salariée rapportait des remarques sexistes lors de son entretien d’embauche. Plusieurs collaborateurs faisaient état d’angoisse, de crises d’anxiété et de consultations médicales en lien avec ce management. Les attestations produites par le salarié, décrivant un responsable exemplaire et bienveillant, n’ont pas été de nature à « invalider les témoignages décrivant un management harcelant ».
B. La connaissance patronale des dérives managériales
La cour a relevé un élément déterminant dans l’appréciation de la gravité de la faute. Le témoignage d’un ancien directeur régional établissait que le salarié « avait été identifié comme un directeur de magasin dont le management était critiquable et potentiellement source de risques psycho-sociaux ». Ce témoin déclarait avoir « mis en garde » le salarié « sur le comportement et l’attitude qu’il devait adopter auprès des équipes » dès son arrivée.
La cour a constaté que « la société Poly Distrib n’ignorait donc rien de la personnalité [du salarié] et de la pratique d’un management qualifié de musclé ». L’employeur ne justifiait cependant « ni des évaluations de son salarié, ni d’observations de nature à souligner des dérives managériales pourtant identifiées, et à les prévenir ». Cette carence probatoire s’est révélée décisive dans l’appréciation de la faute.
La juridiction a conclu que « les méthodes [du salarié] établies par les nombreux témoignages concordants produits et les certificats médicaux rendant compte d’une souffrance au travail, n’ont pas fait obstacle à sa nomination sur un poste de directeur de magasin et ont été tolérées jusqu’à l’alerte donnée » par un collaborateur. Cette tolérance patronale constitue le fondement de l’exclusion de la faute grave.
II. La requalification de la faute et ses conséquences indemnitaires
L’exclusion de la faute grave au profit d’une cause réelle et sérieuse emporte des conséquences juridiques substantielles (A), que la cour a traduites par l’allocation des indemnités de rupture (B).
A. Le rejet de la faute grave malgré des comportements établis
La cour a procédé à une distinction classique entre la faute grave et la cause réelle et sérieuse. Elle a rappelé qu’il incombe à l’employeur « d’établir l’exactitude des faits imputés [au salarié] dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée limitée du préavis ».
La faute grave suppose une impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise, même temporairement. En l’espèce, la connaissance préalable des comportements litigieux par l’employeur et l’absence de mesures préventives ont conduit la cour à écarter cette qualification. Un employeur ne saurait invoquer l’impossibilité de maintenir un salarié dont il a toléré les agissements pendant plusieurs années sans formuler d’observations ni procéder à des évaluations.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence exigeante quant à la cohérence du comportement patronal. L’employeur qui tolère des manquements disciplinaires ne peut ultérieurement les qualifier de faute grave sans démontrer un élément nouveau justifiant cette soudaine sévérité. La cour a implicitement sanctionné le défaut de prévention des risques psychosociaux, obligation pourtant consacrée par les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail.
B. L’allocation des indemnités de rupture conventionnelles
Le rejet de la faute grave a ouvert droit aux indemnités de rupture dont le salarié avait été privé. La cour a condamné l’employeur au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis de 9 000 euros, correspondant à trois mois de salaire conformément à la convention collective des commerces de détail non alimentaires applicable aux salariés des niveaux VII, VIII et IX licenciés au-delà de deux ans d’ancienneté.
L’indemnité conventionnelle de licenciement a été fixée à 2 875 euros, calculée sur la base d’un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans. Le salarié a été débouté du surplus de sa demande qui s’élevait à 8 500 euros. La cour a également rappelé que les sommes allouées étaient exprimées en brut et précisé le point de départ des intérêts légaux.
Le salarié a en revanche été débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de sa demande au titre du caractère vexatoire du licenciement. La confirmation du jugement sur ces points traduit la reconnaissance par la cour d’une faute réelle du salarié, même si celle-ci ne présentait pas le caractère de gravité requis pour justifier une rupture immédiate sans indemnités.