- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’exploitation de travailleurs étrangers en situation irrégulière demeure une réalité préoccupante du contentieux prud’homal. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 4 juillet 2025 illustre les mécanismes de protection dont bénéficient ces salariés vulnérables, tout en révélant les difficultés probatoires inhérentes à ces situations.
Un ressortissant étranger indique avoir été engagé sans contrat écrit par une société de prestations agricoles à compter du 1er février 2018. Le 6 février 2020, il est placé en rétention administrative et reçoit une obligation de quitter le territoire français. Par jugement du 30 mars 2022, la société est placée en liquidation judiciaire. Les dirigeants ont été condamnés pénalement pour travail dissimulé et emploi d’étrangers non munis d’autorisation de travail.
Le salarié saisit le conseil de prud’hommes d’Orange aux fins de requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée et de condamnation de l’employeur au paiement de diverses indemnités. Par jugement du 15 décembre 2023, le conseil de prud’hommes en formation de départage requalifie le contrat à compter du 2 janvier 2020 mais déclare prescrites les demandes relatives au licenciement et déboute le salarié de ses autres prétentions. Le salarié interjette appel.
Le liquidateur judiciaire et l’AGS concluent à la confirmation du jugement, invoquant notamment l’impossibilité d’établir un contrat écrit en raison de la situation irrégulière du salarié et la prescription des demandes relatives à la rupture.
La cour devait déterminer si un salarié étranger en situation irrégulière peut se prévaloir des protections du droit du travail, et plus particulièrement si l’absence de notification formelle de la rupture fait obstacle au jeu de la prescription.
La cour d’appel de Nîmes infirme partiellement le jugement. Elle requalifie la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2018, fixe au passif de la liquidation diverses créances salariales et indemnitaires, notamment au titre du travail dissimulé et du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cette décision mérite analyse tant au regard de la protection accordée au travailleur étranger irrégulier (I) que des conditions de la rupture du contrat de travail (II).
I. La protection intégrale du travailleur étranger en situation irrégulière
La cour affirme avec netteté les droits du salarié étranger (A) tout en caractérisant le travail dissimulé dont il a été victime (B).
A. L’affirmation des droits du salarié étranger dépourvu d’autorisation de travail
La société employeur invoquait « l’impossibilité d’établir un contrat écrit en raison de l’absence de production de document par M. [U] afin d’établir sa situation ». L’AGS soutenait que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » puisque le salarié n’avait pas communiqué de carte de séjour l’autorisant à travailler.
La cour écarte fermement ces arguments. Elle rappelle les dispositions de l’article L. 5221-8 du code du travail selon lesquelles « l’employeur s’assure auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France ». Cette obligation pèse exclusivement sur l’employeur, qui ne saurait s’en exonérer en invoquant le comportement du salarié.
La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. L’irrégularité du séjour ne prive pas le travailleur étranger de ses droits fondamentaux. La requalification en contrat à durée indéterminée s’impose donc de plein droit, conformément à l’article L. 1242-12 du code du travail qui dispose qu’à défaut d’écrit, le contrat « est réputé conclu pour une durée indéterminée ».
La cour va plus loin en fixant le point de départ du contrat au 1er février 2018, corrigeant ainsi la date retenue par le conseil de prud’hommes. Elle se fonde notamment sur un chèque de 800 euros établi en février 2018 au bénéfice du salarié, une attestation d’un autre ouvrier et le jugement correctionnel ayant condamné les dirigeants.
B. La caractérisation du travail dissimulé
Le conseil de prud’hommes avait rejeté la demande d’indemnité pour travail dissimulé. La cour infirme ce chef de décision en relevant que « la volonté de dissimuler l’emploi de M. [U] est caractérisée ».
Les éléments retenus sont particulièrement accablants : absence de contrat écrit, défaut de versement des salaires pendant plusieurs mois, condamnation pénale définitive de l’employeur pour travail dissimulé. La cour rappelle les termes de l’article L. 8223-1 du code du travail qui accorde au salarié « une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ».
Cette indemnité présente un caractère automatique dès lors que l’élément intentionnel est établi. La condamnation pénale des dirigeants pour travail dissimulé constitue à cet égard un élément déterminant, la cour tirant toutes les conséquences de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.
La fixation de l’indemnité à 9 236,70 euros traduit une application rigoureuse du texte. Cette sanction civile s’ajoute aux condamnations pénales prononcées par le tribunal correctionnel de Carpentras, sans qu’il y ait double indemnisation puisque le fondement juridique diffère.
II. Les conséquences de la rupture non formalisée du contrat de travail
L’absence de notification régulière de la rupture emporte des conséquences tant sur la prescription (A) que sur le bien-fondé du licenciement (B).
A. L’obstacle à la prescription en l’absence de notification de la rupture
Le liquidateur judiciaire et l’AGS soutenaient que les demandes relatives au licenciement étaient prescrites. Ils estimaient que les relations contractuelles avaient pris fin le 29 février 2020 et que la saisine du conseil de prud’hommes le 24 juin 2021 était tardive au regard du délai de douze mois prévu par l’article L. 1471-1 du code du travail.
La cour rejette cette argumentation par une motivation particulièrement claire : « si l’article L. 1471-1 du code du travail énonce en son alinéa 2 que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture, encore faut-il que l’employeur ait notifié la dite rupture au salarié ».
Cette solution procède d’une lecture littérale du texte. Le point de départ de la prescription suppose une notification de la rupture. En l’absence d’une telle notification, le délai ne court pas. L’employeur qui rompt le contrat sans respecter aucune formalité ne peut ensuite se prévaloir de la prescription pour échapper à ses obligations.
La portée de cette solution dépasse le cas d’espèce. Elle protège les salariés les plus vulnérables, souvent peu informés de leurs droits, contre les stratégies d’évitement des employeurs indélicats qui espèrent bénéficier de l’écoulement du temps.
B. L’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse
La cour retient que « le contrat de travail a été interrompu sans que l’employeur ne mette en œuvre la procédure de licenciement ». Cette rupture sans respect d’aucune procédure s’analyse nécessairement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les indemnités allouées reflètent l’application combinée du droit commun et de la convention collective. L’indemnité de préavis est fixée à deux mois de salaire conformément à l’article 9.1.1 de la convention collective nationale de la production agricole, applicable à compter de deux ans de présence.
Pour les dommages-intérêts au titre de la perte d’emploi, la cour fait application de l’article L. 1235-3 du code du travail. Elle retient le montant de 4 618,35 euros, soit environ trois mois de salaire, « compte tenu de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération due à M. [U], de son ancienneté de deux années ».
En revanche, la cour confirme le rejet de la demande de dommages-intérêts pour irrégularité de procédure. Elle rappelle que cette indemnité « ne se cumule pas avec les dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Cette règle de non-cumul, constante en jurisprudence, évite la double indemnisation d’un même préjudice.
Cet arrêt constitue une illustration remarquable de la protection accordée aux travailleurs étrangers exploités. La cour d’appel de Nîmes applique avec rigueur les textes protecteurs du code du travail, sans céder aux arguments tirés de l’irrégularité du séjour. L’employeur qui méconnaît délibérément ses obligations légales ne saurait invoquer la situation administrative de son salarié pour échapper à ses responsabilités. La solution retenue en matière de prescription renforce cette protection en privant d’effet les ruptures non notifiées.